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royaume, ou du moins à abandonner les projets. dont vous paraissez être occupés. Votre conduite, depuis ce temps, devant me faire croire que mes intentions réelles ne vous sont pas bien connues, j'ai cru devoir à vous et à moi de vous en donner l'assurance de ma propre main.

«Lorsque j'ai accepté, sans aucune modification, la nouvelle constitution du royaume, le vœu du peuple et le désir de la paix m'ont principalement déterminé; j'ai cru qu'il était temps que les troubles de la France eussent un terme; et voyant qu'il était en mon pouvoir d'y concourir par mon acceptation, je n'ai pas balancé

à la douner librement et volontairement: ma résolution est invariable. Si les nouvelles lois exigent des changements, j'attendrai que le temps et la réflexion les sollicitent: je suis déterminé à n'en provoquer et à n'en souffrir aucun par des moyens contraires à la tranquillité publique et à la loi que j'ai acceptée.

« Je crois que les motifs qui m'ont déterminé doivent avoir le même empire sur vous. Je vous invite donc à suivre mon exemple. Si, comme je n'en doute pas, le bonheur et la tranquillité de la France vous sont chers, vous n'hésiterez pas à concourir par votre conduite à les faire renaître en faisant cesser les inquiétudes qui agitent les esprits, vous contribuerez au rétablissement de l'ordre, vous assurerez l'avantage aux opinions sages et modérées, et vous servirez efficacement le bien, que votre éloignement et les projets qu'on vous suppose ne peuvent que contrarier.

« Je donnerai mes soins à ce que tous les Français qui pourront rentrer dans le royaume y jouissent paisiblement des droits que la loi leur reconnaît et leur assure. Ceux qui voudront me prouver leur attachement ne balanceront pas. Je regarderai l'attention sérieuse que vous donnerez à ce que je vous marque comme une grande preuve d'attachement envers votre frère et de fidélité envers votre roi, et je vous saurai gré toute ma vie de m'avoir épargné la nécessité d'agir en opposition avec vous, par la résolution invariable où je suis de maintenir ce que j'ai annoncé.

« Signé, Louis. »><

Lettre du roi à Louis-Stanislas-Xavier, prince français, frère du

roi.

« Paris, le 11 novembre 1791.

« Je vous ai écrit, mon frère, le 16 octobre dernier, et vous avez dû ne pas douter de mes véritables sentiments. Je suis étonné que ma lettre n'ait pas produit l'effet que je devais en attendre. Pour vous rappeler à vos devoirs, j'ai employé tous les motifs qui de

TOME VI.

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vaient le plus vous toucher. Votre absence est un prétexte pour tous les malveillants, une sorte d'excuse pour tous les Français trompés, qui croient me servir en tenant la France entière dans une inquiétude et une agitation qui font le tourment de ma vie La révolution est finie, la constitution est achevée, la France la veut, je la maintiendrai; c'est de son affermissement que dépend aujourd'hui le salut de la monarchie. La constitution vous a donné des droits; elle y a mis une condition que vous devez vous hâter de remplir. Croyez-moi, mon frère, repoussez les doutes qu'on voudrait vous donner sur ma liberté. Je vais prouver par un acte bien solennel, et dans une circonstance qui vous intéresse, que je puis agir librement. Prouvez-moi que vous êtes mon frère et Français, en cédant à mes instances. Votre véritable place est auprès de moi; votre intérêt, vos sentiments vous conseillent également de venir la reprendre; je vous y invite, et, s'il le faut, je vous l'ordonne. Signé, Louis. »

Lettre du roi à Charles-Philippe, prince français, frère du roi.

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« Vous avez sûrement connaissance du décret que l'assemblée nationale a rendu relativement aux Français éloignés de leur patrie; je ne crois pas devoir y donner mon consentement, aimant à me persuader que les moyens de douceur rempliront plus efficacement le but qu'on se propose, et que réclame l'intérêt de l'État. Les diverses démarches que j'ai faites auprès de vous ne peuvent vous laisser aucun doute sur mes intentions ni sur mes vœux. La tranquillité publique et mon repos personnel sont intéressés à votre retour. Vous ne pourriez prolonger une conduite qui inquiète la France et qui m'afflige, sans manquer à vos devoirs les plus essentiels. Épargnez-moi le regret de concourir à des mesures sévères contre vous; consultez votre véritable intérêt; laissez-vous guider par l'attachement que vous devez à votre pays, et cédez enfin au vœu des Français et à celui de votre roi. Cette démarche de votre part sera une preuve de vos sentiments pour moi, et vous assurera la continuation de ceux que j'ai toujours eus pour vous.

« Signé, Louis. »>

Réponse de Monsieur au roi.

« Coblentz, le 3 décembre 1791.

« SIRE, mon frère et seigneur,

« Le comte de Vergennes m'a remis, de la part de Votre Majesté, une lettre dont l'adresse, malgré mes noms de baptême qui s'y

trouvent, est si peu la mienne, que j'ai pensé la lui rendre saus l'ouvrir, Cependant, sur son assertion positive qu'elle était pour moi, je l'ai ouverte, et le nom de frère que j'y ai trouvé ne m'ayant plus laissé de doute, je l'ai lue avec le respect que je dois à l'écri◄ ture et au seing de Votre Majesté. L'ordre qu'elle contient de me rendre auprès de la personne de Votre Majesté n'est pas l'expression libre de sa volonté, et mon honneur, mon devoir, ma tendresse même, me défendent également d'obéir. Si Votre Majesté veut connaître tous ces motifs plus en détail, je la supplie de se rappeler ma lettre du 10 septembre dernier. Je la supplie aussi de recevoir avec bonté l'hommage des sentiments aussi tendres que respectueux avec lesquels je suis, sire, etc., etc. »>

Réponse de M. le comte d'Artois au roi.

<< Coblentz, le 3 décembre 1791.

« SIRE, mon frère et seigneur,

« Le comte de Vergennes m'a remis hier une lettre qu'il m'a assuré m'avoir été adressée par Votre Majesté. La suscription, qui me donne un titre que je ne puis admettre, m'a fait croire que cette lettre ne m'était pas destinée: cependant, ayant reconnu le cachet de Votre Majesté, je l'ai ouverte ; j'ai respecté l'écriture et la signature de mon roi; mais l'omission totale de mon frère, et, plus que tout, les décisions rappelées dans cette lettre, m'ont donné une nouvelle preuve de la captivité morale et physique où nos ennemis osent retenir Votre Majesté. D'après cet exposé, Votre Majesté trouvera simple que, fidèle à mon devoir et aux lois de l'honneur, je n'obéisse pas à des ordres évidemment arrachés par la violence.

« Au surplus, la lettre que j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Majesté, conjointement avec Monsieur, le 10 septembre dernier, contient les sentiments, les principes et les résolutions dont je ne m'écarterai jamais; je m'y réfère donc absolument; elle sera la base de ma conduite, et j'en renouvelle ici le serment. Je supplie Votre Majesté de recevoir l'hommage des sentiments aussi tendres que respectueux avec lesquels, je suis, sire, etc., etc. »>

Le veto dont fut frappé le décret sur les émigrés n'excita ni attroupements, ni émeutes, ni même de discussions animées dans l'enceinte des clubs. Les débats violents, les scènes passionnées ne se trouvaient que dans l'assemblée législative. Chose singulière, rien n'est plus régulier et plus calme que les séances même du club des Jacobins. On y expose les travaux législatifs; on les suit avec soin; on émet des opinions; mais comme il ne s'élève point de contra

dictions, il n'y a ni ardeur, ni passion, ni verve. Beaucoup de membres de l'assemblée nationale s'étaient fait, cependant, inscrire sur la liste du club. Leur nombre était de 156. C'était tout le côté gauche, qui, alors, n'était pas encore divisé en montagnards et en girondins, et qui, par conséquent, était encore dans une parfaite unanimité. Une seule cause, à cette époque, aurait pu remuer les jacobins c'était la présence et le voisinage des feuillants; mais ceux-ci étaient des anciens constituants qu'on ne voyait plus sur le terrain de la politique active, publique, journalière; on ne s'en occupait plus, quoique eux-mêmes jouassent, comme nous l'avons déjà vu, un grand rôle dans la diplomatie secrète des ministres et de la cour. Il n'y eut que la presse qui s'occupa du veto.

<< Enfin, disent les Annales patriotiques, la cour vient de lever le masque, en opposant le veto du pouvoir exécutif à la loi contre les émigrés conspirateurs et leurs coupables chefs. L'assemblée nationale, fidèle à ses devoirs et à la constitution, qui lui ordonnent de veiller au salut du peuple et à la sûreté de l'empire, convaincue, par les preuves les plus positives, que les frères et les cousins du roi sont sur nos frontières, à la tête d'une horde nombreuse armée contre la patrie, a cru qu'il était temps enfin de faire parler la loi, c'est-à-dire la volonté générale contre les conspirateurs.

« Les conspirateurs de la cour ont senti que le décret contre les émigrants plaçait le pouvoir exécutif dans une position difficile, en le forçant de rompre cet étrange silence et cette neutralité perfide qu'il garde depuis si longtemps sur les manœuvres et les complots des ennemis de la constitution. Ils ont dit : « Si le roi sanctionne le décret contre les émigrants, ils se disperseront. Les princes et les chefs de la conspiration, qui disent à nos adhérents et à la foule obscure de nos complices que le roi est d'intelligence avec eux, et qu'il n'attend que le moment de se déclarer ouvertement, recevront un démenti formel. Les prêtres non assermentés qui, dans tout l'empire, prêchent pour nous la contre-révolution au nom de Dieu et du roi, seront déconcertés et déserteront nos drapeaux. Le peuple ne voudra plus les écouter; le découragement gagnera tous nos partisans, qui verront dans cette sanction une preuve de la sincérité du roi dans son acceptation de l'acte constitutionnel. Il faut donc empêcher celte sanction. » Tel est le langage des conspirateurs de la cour.

« Il y a tout lieu de croire, et la sûreté publique l'exige, que l'assemblée nationale va porter incessamment un décret d'accusation contre les princes français et leurs complices, rassemblés à Worms et à Coblentz. Ce décret n'a pas besoin de sanction, et la haute cour

nationale, qui ne peut tarder à être rassemblée, jugera ensuite si les conspirateurs d'outre-Rhin et ceux de l'intérieur doivent rester impunis, et si les séditieux et les contre-révolutionnaires peuvent agir audacieusement et sans frein à l'ombre du veto royal. » (No DCCLXXIII.)

- « Toutes les rues de Paris, continue le Patriote français, sont tapissées d'une proclamation du roi, dans laquelle ce prince explique les motifs du veto dont il a frappé le décret contre les émigrants. Il y est continuellement en contradiction avec lui-même, puisque après avoir avoué l'inutilité des voies de douceur qu'il a employées jusqu'ici, il s'oppose à des mesures de rigueur que l'opiniâtreté des émigrés justifie. Au reste, il dit que le décret qu'il refuse de sanctionner renferme plusieurs articles rigoureux qui lui ont paru contrarier le but que la loi devait se proposer. Ce langage ne nous étonne pas dans la bouche du roi; mais nous sommes surpris de le retrouver dans la Chronique; nous sommes surpris d'entendre les auteurs de cette feuille, jusqu'ici patriote, traiter d'injuste et de barbare le décret contre les émigrés : « Quelle justice, s'écrientils, de punir de mort ceux qui ne seront pas rentrés dans deux mois; ceux que la peur, l'habitude ou le goût de la tranquillité ont portés à fuir, ou que la maladie retient, et qui n'ont point trempé dans les complots contre nous! » — Cette réflexion est une calomnie contre l'assemblée nationale, et ferait croire qu'elle a prononcé la peine de mort contre tous les émigrés, sans distinction, qui ne seraient pas rentrés dans deux mois. Or, rien n'est plus faux ; cette peine n'est prononcée que contre les princes français et les autres fonctionnaires publics, et il n'est ni injuste ni barbare de punir ainsi les traîtres et les déserteurs.

<< Il faut le dire en refusant de sanctionner le décret contre les émigrants, le roi sanctionne leurs criminels projets. » (Patriote français du 15 novembre.)

« Déjà, ajoutent les Révolutions de Paris, la tranquillité publique renaissait; déjà la confiance remplaçait l'inquiétude, le commerce se ranimait, la circulation devenait plus facile, l'espoir rentrait dans tous les cœurs, on applaudissait de tous les points de l'empire au décret de l'assemblée nationale sur les émigrés, et voilà que, par son refus de sanction, Louis XVI nous replonge dans notre premier état.

« Mais, dit-on, le roi, en opposant son veto, a fait un acte de liberté; il a fermé la bouche, il a ôté tout prétexte aux puissances étrangères, et la France ne peut que s'en applaudir. Vils esclaves! Un homme qui, passant à côté de moi dans la rue, me tire un coup

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