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SÉANCE DU 8 NOVEMBRE. M. Ducastel, au nom du comité de législation. Messieurs, depuis les premiers moments de la révolution, des Français, faibles ou coupables, factieux ou séduits, ont successivement abandonné le royaume. Les uns, rassemblés vers nos frontières, ont des chefs, osent menacer notre constitution, cherchent ou préparent ridiculement les moyens d'asservir une grande nation qui veut être libre. D'autres annoncent des préventions fàcheuses, des désirs blâmables, des espérances criminelles. Tous inquiètent, épuisent et affligent leur patrie, qui les rappelle vainement. Quelles mesures l'assemblée nationale doit-elle prendre dans cette position?

Divers orateurs vous en ont proposé, et ils ont indiqué leurs motifs. Vous avez particulièrement fixé votre attention sur quatre projets de décret. On a réclamé la priorité pour l'un d'eux ; vous l'avez décrétée. En conséquence une nouvelle discussion a été ouverte sur ce projet elle n'a pu vous satisfaire; mais vous avez renvoyé à votre comité de législation tous les projets et discours.

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Votre comité de législation civile et criminelle s'est empressé de répondre à vos vues; il a médité profondément tous les projets de décret aucun ne lui a paru suffisant ou convenable. Il croit donc devoir vous en présenter un nouveau.

Les Français fugitifs forment deux classes principales: dans la première sont ceux qui composent les rassemblements; dans la seconde sont tous les autres.

Dans la première, on distingue des princes français; dans la première et dans la seconde, on trouve des fonctionnaires publics.

Ces fonctionnaires doivent être vus sous un double aspect: les uns ont lâchement abandonné leurs postes avant l'amnistie, les autres les ont encore plus lâchement abandonnés depuis.

Votre comité croit que l'on doit mettre une différence entre les Français rassemblés sous des chefs et ceux qui ne le sont pas ; qu'il faut prendre à l'égard des princes français absents des mesures spéciales et provisoires, et que tous les fonctionnaires publics fugitifs ne sont point également coupables. Je vais vous exposer les motifs de votre comité.

L'émigration n'est point l'absence ou la fuite.

L'émigration véritable a lieu lorsqu'un citoyen abandonne réellement sa patrie et en adopte effectivement une autre; alors il n'est plus membre du premier État, et il devient membre du second: c'est pourquoi l'acte constitutionnel porte que la qualité de citoyen français se perd par la naturalisation en pays étranger.

L'homme peut à son gré changer de patrie; sous ce rapport l'é

migration, dans les circonstances ordinaires, n'est pas un crime; elle est même, dans la position où nous sommes, un malheur, et non un délit.

Mais les Français qui sortent du royaume en y conservant leur domicile, en ne renonçant pas à leur qualité de citoyen, soit par une déclaration expresse, soit par la naturalisation effective, sont des Français absents ou fugitifs, et non des émigrés; ne cessant point d'être Français, ils ne peuvent cesser d'être soumis aux lois de la France.

Telle est la position de tous les Français qu'on nomme mal àpropos émigrants: ce sont de simples absents ou fugitifs; la patrie peut les rappeler, et quand ils ne reviennent pas, elle doit les regretter, et non les punir. (Les tribunes publiques murmurent.)

Mais si ces citoyens,se rassemblent vers nos frontières sous les chefs ennemis de la révolution ; s'ils manifestent des desseins hostiles, mendient l'appui des puissances étrangères, répandent l'alarme dans le royaume, y entretiennent des dissensions, obligent la nation de mettre en mouvement la force publique, occasionnent des dépenses, altèrent le crédit et retardent les effets de la plus sage administration; ces individus ne sont alors que des citoyens rebelles en état de conjuration contre leur patrie. (Applaudissements de l'assemblée et des tribunes.)

Ils la fuient parce qu'ils n'y dominent plus; ils se rassemblent pour nous asservir : nous ne devons notre liberté qu'à leur impuissance; ils nous perdraient s'ils pouvaient nous vaincre; ils sont nos ennemis, et ils veulent redevenir nos tyrans! (Applaudissements réitérés.) Voilà le motif de leur réunion.

Quand ils ne seraient pas des conjurés, ils seraient au moins très-soupçonnés de l'être. La nature ne peut tolérer cette incertitude: vous avez le droit de prescrire un terme à leur rassemblement. S'ils se divisent, s'ils reconnaissent encore l'empire des lois, ils effaceront leur crime par leur obéissance; s'ils ne se divisent point, s'ils dédaignent votre pouvoir, plus de doute en ce cas; il sera évident qu'ils se révoltent, qu'ils demeurent réunis pour réaliser d'odieux projets, qu'ils sont conjurés contre la patrie, et qu'ils sont sujets à la peine de ce crime: cette peine est la mort. (Applaudissements.)

Votre comité vous propose de les déclarer seulement suspects de conjuration; de leur accorder un délai jusqu'au 1er janvier 1792; et de les avertir qu'à cette époque, ceux qui se trouveront rassemblés, seront poursuivis comme conjurés et punis de mort : cette loi serait à la fois juste et politique.

En effet, si les Français et leurs chefs ainsi réunis vers les frontières sont seulement d'abord déclarés suspects de conjuration, c'est par grâce; et ils ne peuvent se plaindre. Qu'exigez-vous d'eux ensuite? Est-ce leur retour en France? Non; s'ils y reviennent, leurs personnes seront sous la protection des lois comme leurs biens y sont maintenant; mais vous ne les contraignez pas d'y rentrer; vous voulez seulement qu'ils ne soient plus rassemblés. En leur commandant, au nom de la patrie et pour la tranquillité générale, une démarche aussi facile, vous ne blessez ni les droits de l'homme ni ceux du citoyen; vous ordonnez un léger sacrifice à ceux que vous pourriez traiter plus rigoureusement. S'ils n'obéissent pas dans le délai prescrit, ils se dévoilent tout à fait; ils sont des conspirateurs; ils veulent demeurer unis pour effectuer leurs complots. Sous cet aspect, les ménagements seraient une faiblesse : le crime est constant; on doit le punir.

La loi que votre comité propose est donc juste.

Il n'en existe point contre des rassemblements de cette espèce; une loi nouvelle ne peut donc avoir d'effet rétroactif: aussi ce n'est pas sur les rassemblements actuels que cette loi portera; mais elle en défendra seulement la continuité, et pour l'avenir elle les déclarera criminels à une époque déterminée. Le délai qu'elle désigne est suffisant.

Les effets politiques de cette loi sont sensibles. Ou les Français qu'elle concerne obéiront ou ils n'obéiront pas s'ils obéissent, nous parviendrons au but désiré; tant qu'ils ne seront point rassemblés, ils ne seront jamais à craindre: s'ils n'obéissent pas, ils sont, dès l'expiration du délai, déclarés coupables; le rassemblement est alors un crime suivant la loi; quiconque fera partie du rassemblement sera coupable par cela seul; il ne s'agira plus que de constater le fait.

Vous connaîtrez bientôt les chefs, les principaux moteurs, les complices de la conjuration; vous saurez quels conspirateurs on doit punir, quels ennemis on doit combattre.

Parmi vos orateurs plusieurs ont cru que la loi devait frapper uniquement les chefs des rebelles: cette distinction ne serait pas constitutionnelle, et elle s'écarterait du code pénal; mais la mesure que le comité propose remplit toutes les vues. En atteignant les conspirateurs quelconques, elle ne permet à aucun d'échapper; les chefs et leurs premiers agents seront sous le glaive judiciaire; trop connus pour qu'on s'y méprenne, trop convaincus du crime pour s'en justifier, ils seront les premiers poursuivis et condamnés. Ils ne se le dissimuleront pas lorsqu'ils connaîtront votre loi, et il se peut

que, jetant un regard effrayé sur l'avenir, ils voient leur tort et donnent l'exemple de l'obéissance. Fasse le ciel que nous ne soyons jamais obligés de punir! Mais enfin la loi proposée est un mode efficace sous tous les rapports, elle est juste dans son principe et dans ses effets; elle n'excepte nul conspirateur; elle imprime à chaque coupable la même crainte; elle annonce également le pardon ou la mort.

En vain l'on dirait que les rebelles éluderont facilement la loi, qu'ils feindront de se diviser, et qu'ils se réuniront ensuite selon les circonstances... L'objection n'aurait nulle force: votre loi prohibe les rassemblements postérieurs au mois de décembre prochain; elle a pour objet les rassemblements continués ou nouveaux; elle déjoue ainsi toutes les intentions perverses, tous les criminels complots; nul ne peut la trouver injuste ou rigoureuse, puisque chaque individu est libre de s'éloigner des conspirateurs ou de ne pas s'y réunir.

C'est avec douleur, messieurs, que votre comité pose le cas où les Français maintenant rassemblés au delà des frontières ne cesseraient pas de l'être au 1er janvier 1792; mais il doit prévoir une résistance possible, quoiqu'elle soit invraisemblable; il pense donc que, dans les quinze premiers jours du même mois, la haute cour nationale doit être convoquée : il est utile de le décréter à présent, et il sera doux de ne pas avoir besoin de ce décret.

D'après cette marche, votre comité vous représente d'ailleurs quelques articles secondaires qui sont les conséquences de ce qui précède.

Les condamnés par contumace braveraient la loi en ne rentrant pas dans le royaume, s'ils jouissaient de leurs revenus une saine politique exige que ces coupables pendant leur vie soient privés de leurs biens. Cette mesure ne doit pas nuire à leurs femmes, leurs enfants ou leurs créanciers (applaudissements) : le projet de votre comité renferme une disposition prudente et juste à cet égard.

Les chefs des rassemblements sont les princes français absents du royaume; les revenus de ces princes alimentent la conjuration: depuis longtemps la nation désire que les biens de ces princes soient séquestrés. (Applaudissements.) L'assemblée nationale constituante avait ordonné le séquestre des biens du prince ci-devant Condé; de vains prétextes ont suspendu l'exécution de ce décret il faut enfin cesser de fournir des ressources à nos ennemis; votre comité vous propose donc encore de décréter que dès à présent les revenus des princes fugitifs seront séquestrés.

TOME VI.

8

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Quant aux fonctionnaires publics absents du royaume avant et depuis l'amnistie, voici le plan de votre comité.

Ceux qui ont abandonné leur poste avant la loi de l'amnistie ont commis un crime; mais elle l'efface. Si cette loi ne leur conserve point le droit de réclamer leurs places, elle ne le détruit pas d'une manière expresse (murmures); elle semble le faire dépendre de la conduite que tiendront ces fonctionnaires, de leur empressement à revenir dans le royaume: sous ce rapport, votre comité estime que ceux qui y sont rentrés dans le cours du mois précédent doivent jouir de leurs places et traitements. (Murmures.)

Mais les fonctionnaires publics, sortis du royaume sans cause légitime depuis leur serment, l'amnistie et l'acceptation du roi, ne méritent nulle indulgence; ils doivent dans tous les cas être privés de leurs places et traitements, et même de la qualité de citoyen actit. C'est ce que votre comité vous propose aussi d'admettre. Il y a joint un article qui assimile pour l'avenir l'officier qui déserte au soldat déserteur. (Applaudissements.) Il pense que l'on doit former des cours martiales pour juger les délits militaires commis depuis l'amnistie, et que les accusateurs publics doivent poursuivre les personnes qui ont enlevé les effets ou les deniers appartenant aux régiments français.

De toutes parts on débauche, on enrôle des Français et des étrangers pour les réunir aux rassemblements des rebelles : ce crime, que le code pénal n'a point prévu, est infiniment dangereux; votre comité pense qu'il doit être puni de mort.

Il estime aussi que l'assemblée nationale doit provisoirement suspendre la libre sortie hors du royaume des munitions de guerre, apprécier d'après l'expérience cette précaution politique, et l'écarter ou la maintenir selon les convenances.

Enfin votre comité est dans la persuasion que les puissances étrangères ou limitrophes, qui favorisent ou au moins permettent sur leur territoire les rassemblements qui nous inquiètent et nous offensent, oublient les rapports existant entre elles et la nation française; il croit que des mesures fermes et sages sont nécessaires à cet égard, que votre comité diplomatique doit les indiquer, et qu'il faut prier le roi de les prendre. (Applaudissements réitérés.)

L'assemblée décrète que le projet du comité sera immédiatement mis aux voix, et que la discussion aura lieu sans désemparer. Le décret, amendé dans plusieurs dispositions, fut, en effet, rendu le même jour, relu le lendemain, et définitivement adopté en

ces termes :

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