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troupes du côté des Pyrénées, ordonnés sous de ridicules prétextes, et dont la coïncidence avec la fuite du roi montre assez les véritables motifs? Vous rappellerai-je les outrages faits au seul de nos ambassadeurs qui ait montré une conduite patriote et digne du représentant d'une nation libre? N'avez-vous pas vu les magistrats de I'État de Berne verser le sang français, poursuivre comme un crime la célébration de l'anniversaire de notre révolution, punir une ville pour avoir chanté cet air qui déjà a frappé les oreilles de plusieurs peuples? et jusqu'à ce gouvernement de Venise, qui n'est qu'une comédie, n'a-t-il pas expulsé un négociant français pour son patriotisme, et l'amiral vénitien n'a-t-il pas outragé le pavillon français? Jusqu'à ces petits princes d'Allemagne, dont l'insolence, dans le siècle dernier, fut foudroyée par le despotisme, n'ont-ils pas prêté une hospitalité coupable à des rebelles, tandis qu'ils persécutaient les patriotes? Jusqu'à Genève, cet atome de république (on applaudit), que tout aurait dû porter à adorer et à suivre la révolution française; l'aristocratie de cette république n'a-t-elle pas fait les efforts les plus coupables pour protéger nos contre-révolutionnaires? N'a-t-on pas vụ les magistrats border de canons les murs de Genève, sous le prétexte de se défendre contre l'armée imaginaire de la propagande, mais bien plutôt pour en défendre l'entréc aux patriotes? Enfin, jusqu'à cet évêque de Liége, qui appesantit son joug sur un peuple qui devrait être libre, sans l'indifférence d'une nation puissante qui aurait pu le secourir, n'a-t-il pas refusé de recevoir notre ambassadeur, sous le prétexte qu'il appartenait à une société célèbre dans les fastes de notre révolution.

On insultait ici les Anglais qui admiraient notre constitution, tandis que l'Angleterre était occupée à calmer les esprits dans le congrès de Ratisbonne.

Que doit-on penser des ordres donnés pour le rassemblement des troupes sardes et espagnoles? Pourquoi la paix du Nord a-t-elle été conclue dans le moment où la Russie allait recueillir les fruits de la guerre? Pourquoi cet enthousiasme unique, ce rapprochechement entre l'empereur et le roi de Prusse? Pourquoi cette liaison inouïe et monstrueuse? Est-il vrai que dans cette fameuse entrevue de Pilnitz les plénipotentiaires aient juré la ruine de la constitution française; que le roi de Prusse, comme électeur de Brandebourg, ait fait la même déclaration à la diète de Ratisbonne? Pourquoi la Russie a-t-elle publié qu'elle regardait comme sa propre cause la cause des fugitifs français? Est-il vrai qu'elle leur ait fourni ostensiblement des secours; qu'elle ait envoyé aux rebelles un député extraordinaire? Pourquoi a-t-elle défendu à

l'ambassadeur français de sortir publiquement? Pourquoi l'entrée de la cour lui a-t-elle été fermée. Que signifie ce congrès d'Aixla-Chapelle, qui se propose de réformer, à son gré, notre constitution, et qui se forme malgré la déclaration du roi? Pourquoi l'empereur, qui a donné des ordres pour qu'on respecte le pavillon français, protége-t-il le rassemblement des révoltés? Pourquoi le roi de Prusse a-t-il ordonné l'inspection de ses troupes et ne les réduit-il pas? Pourquoi le cordon des troupes sardes et espagnoles croît-il tous les jours?

Il importe que nous soyons promptement instruits des motifs de ces rassemblements, afin que nous prenions des mesures grandes, généreuses et dignes de la nation que nous représentons.

Je ne me permettrai pas d'anticiper sur les réponses qui vous seront faites, mais je dis que, jusqu'à ce jour, les Français n'ont pas cessé d'être insultés ; que jusqu'à ce jour les princes étrangers n'ont pas cessé de fournir des secours aux rebelles; je dis que vous devez forcer les puissances étrangères à chasser les Français rebelles de leurs États, ou à leur donner une protection ouverte. En effet, deux partis se présentent : ou elles rendront hommage à votre nouvelle constitution, ou elles se déclareront contre elle. Dans le premier cas, celles qui favorisent actuellement les émigrants seront forcées de les expulser; dans le second cas, il se présente encore une alternative: ou elles prendront le parti d'attaquer la constitution à force ouverte, ou elles adopteront le parti d'une médiation à main armée. Dans toutes les hypothèses vous devez vous préparer à déployer toutes vos forces. Dans le cas de refus ou de médiation armée, vous n'avez pas à balancer, il faudra attaquer vous-mêmes les puissances qui oseront vous menacer. (Une partie de l'assemblée et les tribunes applaudissent.) Dans le dernier siècle, lorsque le Portugal et l'Espagne offrirent un asile à Jacques II, l'Angleterre attaqua l'un et l'autre. L'image de la liberté, comme la tête de Méduse, effrayera les armées de nos ennemis : ils craignent surtout d'être abandonnés de leurs soldats, voilà pourquoi la médiation armée sera probablement le parti qu'ils prendront; et la résurrection de la noblesse, et ces erreurs de la constitution anglaise, et le rétablissement de tous les anciens priviléges seront les bases des réformes qu'ils vous proposeront. Mais vous seriez indignes de la liberté si vous faiblissiez par la crainte des menaces; mais vous anéantiriez la constitution dans son principe le plus sacré, puisque toute modification serait le produit de la force, et non de la volonté générale; et si vous consentez à une première modification, qui répondra que vous ne vous croirez pas obligés d'en accorder une se

conde? Quelle stabilité que celle d'une constitution qui reposerait sur la foi de garants étrangers!

Le peuple anglais aime votre révolution, le gouvernement la hait; mais à Dieu ne plaise que je veuille vous environner de terreurs... Je dois vous rassurer sur la conduite de la cour autrichienne, son chef aime la paix, a besoin de la paix; l'épuisement produit par la dernière guerre, la médiocrité de ses revenus, le caractère remuant de ses sujets, les dispositions des troupes qui ont déjà pressenti la liberté, et qui se sont livrées à des insurrections, la crainte de leur donner un exemple funeste, tout fait à Léopold la loi de ne point déployer la force des armes. Quant à cette princesse, dont l'aversion contre la constitution française est connue, qui ressemble par quelque beauté à Élisabeth, elle ne doit pas attendre plus de succès qu'Elisabeth n'en a eu dans la révolution de Hollande. A peine subjugue-t-on les esclaves à quinze cents lieues, on ne soumet pas les hommes libres à cette distance. (On applaudit.) Je dédaigne de parler des autres princes; je ne compterai pas sur la liste de nos ennemis ce roi (le roi de Suède) qui n'a que 25 millions de revenu, et qui en dépense les deux tiers pour payer mal une armée nombreuse d'officiers généraux et un petit nombre de soldats mécontents. (On applaudit.) Je crois donc que la France, soit qu'elle porte les yeux au dehors, soit qu'elle considère sa situation intérieure, doit concevoir des espérances, et qu'il est temps d'effacer l'avilissement dans lequel l'insouciance ou la pusillanimité l'ont plongée; il est temps de lui donner une attitude imposante, de faire respecter les personnes et les propriétés. Sans doute vous avez déclaré aux puissances étrangères que vous n'entreprendriez plus de conquêtes; mais vous avez le droit de leur dire: Nous respectons votre constitution, respectez la nôtre: si vous préférez à l'amitié d'une grande nation vos relations avec quelques rebelles, attendez-vous à des vengeances. La vengeance d'un peuple libre est lente, mais elle frappe sûrement. (On applaudit à plusieurs reprises.)

Mais avant de faire cette déclaration, il vous faut des faits certains; il faut donc ordonner au ministre des affaires étrangères de mettre sous les yeux du comité diplomatique les renseignements qui lui sont pervenus, de faire connaître la manière dont a été faite la notification aux puissances étrangères de l'acceptation du roi. Alors vous distinguerez les agents du pouvoir exécutif qui ont rempli leur mission, et ceux qui l'ont trahie. Les mystères de notre équivoque diplomatie seront peut-être dévoilés, et vous y découvrirez la source de ces menaces, de cette terreur dont on nous a en

vironnés. Peut-être les rassemblements de Coblentz n'existeraientils plus si le ministre avait envoyé aux puissances étrangères des hommes profondément révolutionnaires, de ces hommes qui, le pistolet sur le sein, se tiennent devant les tyrans dans l'attitude de la liberté. (On applaudit.) La diplomatie se purifiera comme toutes les autres parties du gouvernement; mais, en attendant, le salut public vous ordonne de prendre toutes les mesures qui intéressent la sûreté de l'État et la dignité de la nation française, car qui ne se fait pas respecter cesse bientôt d'être libre.

Ce discours excita de vifs applaudissements. Un membre s'opposait à l'impression, parce que Brissot, en parlant des frères de Louis XVI, avait dit : les ci-devant princes français. « Le mot cidevant sera supprimé, répondit Brissot, je l'ai prononcé par mégarde. » L'impression fut décrétée à l'unanimité.

Couthon prit ensuite la parole: il demanda que Monsieur fût déclaré déchu de ses droits à la régence. Mathieu Dumas termina la séance par un long discours, dans lequel il rappela l'opinion de Mirabeau sur les émigrations; il s'éleva contre les flatteurs du peuple, et déclara que l'assemblée devait se borner à rendre une loi pour punir la désertion des officiers et des fonctionnaires publics.

La discussion fut reprise le surlendemain 22. Koch chercha à prouver qu'on n'avait rien à craindre, ni des émigrés, ni des puissances. Un député du Haut-Rhin présenta la même opinion. Rougier la Bergerie proposa de déclarer déchus des droits politiques tous les émigrés non rentrés dans l'espace de trois mois. Dubois-Dubay demanda la question préalable contre toutes les lois sur l'émigration. Voisard pensa qu'il fallait lancer contre les princes un acte d'accusation, et traduire devant les cours martiales les officiers déserteurs. Thorillon conseilla un nouveau délai pour la rentrée des émigrés. Pyro réclama l'assujettissement de leurs propriétés à une triple imposition. Aubert-Dubayet examina l'état des divers cabinets de l'Europe, et proposa d'inviter le roi à agir auprès des puissances étrangères pour obtenir la dissolution des rassemblements d'émigrés, la cessation des enrôlements et des préparatifs hostiles. Jaucourt combattit quelques idées de Brissot, et tous les projets de loi contre l'émigration; il proposa d'ajourner la discussion à un mois, disant que Louis XVI aurait ainsi le temps d'épuiser les moyens de conciliation pour faire rentrer les princes et les émigrés. Le même jour l'assemblée entendit une adresse de la société Fraternelle des Halles, qui déclarait la patrie en danger, et présentait un projet de loi contre les émigrés.

SEANCE DU 25 OCTOBRE. Un député du Jura certifie la tranquillité de l'État de Berne, et vante la conduite amicale de la république de Genève. Fauchet allègue contre ces assertions les persécutions suscitées par les États de Berne à des officiers pour avoir célébré l'anniversaire de la révolution française. Roujoux ne craint rien de l'orgueil impuissant des émigrés; il ne pense pas qu'ils conspirent contre une patrie où ils ont laissé leurs familles et leurs propriétés pour otages; il demande qu'on séquestre seulement les biens des fonctionnaires publics qui ne seront pas rentrés dans un mois. Après lui, Condorcet monta à la tribune.

M. Condorcet. C'est une grande erreur que de croire que l'intérêt commun ne soit pas d'accord avec l'exercice des droits des individus, que le salut public puisse commander une injustice. Cette maxime a toujours été le prétexte de toutes les tyrannies. Nous avons juré de maintenir la constitution : ce serment comprend la déclaration des droits, et les conséquences générales des principes qu'elle renferme, Ainsi, nous devons avoir sans cesse sous les yeux ces principes sacrés, reconnus par la loi française, et défendus, contre les sophismes qui voudraient les éluder, par toute l'autorité de la volonté générale.

Ainsi, avant de chercher ce qu'il peut être à propos de faire, je chercherai ce que vous pouvez faire.

La nature accorde à tout homme le droit de quitter son pays; la constitution le garantit à tout Français, et vous ne pouvez y porter atteinte. L'homme doit pouvoir user de cette liberté, sans que son absence le prive de ses droits.

Tout homme a le droit de changer de patrie. Dès ce moment devenu citoyen d'une nouvelle patrie, il ne l'est plus de la première; mais il est une première question à examiner. Ce citoyen se trouvet-il, par sa seule renonciation, privé de toute obligation; je ne parle pas de ces obligations morales auxquelles on est tenu, même envers une patrie injuste; mais je parle des obligations sociales, et je dis qu'on ne peut, quoique devenu citoyen d'une nouvelle patrie, prendre les armes contre son pays. J'ajoute que chaque nation a le droit de déterminer le délai après lequel toutes ces obligations cessent : nier ce principe, ce serait briser tous les liens sociaux.

Dans l'ordre ordinaire et commun, tout citoyen émigrant ne doit pas être censé quitter son pays. On doit attendre qu'il en ait montré la volonté formelle, et l'on ne doit le regarder comme ennemi que lorsqu'il a pris les armes contre son pays. Mais quand l'émigration est telle, qu'elle se fait simultanément, de la part d'un grand nombre d'individus qui quittent leur pays pour aller dans des contrées étran

TOME VI.

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