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tous les droits de la liberté et de la propriété. Il devait se flatter que tous les Français seconderaient ses desseins: cependant c'est à cette même époque que les émigrations ont semblé se multiplier. Une foule de citoyens abandonnent leur pays et leur roi, et vont porter chez les nations voisines des richesses que sollicitent les besoins de leurs concitoyens : ainsi, lorsque le roi cherche à rappeler la paix et le bonheur qui la suit, c'est alors que l'on croit devoir l'abandonner et lui refuser les secours qu'il a droit d'attendre de tous. Le roi n'ignore pas que plusieurs citoyens, des propriétaires surtout, n'ont quitté leur pays que parce qu'ils n'ont pas trouvé dans l'autorité des lois la protection qui leur était due: son cœur a gémi de ces désordres. Ne doit-on rien pardonner aux circonstances? Le roi luimême n'a-t-il pas eu des chagrins? Et lorsqu'il les oublie, pour ne s'occuper que du bonheur commun, n'a-t-il pas le droit d'attendre qu'on suive son exemple?

Comment l'empire des lois s'établirait-il, si tous les citoyens ne se réunissent pas auprès du chef de l'État? Comment un ordre stable et permanent peut-il s'établir et le calme renaître, si, par un rapprochement sincère, chacun ne contribuc pas à faire cesser l'inquiétude générale? Comment enfin l'intérêt commun prendrat-il la place des intérêts particuliers, si, au lieu d'étouffer l'esprit de parti, chacun tient à sa propre opinion et préfère de s'exiler à céder à l'opinion commune?

Quel sentiment vertueux, quel intérêt bien entendu peut donc motiver les émigrations? L'esprit de parti, qui a causé tous nos malheurs, n'est propre qu'à les prolonger.

Français, qui avez abandonné votre patrie, revenez dans son sein. C'est là qu'est le poste d'honneur, parce qu'il n'y a de véritable honneur qu'à servir son pays et à défendre les lois. Venez leur donner l'appui que tous les bons citoyens leur doivent elles vous rendront, à leur tour, ce calme et ce bonheur que vous chercheriez en vain sur une terre étrangère. Revenez donc, et que le ceur du roi cesse d'être déchiré entre ses sentiments, qui sont les mêmes pour tous, et les devoirs de la royauté, qui l'attachent principalement à ceux qui suivent la loi. Tous doivent le seconder lorsqu'il travaille pour le bonheur du peuple. Le roi demande cette réunion pour soutenir ses efforts, pour être sa consolation la plus chère; il la demande pour le bonheur de tous. Pensez aux chagrins qu'une conduite opposée préparerait à votre roi; mettez quelque prix à les lui épargner; ils seraient, pour lui, les plus pénibles de - Fait à Paris, au conseil d'État, le 14 octobre 1791. SiEt plus bas Par le roi, signé Delessart. : - Pour

tous.
gné, Louis.

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copie conforme à l'original écrit de la main du roi, signé DELES

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Ces actes furent accueillis par la presse révolutionnaire avec quelque étonnement et surtout avec méfiance. Elle y chercha un motif secret; elle fit remarquer qu'ils ne contenaient que des invitations douces, bienveillantes, et, en quelque sorte, amicales; que, par suite, ils n'avaient pas la signification d'une désapprobation formelle. Elle insinua enfin que cette démarche était plus propre à encourager l'émigration qu'à l'empêcher. (Révolutions de Paris.)

Cette mesure, si contraire à la conduite passée de Louis XVI et aux dispositions qu'on devait, en conséquence, lui supposer, était cependant parfaitement conforme au nouveau parti qu'il avait choisi. Voici ce que nous apprend à cet égard Bertrand de Molleville, dans son Histoire de la Révolution :

« Il était aisé de juger au ton de l'assemblée qu'elle était composée, en grande partie, des plus violents révolutionnaires du royaume. Tel devait nécessairement être le résultat de la disposition des esprits à l'époque des élections, et surtout de la forme dans laquelle il y fut procédé. On calcula avec assez d'exactitude que la réunion des revenus de la totalité des députés ne montait pas à 500,000 livres. La classe des propriétaires, aussi misérablement représentée, devait bien s'attendre que ses intérêts seraient toujours sacrifiés. La monarchie courait de bien plus grands dangers: il n'y avait pas, en effet, un royaliste pur dans cette assemblée; on n'y voyait que des constitutionnels et des républicains, et on apercevait déjà entre ces deux partis la même aigreur et le même acharnement qui avaient divisé le côté droit et le côté gauche dans la première assemblée.

« Cette circonstance offrait, néanmoins, une chance favorable dont il était possible de tirer un grand parti. L'insolence des nouveaux députés, le désordre et l'indécence grossière de leurs premières séances avaient révolté les citoyens de toutes les classes; il ne s'agissait que d'entretenir adroitement le discrédit, et, pour cet effet, d'épier avec soin toutes les infractions à la constitution, dans lesquelles l'ignorance ou l'impéritie de l'assemblée ne pouvait pas manquer de l'entraîner; de faire relever les plus légères par quelques journalistes affidés, et de s'opposer avec éclat aux plus graves par des réclamations énergiques ou par des messages. Il fallait, en même temps, employer tous les moyens possibles pour augmenter la popularité du roi le plus efficace et le plus utile de tous, dans ce moment, était de rappeler les émigrés; leur retour,

généralement désiré, aurait fait revivre en France le parti royaliste, que l'émigration avait entièrement désorganisé. Ce parti, fortifié par le discrédit de l'assemblée et recruté par les nombreux déserteurs du parti constitutionnel et par tous les mécontents, serait bientôt devenu assez puissant pour rendre décisive, en faveur du roi, l'explosion plus ou moins prochaine à laquelle il fallait s'attendre.

« M. de Montmorin, à qui je fis part de ces idées, les approuva entièrement, et m'y confirma d'autant plus qu'il me montra, dans sa correspondance secrète avec les cours étrangères, les preuves les plus positives que, depuis l'acceptation de la constitution, les principales puissances de l'Europe avaient abandonné tout projet dé s'armer contre la France, et que les émigrés, dont on entretenait encore les espérances vagues ou conditionnelles, ne recevraient aucun secours qui les mît en état de rien entreprendre. Nous nous arrêtâmes donc à ce plan. Comme son exécution se réduisait, pour le moment, à une proclamation adressée aux émigrés et à une lettre du roi aux officiers, et que les autres ministres nous avaient déjà paru non-seulement convaincus de la nécessité de ces démarches, mais même décidés à les proposer eux-mêmes, nous pensâmes qu'il était inutile, et qu'il serait peutêtre imprudent de nous expliquer plus ouvertement avec eux. Nous convînmes même de laisser ignorer au roi nos conjectures et nos espérances: sa fidélité scrupuleuse pour le serment qu'il avait prêté à la constitution aurait pu s'en alarmer (1). M. Delessart lut au conseil un projet de proclamation adressée aux émigrés; il fut adopté, sauf quelques légères corrections, et le roi chargea M. Duportail et moi de rédiger, dans le même sens, deux lettres que Sa Majesté se proposait d'adresser aux officiers de l'armée et à ceux de la marine. M. Delessart représenta que, pour anéantir définitivement tous les doutes sur la sincérité du roi, il serait important que Sa Majesté se déterminât à écrire de sa main une lettre ostensible aux princes ses frères pour les inviter à rentrer. « Je crois bien, répondit le roi, que cette lettre pourrait faire ici un bon effet, mais non auprès de mes frères, parce qu'ils sont convaincus

(1) Cette assertion est inexacte; elle est contradictoire à ce que dit Bertrand de Molleville, dans le passage de ses Mémoires cité dans l'Introduction. Pour expliquer cette contradiction, il faut savoir que ses Mémoires furent écrits les premiers. On reprocha à l'écrivain la naïveté de son royalisme; on lui dit qu'il avait parlé, comme l'abbé Royou, avec une franchise qui nuisait à la cause qu'il voulait défendre. Bertrand de Molleville se corrigea dans son second ouvrage, qui est l'Histoire de la Révolution, dont ce dernier passage est extrait.

que je ne suis pas libre, et que toutes mes démarches sont forcées; mais je leur ferai parvenir mes conseils par une voie à laquelle ils auront plus de confiance. »>

Ainsi, en cherchant à arrêter l'émigration et en rappelant les émigrés, la cour agissait d'abord dans l'intérêt de capter l'opinion publique par une démarche qui était complétement dans le sens de la révolution, et ensuite dans l'intérêt plus grand encore de conserver, à la tête des troupes, des officiers sur lesquels on pût compter dans les éventualités qu'on prévoyait, et de maintenir dans l'intérieur, mêlés à la vie politique, les hommes que leur royalisme en éloignait.

En effet, le nombre des émigrés, peu considérable en 1790, s'était notablement accru dans les premiers mois de 1791, et depuis l'événement de Varennes l'émigration était devenue une mode à laquelle toute la noblesse se livrait avec passion. Une partie seulement d'entre les émigrés se rendait en Belgique; le plus grand nombre allait rejoindre le comte d'Artois et le prince de Condé, établis dès le mois de juin, le premier à Coblentz dans un domaine de l'électeur de Trèves, le deuxième à Worms sur le territoire de l'électeur de Mayence. Ce n'étaient pas d'ailleurs seulement des nobles qui se rendaient à Coblentz et à Bruxelles : il y avait aussi beaucoup de bourgeois, et l'on ne saurait dire que ce fut le sentiment de la peur qui éloignait ceux-ci; car un grand nombre d'entre - eux se présentèrent pour entrer dans les troupes que les princes organisaient. Selon l'auteur des Mémoires secrets, il n'y avait pas moins de 21,000 Français à l'étranger, sur lesquels on comptait environ 12,000 nobles et 9,000 bourgeois.

La situation des émigrés était bien différente, selon le lieu de retraite qu'ils avaient choisi. Partout, au moment où nous sommes, ils travaillaient à s'organiser en corps militaires réguliers. Dans les cercles d'Allemagne, à Worms et à Coblentz, ils trouvèrent toutes les facilités possibles, tandis qu'en Belgique le gouvernement défendit ces réunions armées, et s'opposa à ce qu'ils fissent l'exercice, même sans armes.

Une portion du régiment de Berwick-Irlandais, qui avait émigré au mois d'août, une légion que le vicomte de Mirabeau avait obtenu de lever avec les fonds que les princes lui avaient fournis, un corps de cavalerie composé de 300 gentilshommes que le comte de Busoy mettait sur pied, formaient alors le premier noyau de l'armée royaliste. (D'Ecquevilly, Campagnes du prince de Condé.) En général, on s'appliquait à rétablir, sous leurs anciens noms, les anciens corps de l'armée française. On avait réorganisé la maison militaire

du roi sur le pied ou elle se trouvait avant les réformes du comte de Saint-Germain; elle se composait déjà de onze cents cavaliers, selon les annonces emphatiques que Royou insérait dans l'Ami du Roi, qu'il publiait cependant à Paris (numéro du 21 octobre). M. d'Allonville, l'auteur des Mémoires secrets, obtint l'autorisation de former à Trèves le régiment de Champagne.

Un enthousiasme remarquable régnait parmi les émigrés. On ne doutait pas du succès d'une campagne contre la France, contre des milices qu'on croyait trouver mal exercées et mal commandées. On ne doutait pas de l'appui des puissances étrangères. Nous avons vu, cependant, que, dans les calculs secrets de la diplomatie, il avait été décidé que ces secours seraient ajournés. De là venaient les obstacles opposés aux réunions armées de l'émigration dans les États d'Autriche, à Bruxelles. Cependant les puissances ne voulaient pas décourager les émigrés : s'il convenait d'ajourner une manifestation décisive, il convenait aussi de conserver ce précieux moyen d'action.

Le roi de Prusse continuait à recevoir les agents que Monsieur avait accrédités; l'impératrice de Russie avait elle-même acerédité auprès des princes français le feld-maréchal comte Romanzow. Comment, d'après ces marques publiques d'intérêt, les émigrés eussent-ils douté des dispositions des rois de l'Europe? D'ailleurs, ils jouissaient de toute liberté dans les cercles allemands, et les princes, leurs chefs, faisaient tout leur possible pour entretenir leur confiante ardeur. Monsieur était venu s'établir à Coblentz avec sa maîtresse et sa femme. Il y avait un entourage considérable; il y avait, en quelque sorte, transporté la cour de France. Quand l'enthousiasme paraissait baisser, on imaginait des nouvelles favorables à la cause commune ainsi, une fois, on alla jusqu'à annoncer que Louis XVI avait, de nouveau, réussi à se sauver. Enfin, et en notant ce fait nous anticipons un peu sur le temps, on jugea utile de créer un journal de l'émigration. Ce fut un nommé Suleau qui fut chargé de la rédaction. Son premier numéro parut le 20 novembre 1791. Ce journal changea plusieurs fois de titre; il s'appela tantôt Journal des Princes, tantôt Journal de la Contre-Révolution, et, en définitive, Journal de Suleau. Ce dernier titre lui fut imposé; car cet écrivain, qui se vantait de son honorable roture, commettait de nombreuses imprudences, et attaquait souvent des personnages qu'il eût fallu ménager. Ainsi, dans son impatience, il gourmandait le prince de Kaunitz, le principal ministre de l'empereur; il lui reprochait ses tergiversations, ses terreurs paniques, ses ambiguïtés, son machiavélisme, digne de la vieille tactique autri

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