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que le retour de l'ancien régime tout entier, et mettaient leur espoir dans l'émigration et dans l'appui des puissances étrangères. Enfin, les anciens constitutionnels de la constituante, ou les feuillants, regrettaient de n'avoir pu introduire dans la constitution quelques-unes des modifications qu'ils avaient méditées dans l'intérêt du pouvoir royal, telles, entre autres, que le système des deux chambres et le droit pour le roi de dissoudre le corps législatif. La cour même comptait sur leur appui pour obtenir ces changements dans un avenir qu'elle croyait prochain, et plusieurs d'entre eux en effet employèrent leur influence personnelle afin d'inspirer cette tendance aux nouveaux législateurs.

Quant à la législative elle-même, elle contenait la représentation de tous les partis, sauf celui de la résistance ouverte, l'ancien côté droit. Personne d'ailleurs, dans son sein, n'était dévoué à la constitution par le sentiment qui attache ordinairement les hommes aux ouvrages sortis de leurs mains. Nous verrons en effet, par la suite, que la conservation de la constitution ne fut presque toujours qu'un moyen ou plutôt un prétexte, et non pas un but, pour les diverses fractions de cette assemblée. On a beaucoup reproché à la constituante d'avoir décrété la non-rééligibilité de ses membres et de s'être interdit ainsi à elle-même la faculté de protéger son ouvrage; mais il ne faut pas oublier que cette décision, regardée par tout le monde comme une faute, fut l'œuvre des partis extrêmes, qui voulaient affaiblir autant que possible le nouvel état de choses, afin d'en faire sortir une conclusion dont chacun d'eux attendait la réalisation de ses espérances ou de ses idées. Aussi, les verra-t-on agir, dans la période dont nous allons raconter l'histoire, comme s'ils n'étaient entrés dans la nouvelle assemblée que pour combattre et pour détruire.

Les dispositions que nous venons de décrire étaient loin cependant d'être générales en France. Lorsqu'on sortait du milieu des hommes qui, soit par leurs fonctions, soit par leurs intérêts, soit par l'ardeur de leurs convictions, avaient été mêlés au mouvement politique, on ne trouvait plus qu'un profond attachement pour les conquêtes de la révolution, l'amour du bien et un vif désir de consolider la victoire, mêlés aux doutes et aux craintes qu'inspiraient les manifestes des royalistes ou plutôt des aristocrates. Cet état de l'opinion se révéla clairement dans les élections de Paris. Les partis firent de grands efforts pour les dominer. Une discussion publique s'établit sur les candidats, et s'attacha surtout aux hommes qui avaient marqué d'une manière assez éminente pour qu'on les prît en quelque sorte pour des chefs d'opinion. Il semblait que

l'on crût que l'option des électeurs à l'égard de leurs personnes déciderait de la couleur de l'élection tout entière et que l'un d'eux ayant une fois obtenu la majorité, le reste s'ensuivrait et les voix seraient acquises à tous ses partisans. Brissot et Condorcet, mais surtout Brissot, parmi les révolutionnaires, furent particulièrement attaqués et vivement défendus. Les journaux commencèrent la guerre; puis, à mesure que l'élection approchait, on vit se multiplier les placards affichés sur les murs de la ville. C'était un conflit d'accusations, de réponses, de récriminations, d'injures, propre à fatiguer les yeux et les oreilles de tout le monde. Ce ne fut pas tout; il se forma, parmi les électeurs, deux assemblées préparatoires, l'une dans le sens jacobin, l'autre dans le sens constitutionnel. Cependant tous ces préliminaires n'influencèrent pas beaucoup le corps électoral lui-même. Il paraît par le résultat qu'il s'appliqua à choisir les hommes véritablement éminents, quelle que fùt leur couleur. Ainsi la députation de Paris se trouva composée de Brissot, Monneron, Filassier, l'abbé Mulot, Broussonnet, Condorcet que l'on comptait alors parmi les jacobins, et de Pastoret, Lacépède, Garran de Coulon, Beauvais, Cérutti, Bigot de Préameneu, Gouvion, Cretté de Palluel, Gorguereau, Thorillon, Hérault de Séchelles, Godard, Quatremère de Quincy, Boscary, Ramond, Robin, Debry, Treilh Pardailhan, parmi lesquels il y avait des constitutionnels et même des royalistes. Les huit suppléants furent Lacretelle, Alleaume, Clavières, Kersaint, le curé Demoy, Dussaulx, Billecoq et enfin le curé Collard. Il n'est pas sans intérêt de remarquer que Danton, qui s'était présenté, fut repoussé; ce qui irrita fort le futur tribun.

Les élections de Paris furent l'image de ce qui se passa en général dans les départements. Les électeurs, tout en repoussant les ennemis de la révolution, s'occupèrent surtout de choisir les hommes qu'ils croyaient les plus propres à remplir les hautes fonctions qui devaient leur être confiées. Dès l'instant où le candidat avait fait preuve de dévouement au nouvel ordre de choses, la question d'opinion paraît avoir été presque constamment subordonnée à celle de la capacité. Il résulta de là que presque dès le premier jour de la session, l'assemblée se partagea en trois côtés : le côté droit, composé des royalistes constitutionnels, dont firent partie Vaublanc, Quatremère, Beugnot, Dumas, Jaucourt, etc.; le centre, qui était de beaucoup la partie la plus nombreuse, où s'assirent entre autres, Pastoret, Bigot de Préameneu, Cérutti, Lacuée, etc., et auquel on donna bientôt injurieusement le nom de ventre; enfin la gauche, subdivisée en deux fractions : l'une qui occupait les bancs

inférieurs (la future Gironde), l'autre, placée sur les bancs les plus élevés, qui s'appela plus tard la Montagne. (Mém. du comte de Vaublanc.)

Cette division, qui nous montre dans quel esprit de conciliation avaient opéré les électeurs, nous fait voir en même temps que toutes les opinions, sauf celle de l'émigration, étaient représentées dans l'assemblée. La composition en était telle en conséquence qu'aucun parti, soit qu'il voulût modifier, soit qu'il voulût conserver ce qui était, ne pouvait considérer ses espérances comme absolument dépourvues de chance et d'avenir. Or, cette confiance existait.

« Représentants, disait le rédacteur du journal des Révolutions de Paris, représentants d'un peuple qui n'est point libre encore, mais qui n'a pas perdu l'espoir de le devenir, souffrez qu'il vous rappelle vos obligations; elles sont plus grandes que vous ne pensez. Votre tâche, moins brillante, est plus difficile que celle de vos prédécesseurs; ils n'ont pas tout fait, puisqu'ils vous laissent tant de choses à défaire! Les dangers qu'ils ont courus étaient moindres que ceux qui vont vous assaillir. De leur temps le despotisme se montrait à découvert; il prend aujourd'hui le masque de la popularité. Vos prédécesseurs n'avaient qu'un ennemi; bientôt peut-être vous en aurez deux, le despotisme et le peuple. Remarquez-vous que déjà la cour cherche à se coaliser avec le peuple qui fit toute la force de la première assemblée, et qui peut-être servira d'instrument aveugle contre la seconde? La nation est fatiguée; si vous n'y prenez garde, elle est prête à retourner à ses anciennes habitudes... C'est à vous à rappeler ces premiers moments d'énergie dont le souvenir seul fait pâlir la cour... Surtout, n'allez pas, à l'instar de Cérutti, regarder la constitution comme le nec plus ultra de la sagesse humaine!... La constitution est comme le mouvement tout neuf d'une montre, que des ouvriers ont fabriqué à la hâte et ajusté tant bien que mal. Sitôt que la première heure a sonné, on a crié miracle! Mais ce mouvement, pour fournir la carrière sans erreur, demande à être repassé avec soin... Vous êtes ces hommes que nous chargeons de régler la constitution, d'en faire l'épreuve; et, n'en déplaise à Sa Majesté, qui désirait voir nos anciens législateurs encore quelque temps en place pour essayer eux-mêmes leur ouvrage, il était urgent et il est bon que d'autres mains, des mains plus sûres soient chargées de cette besogne délicate et indispensable... Ne craignez point de marcher devant nous à grands pas. Nous vous suivrons; nous vous soutiendrons; nous périrons plutôt que de souffrir une atteinte à la sagesse de vos lois, à la sûreté de vos personnes. La première assemblée nationale avait besoin d'une im

pulsion; elle l'a reçue du peuple; mais le peuple, à son tour, avait besoin d'être retenu à la même hauteur, où il s'était élevé subitement de lui-même. Voilà le tort de cette assemblée; elle a fait retomber le peuple, et c'est en cet état que vous le trouvez en ce moment. Ayez des yeux pour lui; et il aura encore des bras pour vous!» (Révolutions de Paris, no CXVII.)

Voilà ce que publiait le plus accrédité et le plus sage des journaux révolutionnaires dans son premier numéro d'octobre. C'était dire assez clairement qu'il n'avait point renoncé à ses méfiances à l'égard de la cour et qu'en outre, à ses yeux, la révolution était incomplète. Il ne se trompait pas au reste sur les intentions de Louis XVI. Elles étaient bien telles que nous l'avons déjà annoncé. Si ce fait avait besoin d'une nouvelle confirmation, on la trouverait dans le passage suivant des Mémoires de Bertrand de Molleville, qui venait d'être nommé ministre de la marine, en remplacement de Thévenard. Il est relatif à la première entrevue qu'il eut avec le roi. (Bertrand de Molleville, ami de Montmorin, passait alors pour constitutionnel, mais il était complétement dévoué à la cour.)

« C'était la première fois que j'avais l'honneur de parler à Sa Majesté, et de me trouver tête à tête avec elle. Je fus d'abord si troublé que, si c'eût été à moi de parler le premier, j'eusse été incapable de proférer une parole. Je repris bientôt courage en voyant le roi encore plus embarrassé que moi-même; il bégaya quelques mots sans liaison, mais, me voyant plus à mon aise, il se remit, et notre conversation ne tarda pas à devenir intéressante.

« Après quelques observations générales sur la difficulté et le danger des affaires publiques, le roi me dit : Fort bien! avezvous d'autres objections à me faire?

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- Non, Sire, répondis-je, le désir d'obéir et de plaire à Votre Majesté est le seul sentiment que j'éprouve; mais, désirant savoir si je pourrais vous être de quelque utilité, j'espère que Votre Majesté aura la condescendance de m'instruire de ses sentiments sur la nouvelle constitution, et de la conduite qu'elle attend de ses ministres, relativement à cette même constitution.

((- Rien de plus juste, dit le roi. Voici donc ce que je pense. Je suis fort éloigné de regarder la constitution comme un chefd'œuvre; je crois qu'elle a de grands défauts, et, s'il m'avait été permis de faire des observations, quelques changements avantageux auraient peut-être été adoptés. Mais à présent il ne s'agit plus de cela; j'ai juré de la maintenir telle qu'elle est, et je suis déterminé, comme je le dois, à remplir plus strictement mon serment. Mon opinion est que l'exécution littérale de la constitution est le meilleur

moyen de faire connaître à la nation les changements dont elle est susceptible je n'ai et ne puis avoir d'autre plan que celui-là; je ne m'en éloignerai certainement pas, et je désire que mes ministres n'en suivent pas d'autre.

« Je répondis: - Votre plan, sire, me paraît extrêmement sage... mais, ajoutai-je, qu'il me soit permis de vous demander si la manière de penser de la reine, sur ce sujet, est la même que celle de Votre Majesté.

((- Oui, absolument, elle vous le dira elle-même.

<«< Un instant après je me rendis à l'appartement de la reine. Après m'avoir assuré, avec la plus grande bonté qu'elle était aussi reconnaissante que le roi du service que je lui rendais d'accepter une place dans l'administration, malgré la difficulté des circonstances, elle ajouta : « Le roi vous a fait part de ses intentions relativement à la constitution; ne pensez-vous pas que le seul plan à suivre est celui d'être fidèle à son serment?

((- Oui, certainement, madame.

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Soyez bien assuré que rien ne nous fera changer de résolution. Allons, du courage, monsieur Bertrand. Avec un peu de patience, de la fermeté et de la tenue, j'espère que vous trouverez que tout n'est pas encore perdu. »>

Thévenard, en remettant à Bertrand de Molleville le portefeuille de ministre de la marine, lui exprima une pensée qui rentrait dans celle du roi. « A présent, dit-il, le pire est fait; cette nouvelle assemblée sera plus traitable que la première. » ( Mémoire cité.)

« Qué peut-on attendre de cette nouvelle législature, disait de son côté l'Ami du Roi, que peut-on en attendre? Rien. Que peuton en redouter? Tout... Le salut du peuple est dans un prompt changement, dans la réintégration de la monarchie, d'un gouvernement qui le rende à des travaux nécessaires et pour nous et surtout pour lui-même. Or, ce changement ne peut être opéré par l'actuelle législature. Elle n'en aura ni la volonté, ni le pouvoir. Comment voudrait-elle détruire un état de choses où tout est profit pour elle?... Et quand elle le voudrait, elle ne le pourrait pas ! Elle sera inspectée par les clubs qui ne cesseront de dominer le royaume, qu'à l'instant où ils cesseront d'exister. Que chacun jette les yeux sur la ville qu'il habite et qu'il voie s'il y existe d'autre souverain que le club. Quelle force pourrait résister à celle de tous les intrigants, de tous les ambitieux, de tous les brouillons coalisés avec tous les va-nu-pieds, c'est-à-dire, avec la multitude, avec la pluralité absolue dans chaque cité?... Ces clubs sont les vrais et les seuls rois de France... Dans les très-grandes villes, ils ne forment

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