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curent; des huissiers même, indignés, vinrent me dire: Il faut dénoncer cet homme; c'est M. Dermigny. Dans la séance, plusieurs de mes collègues ont demandé la parole pour parler à ce sujet. L'un d'eux s'est servi d'une expression impropre (il avait appelé satellite le garde national provocateur); on a passé à l'ordre du jour. J'ai demandé moi-même la parole pour un fait particulier; M. le président m'a répondu qu'un fait particulier n'était pas à l'ordre du jour. »

« Cette circonstance, dit Bertrand de Molleville, fit présumer qu'il y avait moins de sincérité que de prudence dans l'adhésion de l'assemblée aux sentiments exprimés par son président en réponse au discours du roi. » Dans la matinée du 8, des députés furent de nouveau injuriés, mais en dehors du manége et par des gens du peuple. Ceux-ci faisaient-ils partie des bandes que salariait toujours la cour? Nous l'ignorons : les journaux ne donnent aucun détail. Mais il résulta de ce fait que l'assemblée revint, dans la séance du 8, sur l'affaire de la veille. Dermigny fut appelé à la barre de l'assemblée nationale : « On causait des affaires publiques auprès du poêle, dit-il, j'entendis parler contre la constitution... Je suis d'un caractère un peu vit. Je dis que si je connaissais quelqu'un qui voulût entamer la constitution, je serais son dénonciateur et son bourreau. Une personne me dit: Vous me menacez; je lui dis: Non; telle est mon intention; et si je croyais que la constitution ne pût pas tenir, j'irais m'enterrer sous une pierre. »

Après Dermigny, Garran-Coulon, Bazire et Dumas prirent la parole; enfin Goupilleau demanda que, pour terminer cette affaire, l'assemblée déclarât que, satisfaite des explications de M. Dermigny, elle passait à l'ordre du jour. Ce qui fut décrété en effet.

Tels furent les débuts de la législative. Une discussion entamée sur le règlement occupa la plus grande partie des séances jusqu'au 18 octobre. La question de savoir s'il serait établi des comités fut longuement agitée. On objecta que, dans la constituante, les comités s'étaient emparés de toutes les affaires et avaient exercé une sorte de domination. L'assemblée adopta le plan de Condorcet sur l'organisation des comités. Il y en eut vingt-deux composés de douze ou de vingt-quatre membres, élus pour trois ou six mois et renouvelés par moitié à l'expiration du temps déterminé. Les comités des rapports, des recherches et des affaires ecclésiastiques furent supprimés. Le comité de législation remplaça le célèbre comité de constitution de la constituante. Le règlement de celle-ci, pris pour base de la discussion, fut adopté en grande partie. Le 15, un décret avait supprimé l'expression d'honorable membre.

L'assemblée législative, qui dès les premiers jours avait manifesté,

TOME VI.

vis-à-vis de la royauté, un esprit d'hostilité dont la constituante n'avait pas donné d'exemples, ne tarda pas non plus à montrer aux ministres une méfiance également excessive.

Le 6, un membre avait demandé que tous les ministres vinssent présenter des rapports sur la situation de leurs départements à l'assemblée. Ils se présentèrent en effet à la séance du 9, mais DuportDutertre, le ministre de la justice, qui portait la parole, demanda un délai de trois semaines pour présenter ces rapports, les occupations nombreuses des ministres ne leur ayant pas permis jusqu'ici de préparer ce travail. Il offrait d'ailleurs de donner à l'assemblée tous les renseignements dont elle pourrait avoir besoin. Celle-ci se montra très-peu satisfaite de cet atermoiement, et manifesta son mécontentement par des interpellations bruyantes. Le ministre de la guerre et celui des contributions, qui seuls étaient en mesure jusqu'à un certain point, furent ajournés à court délai. Le premier fut entendu en effet le 11, le second le 12. Cette méfiance ne tarda pas à engendrer une lutte dans laquelle nous verrons le ministère succomber.

L'assemblée était constituée; mais les grands travaux législatifs, financiers, etc., auxquels elle était appelée ne pouvaient être entrepris immédiatement, et ils ne le furent jamais. Les questions d'actualité, les questions de parti et enfin la question révolutionnaire s'emparèrent entièrement de son attention; elles devinrent de plus en plus instantes pendant la durée de la session, et il ne resta pas de temps pour les travaux d'organisation. Nous résumerons dans une partie spéciale, placée à la fin de l'histoire de l'assemblée législative, les rares débats que l'assemblée consacra à ce travail. Deux grandes questions, celles des mesures à prendre contre les émigrés et contre les prêtres réfractaires, occupèrent la plupart des séances des mois d'octobre et de novembre. Puis vint la question de la guerre, qui pendant quelque temps marcha de front avec les deux premières. Les autres séances furent absorbées par les affaires des colonies, celles d'Avignon, des dénonciations diverses, les luttes ministérielles. De même que l'assemblée constituante, la législative recevait chaque jour des pétitions, des adresses, des députations. Bientôt elle fut appelée, comme son aînée, à faire acte de pouvoir exécutif. Au milieu de ces préoccupations, tout travail d'organisation devenait impossible. Les finances seules purent tixer de temps en temps l'assemblée. Mais ses premiers travaux, sous ce rapport, se bornèrent à la vérification des caisses et des comptes des ministres et à des émissions d'assignats.

QUESTION DES ÉMIGRÉS.

LIVRE II.

OCTOBRE ET NOVEMBRE 1791.

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Menées des émigrés.

Situation de la cour. Lettres et proclamations du roi concernant les émigrations.

Le roi eut l'initiative dans la question de l'émigration. Il s'occupa le premier, dans la période où nous entrons et dans les limites de l'autorité que la constitution lui avait attribuée, d'arrêter ce mouvement qui emportait les royalistes à Bruxelles et à Coblentz. Il le fit par trois actes publics dont la succession semblait calculée de manière à en accroître l'effet. Il débuta par une circulaire à la marine. Voici le texte de cette pièce remarquable, ainsi que de celles qui la suivirent :

Paris, le 13 octobre 1791.

Je suis informé, monsieur, que les émigrations se multiplient tous les jours dans le corps de la marine, et je ne puis différer plus longtemps de vous faire connaître combien j'en suis vivement affecté.

Comment se peut-il que des officiers d'un corps dont la gloire m'a toujours été si chère, et qui m'ont donné dans tous les temps les preuves les plus signalées de leur attachement et de leur zèle pour le service de l'État, se soient laissé égarer au point de perdre de vue ce qu'ils doivent à la patrie, ce qu'ils doivent à mon affection, ce qu'ils doivent à eux-mêmes?

Ce parti extrême eût paru moins étonnant il y a quelques mois, quand l'anarchie semblait être à son comble, et qu'on n'en apercevait pas le terme; mais aujourd'hui, que la majeure et la plus saine partie de la nation veut le retour de l'ordre et de la soumission aux lois, serait-il possible que de généreux et fidèles marins songeassent à se séparer de leur roi?

Dites bien à ces braves officiers, que j'estime, que j'aime, et qui l'ont si bien mérité, que l'honneur et la patrie les rappellent; assu

rez-les que leur retour, que je désire par-dessus tout, et auquel je reconnaîtrai tous les bons Français, tous mes vrais amis, leur rendra pour jamais toute ma bienveillance.

On ne peut plus se dissimuler que l'exécution exacte et paisible de la constitution est aujourd'hui le moyen le plus sûr d'apprécier ses avantages, et de connaître ce qui peut manquer à sa perfection. Quel est donc votre devoir à tous? de rester fidèlement à votre poste, de coopérer avec moi, avec franchise et loyauté, à assurer l'exécution des lois que la nation pense devoir faire son bonheur; de donner sans cesse de nouvelles preuves de votre amour pour la patrie et de votre dévouement à son service.

C'est ainsi que se sont illustrés vos pères, et que vous vous êtes distingués vous-mêmes. Voilà les exemples que vous devez laisser à vos enfants, et les souvenirs ineffaçables qui constitueront votre véritable gloire.

C'est votre roi qui vous demande de rester inviolablement attachés à des devoirs que vous avez toujours si bien remplis. Vous auriez regardé comme un crime de résister à ses ordres, vous ne vous refuserez pas à ses instances.

Je ne vous parlerai pas des dangers, des suites fâcheuses qu'une autre conduite pourrait avoir; je ne croirai jamais qu'aucun de vous puisse oublier qu'il est Français.

Je vous charge, monsieur, d'adresser de ma part un exemplaire de cette lettre à tous les officiers attachés à votre département, et particulièrement à ceux qui sont en congé. Signé, Louis. Et plus bas, DE BERTRAND,

Lettre du roi aux officiers généraux et commandants des troupes de

terre.

De Paris, le 14 octobre.

En acceptant, monsieur, la constitution, j'ai promis de la maintenir au dedans et de la défendre contre les ennemis du dehors. Cet acte solennel de ma part doit bannir des esprits toute incertitude; il détermine en même temps de la manière la plus précise et la plus claire la règle de vos devoirs et les motifs de votre fidélité. Mon intention est que vous annonciez aux troupes qui sont sous vos ordres que ma détermination, que je crois essentielle au bonheur des Français, est invariable comme mon amour pour eux.

La loi et le roi désormais confondus, l'ennemi de la loi devient celui du roi. De quelque prétexte maintenant dont on veuille colorer la désobéissance et 1 indiscipline, j'annonce que je regarderai

comme un délit contre la nation et contre moi tout attentat, toute infraction à la loi.

Il a pu être un temps où les officiers, par attachement à ma personne, et dans le doute de mes véritables sentiments, ont cru devoir hésiter sur des obligations qui leur semblaient en opposition avec leurs premiers engagements; mais après tout ce que j'ai fait, cette erreur ne doit plus subsister.

Je ne puis regarder comme m'étant sincèrement dévoués ceux qui abandonnent leur patrie au moment où elle réclame fortement leurs services. Ceux-là seuls me sont sincèrement attachés, qui suivent les mêmes voies que moi, qui restent fermes à leur poste, qui, loin de désespérer du salut public, se confédèrent avec moi pour l'opérer, et sont résolus de s'attacher inséparablement à la destinée de l'empire.

Dites donc à tous ceux qui sont sous vos ordres, officiers et soldats, que le bonheur de leur pays dépend de leur union, de leur confiance réciproque, de leur entière soumission aux lois et de leur zèle actif pour les faire exécuter. La patrie exige cette harmonie, qui fait sa force et sa puissance. Les désordres passés et les circonstances où nous sommes, donnant à ces vertus du guerrier, pendant la paix, une valeur sans prix, c'est à elles que seront dues les distinctions, les récompenses et tous les témoignages de la reconnaissance publique. Signé, Louis. Et plus bas, DUPOrtail.

Proclamation du roi concernant les émigrations; du 14 octobre.

Le roi, instruit qu'un grand nombre de Français quittent leur patrie et se retirent sur les terres étrangères, n'a pu voir, sans en être vivement affecté, une émigration aussi considérable; et quoique la loi permette à tous les Français la libre sortie du royaume, le roi, dont la tendresse paternelle veille sans cesse pour l'intérêt général et pour tous les intérêts particuliers, doit éclairer ceux qui s'éloignent de leur patrie sur leurs véritables devoirs, et sur les regrets qu'ils se préparent. S'il en était parmi eux qui fussent séduits par l'idée qu'ils donnent peut-être au roi une preuve de leur attachement, qu'ils soient détrompés, et qu'ils sachent que le roi regardera comme ses vrais, ses seuls amis, ceux qui se réuniront à lui pour maintenir et faire respecter les lois, pour rétablir l'ordre et la paix dans le royaume, et pour y fixer tous les genres de prospérités auxquels la nature semble l'avoir destiné.

Lorsque le roi a accepté la constitution, il a voulu faire cesser les discordes civiles, rétablir l'autorité des lois et assurer avec elles

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