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enceintes formées aux extrémités de la salle; et l'assemblée, sans plus de discussion, vota cette suppression.

La presse se moqua un peu de l'instabilité que venait de montrer l'assemblée. Les Révolutions de Paris s'en affligèrent et en prirent texte pour dénoncer Pastoret, le président, qu'elles appelaient un valet de cour. L'Ami du Roi au contraire triomphait.

<«< Toute autorité qui mollit, s'écrie Royou (no du 9 octobre), est perdue, à moins qu'elle n'ait l'art de reculer d'une manière lente, insensible; de plutôt paraître céder à la raison qu'à la nécessité; c'e masquer son erreur ou sa faiblesse; de laisser oublier ses lois plutôt que de les rétracter. L'obéissance n'a que deux ressorts, le respect et la crainte; tous deux sont faussés à la fois par une rétrogradation brusque et violente; car on ne peut respecter ni craindre un pouvoir qui plie, qui retire aujourd'hui une loi qu'il fit hier. »

La cour fut très-satisfaite du succès qu'elle venait d'obtenir, et il fut décidé que le roi se rendrait le lendemain à l'assemblée. Quant au peuple, il ne s'occupa guère de ces questions; on était beaucoup plus préoccupé, dans les groupes, de la cherté de l'argent, de la mauvaise qualité du pain et des approches de l'hiver, que de l'étiquette parlementaire.

SÉANCE DU 7 OCTOBRE. Au commencement de la séance un membre s'élève contre la présence de la force publique dans l'enceinte du palais du corps législatif. M. Bazire dit que les gardes nationaux de service ont menacé plusieurs membres de leurs baïonnettes. Après une courte discussion, l'assemblée passe à l'ordre du jour.

Dans cette séance, la municipalité, le département et le roi furent reçus par l'assemblée. Voici des extraits des discours prononcés à cette occasion.

La municipalité de Paris est admise à la barre.

M. Bailly porte la parole. La ville de Paris vient vous offrir les respects et les hommages de ses nombreux habitants... Vous vous êtes déclarés assemblée législative... nous vous remercierons du grand exemple donné à tout un peuple, nous vous remercierons de la solennité de la prestation de votre serment. Nous avons vu vos anciens, à l'imitation des temps antiques, porter le livre sacré, exposer la loi devant l'assemblée inclinée dans un silence respectueux, et l'assemblée jurer individuellement sur le livre même la fidélité qui lui est due. Qui refusera d'obéir lorsque vous avez obéi? Par cette solennité vous avez institué la religion de la loi. Chez les peuples libres et dignes de l'être, la loi est une divinité et l'obéissance est un culte. (On applaudit.)

Vous allez, messieurs, tout réunir et tout concilier; la révolution est consommée; le peuple soupire après le repos. L'État est fondé; le peuple demande qu'on en mette les ressorts en action. Les deux pouvoirs constitutionnels sont limités; il désire qu'ils se balancent, mais qu'ils se respectent. (Les applaudissements recommencent.) En nous rappelant à l'union qui fait la force des peuples libres, vous allez surtout établir la grande union de la nation et du prince. Que la confiance descende de cette auguste assemblée et du trône pour remonter à ce trône et à vous par un cercle qui sera celui des prospérités.

L'orateur termine en demandant la protection de l'assemblée pour la ville de Paris.

Le département de Paris est admis à la barre.

M. La Rochefoucauld, président, obtient la parole. Il rappelle à l'assemblée que c'est à elle de terminer la révolution, d'organiser l'instruction publique, les secours publics, d'établir l'uniformité de législation, de réformer les vices que la pratique pourrait faire reconnaître dans les fonctions administratives et judiciaires...

Mais votre dette la plus importante peut-être, c'est de justifier vos prédécesseurs dans la résolution hardie qu'ils ont fait prendre à la nation de confier à un corps unique le soin de faire les lois. Francklin est le premier qui l'ait proposé et les habitants de la Pensylvanie avaient écouté sa voix; mais depuis, le sentiment de quelques inconvénients, et plus que tout peut-être l'influence si puissante des habitudes anciennes, les ont fait retourner vers la complication du gouvernement britannique. L'assemblée nationale constituante s'est saisie de cette grande idée; elle a vu encore dans son adoption l'avantage inappréciable de cimenter les principes de l'égalité qu'elle voulait établir et qu'elle a établis, et le pouvoir de faire des lois n'a reçu de limites que celles de la sanction modifiée. Vous prouverez à la France, à l'Europe, à l'univers entier par la sagesse de vos délibérations que dans le monde moral, comme dans le monde physique, les moyens simples sont toujours ceux qui produisent le plus sûrement et le mieux l'effet désiré.

On annonce l'arrivée du roi.

Le président fait lecture des décrets rendus par l'assemblée constituante sur le cérémonial qui doit être observé lorsque le roi se rend à l'assemblée.

Le roi entre. - L'assemblée se lève. Le roi est au milieu de la partie gauche de l'assemblée.

Le roi et ses ministres prennent la place qui leur est désignée par les décrets de l'assemblée nationale constituante.

Les extrémités de la salle et les tribunes retentissent d'applaudissements.

Les applaudissements redoublent. On entend les cris de vive le roi! vive Sa Majesté!

Le roi. Messieurs, réunis en vertu de la constitution pour exercer les pouvoirs qu'elle vous délègue, vous mettrez sans doute au rang de vos premiers devoirs de faciliter la marche du gouvernement, d'affermir le crédit public, d'ajouter s'il est possible à la sûreté des engagements de la nation, d'assurer à la fois la liberté et la paix, enfin d'attacher le peuple à ses nouvelles lois par le sentiment de son bonheur. Témoins dans vos départements des premiers effets du nouvel ordre qui vient de s'établir, vous avez été à portée de juger ce qui peut être nécessaire pour le perfectionner, et il vous sera facile de reconnaître les moyens les plus propres pour donner à l'administration la force et l'activité dont elle a besoin. Pour moi, appelé par la constitution à examiner, comme représentant du peuple et pour son intérêt, les lois présentées à ma sanction, chargé de les faire exécuter, je dois encore vous proposer les objets que je crois devoir être pris en considération pendant le cours de votre session.

Vous penserez, messieurs, qu'il convient d'abord de fixer votre attention sur la situation des finances pour en saisir l'ensemble et en connaître les détails et les rapports. Vous sentirez l'importance d'assurer un équilibre constant entre les recettes et les dépenses; d'accélérer la répartition et le recouvrement des contributions; d'établir un ordre invariable dans toutes les parties de cette vaste administration et de préparer ainsi la libération de l'État et le soulagement du peuple. Les lois civiles paraissent aussi vous devoir occuper essentiellement; vous aurez à les mettre d'accord avec les principes de la constitution; vous aurez à simplifier la procédure et à rendre ainsi plus faciles et plus prompts les moyens d'obtenir justice; vous reconnaîtrez la nécessité de donner par une éducation nationale des bases solides à l'esprit public; vous encouragerez le commerce et l'industrie, dont les progrès ont tant d'influence sur l'agriculture et sur les richesses du royaume. Vous vous occuperez de faire des dispositions permanentes pour assurer du travail et des secours à l'indigence.

Je manifesterai à l'armée ma volonté ferme que l'ordre et la discipline s'y rétablissent. Je ne négligerai aucun moyen de faire renaître la confiance entre tous ceux qui la composent. Si les lois à cet égard sont insuffisantes, je vous ferai connaître les mesures qui me paraîtront convenables et sur lesquelles vous aurez à statuer.

Je donnerai également mes soins à la marine, cette partie importante de la force publique destinée à protéger notre commerce et nos colonies. J'espère que nous ne serons troublés par aucune agression du dehors. J'ai pris depuis que j'ai accepté la constitution et je continue à prendre les mesures qui m'ont paru les plus propres à fixer l'opinion des puissances étrangères à notre égard, et à entretenir, avec elles, l'intelligence et la bonne harmonie qui doivent nous assurer la paix. (La salle retentit d'applaudissements.) J'en attends les meilleurs effets, mais cette espérance ne me dispensera pas de suivre avec activité les mesures de précaution que la prudence a dû prescrire. (Les applaudissements recommencent.) Messieurs, pour que vos importants travaux, pour que votre zèle, produisent tout le bien qu'on doit en attendre, il faut qu'entre le corps législatif et le roi, il règne une constante harmonie et une confiance inaltérable. (La salle et les tribunes retentissent des cris de Vive le roi!) Les ennemis de notre repos ne chercheront que trop à nous désunir; mais que l'amour de la patrie nous rallie, et que l'intérêt public nous rende inséparables. Ainsi la puissance publique se déploiera sans obstacle; l'administration ne sera pas tourmentée par de vaines terreurs; les propriétés et la croyance de chacun seront également protégées, et il ne restera plus à personne de prétexte pour vivre éloigné d'un pays où les lois seront en vigueur et où tous les droits seront respectés. C'est à ce grand intérêt de l'ordre que tient la stabilité de la constitution, le succès de vos travaux, la sûreté de l'empire, le retour de tous les genres de prospérité.

C'est à ce but, messieurs, que doivent en ce moment se rapporter toutes nos pensées; c'est l'objet que je recommande le plus fortement à votre zèle et à votre amour pour la patrie.

M. le président. Sire, votre présence au milieu de nous est un nouvel engagement que vous prenez envers la patrie de maintenir la constitution. Tous les droits étaient violés, tous les pouvoirs étaient confondus. La constitution est née et a établi un ordre qui assure le bonheur et l'égalité de tous. Vous devez la chérir cette constitution comme citoyen, vous devez la faire exécuter comme roi; elle vous a donné des amis dans ceux qu'on appelait autrefois vos sujets. (On applaudit.)

Vous avez besoin d'être aimé des Français, disiez-vous il y a quelques jours dans ce temple de la loi. Et nous aussi, sire, nous avons besoin d'être aimés de vous. (Toute l'assemblée et les tribunes retentissent d'applaudissements.) La constitution vous fait le premier monarque de l'Europe. Forts de notre réunion, nous allons

travailler de concert à épurer la législation, à ramener l'ordre et le bonheur dans l'empire. Tel est notre devoir, tel est celui de Votre Majesté. Les bénédictions des Français en seront la récompense. (Les applaudissements recommencent.)

Le roi sort de la salle au milieu des applaudissements de toute l'assemblée et des cris de Vive le roi!

Le roi avait été vivement applaudi par les tribunes. Le soir la cour recueillit au spectacle de nouvelles démonstrations de la part des royalistes constitutionnels. Laissons parler le Babillard : « La famille royale a été reçue au théâtre italien avec cette ivresse touchante, ces mouvements impétueux que sa présence inspire partout. Le roi a conservé, pendant le spectacle, un air d'attendrissement et de plaisir; le jeune prince a paru s'amuser beaucoup pendant la représentation des Chasseurs et de la Laitière, et l'on a remarqué, dans un passage de la pièce, qu'il singeait le jeu de l'acteur avec la gaieté naïve de son âge. La salle a retenti d'applaudissements et de cris répétés: Vive le roi! vive le prince royal! Le peuple, dans ses acclamations, a souvent nommé la reine, Madame royale, madame Élisabeth, et le décret de l'assemblée nationale, du 5 de ce mois, n'a pas empêché de crier à plusieurs reprises: vivent Leurs Majestés ! »

Ces démonstrations en faveur de la cour ne furent pas les seules. On a vu qu'au commencement de la séance du 7, des réclamations s'élevèrent contre des insultes dont plusieurs députés avaient élé l'objet de la part de gardes nationaux dans la salle même des séances. Cet incident marque le degré d'animosité où était arrivée déjà la dissidence entre les royalistes constitutionnels et le parti plus avancé. Le fait qui s'était passé dans la matinée du 7 octobre fut ainsi raconté le soir, aux Jacobins, par Goupil!eau :

« J'étais entré dans la salle quelques moments avant l'ouverture de la séance; j'étais auprès du poêle avec quelques-uns de mes co'lègues à discuter paisiblement sur le décret d'hier. Alors un officier de la garde nationale s'est avancé vers moi avec des gestes menaçants et m'a dit: Nous vous connaissons bien; nous savons comine vous vous êtes exprimé sur le compte du roi; nous savons que vous avez blàmé la conduite respectueuse de M. Thouret à son égard. Si vous n'y prenez garde, et si vous continuez dans de tels sentiments, je vous ferai hacher avec mes baïonnettes.

« C'est donc au sein de l'assemblée nationale, au milieu de ce sanctuaire, où les opinions doivent avoir la plus grande liberté, que je me vois menacé par un homme revêtu d'un habit respectable. Cette réflexion me fit frémir: plusieurs de mes collègues s'en aper

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