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tendu avec impatience par les ennemis de la constitution, et qu'il a fait toute leur joie.

M. ***. On a eu raison d'observer que lorsque l'assemblée constituante a eu rendu son décret sur le cérémonial, ses pouvoirs n'étaient pas alors plus étendus que les nôtres. Je demande donc qu'on passe à des objets plus importants, que nous examinions dans quel état nous prenons le royaume, pour que l'on sache dans quel état nous le rendrons.

M. Ducastel. Je prie l'assemblée de m'écouter, sinon avec indulgence, du moins avec impartialité. Il y a trois points à examiner dans le décret rendu hier: de quelle manière le roi sera admis dans l'assemblée, comment vous lui ferez des députations, comment vous le qualifierez. Ou ce décret est législatif, ou il est de police intérieure. S'il est législatif, ou il est urgent, ou il n'est pas urgent. S'il est urgent, il est irrévocable, parce qu'il n'a pu être provoqué que par les circonstances; s'il n'est pas urgent, il n'a pas été rendu selon les formes constitutionnelles. Si le décret est de police intérieure, comme vous avez été libres de le faire, vous êtes libres de le rapporter suivant que les circonstances sont plus ou moins convenables. Je reprends ma division; le décret est-il législatif? Oui; je m'explique, je sais que l'assemblée a le droit de sa police intérieure, qu'elle ne sort pas de ses limites en décrétant que le souverain sera reçu de la manière...

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Un grand nombre de députés se lèvent et demandent à grands cris que M. Ducastel soit rappelé à l'ordre. L'agitation est trèsvive. - M. Ducastel veut parler. Les cris recommencent avec plus de violence: A l'ordre! à l'ordre!

M. Lacroix. M. Ducastel a manqué à la constitution en prononçant un mot réprouvé par elle; je demande cependant qu'il soit entendu, et qu'ensuite l'assemblée soit consultée pour savoir s'il sera rappelé à l'ordre, parce que M. le président a lui-même manqué à l'ordre en m'y rappelant sans avoir pris le vœu de l'assemblée.

M. Ducastel. L'axiome de l'ancien régime m'a égaré; je me suis servi d'une expression inconstitutionnelle; je la révoque; je me mets inoi-même à l'ordre, et je demande à mes collègues l'indulgence que nous nous devons réciproquement. Je déclare que dans toute cette discussion, je ne suis que l'impulsion de ma conscience, et que s'il y a des partis, j'y suis étranger. Je reprends la discussion. Ou le décret est législatif, ou il est du régime intérieur; sous un point de vue, il peut paraître législatif, puisqu'il règle le rapport entre les deux pouvoirs.

Mais quand le décret serait juste, il est impolitique, car il tend à

faire croire qu'il n'y a point d'union entre les deux pouvoirs. Vous avez bien le droit de faire votre police intérieure ; mais le souverain, le roi, veux-je dire, peut bien de son côté, ne pas l'admettre; qu'en résultera-t-il? Que vous l'écarterez de cette assemblée en prescrivant des formes qui ne lui plairont pas. Il peut croire sa dignité blessée, et il faut qu`il donne son adhésion aux rapports établis entre le corps législatif et lui. (On murmure.) Puisque le pouvoir législatif réside dans le corps législatif et le roi... (On demande de nouveau que M. Ducastel soit rappelé à l'ordre.)

M. le président. Je vous rappelle aux principes de la constitution, et je vous observe que vous appliquez au roi des choses qui n'appartiennent qu'au peuple. (Une voix s'élève : Vous avez tort, monsieur le président.) Je n'ai point mis M. Ducastel à l'ordre, mais je l'ai rappelé aux principes de la constitution, dont nous sommes les dépositaires et les organes.

M. Britche. C'est faute de faire attention à la différence qu'il y a entre le corps législatif et le pouvoir législatif, que M. le président a rappelé M. Ducastel à l'ordre. (Plusieurs anciens membres de l'assemblée nationale constituante, placés à la partie gauche de la salle, applaudissent.) Le pouvoir législatif est composé du corps législatif et du roi.

L'assemblée décide que la discussion sera continuée, et qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'incident.

M. Ducastel. Ce décret blesse toutes les convenances et peut faire perdre à la nation son crédit. Je ne dis pas cependant que vous n'êtes pas dans la constitution, je pense au contraire que vous ne vous en écartez point; mais il n'est point vrai que l'on ne pourra pas vous soupçonner des dispositions mauvaises contre la personne du roi. (On murmure.) Vous ne pouvez pas empêcher la prévention publique. Il n'y aura jamais d'ordre, tant qu'on pensera qu'il n'y a point d'intelligence entre le corps législatif et le roi. Ceux qui ont proposé le décret n'en ont point senti la conséquence. Je demande donc, comme plusieurs des préopinants, que le décret rendu par l'assemblée constituante soit provisoirement exécuté, et que celui rendu soit ajourné comme important.

On demande que la discussion soit fermée. M. le président met cette proposition aux voix. L'assemblée décide que la discussion est fermée. Plusieurs membres demandent qu'on aille aux voix sur la proposition de rapporter le décret rendu hier.

M. le président. Je mets aux voix la proposition faite de rapporter le décret.

M. Girardin. Je demande la question préalable sur cette proposition. (Appuyé.)

M. Dubaillet, placé dans la partie gauche de la salle. Vous ne regardez jamais par ici, monsieur le président. Je demande que la première question qui sera mise aux voix soit celle de savoir si le décret rendu hier est de police intérieure ou s'il n'en est pas.

M. le président. Le décret rendu hier sera-t-il maintenu ou bien sera-t-il rapporté? (Plusieurs voix : Ce n'est pas cela, monsieur le président, la question préalable.) Je mets aux voix...

Les cris prolongés de la question préalable empêchent de commencer la délibération.

M. Ducos, député de la Gironde. Il est bon que vous sachiez, monsieur le président, que depuis une demi-heure on demande la question préalable.

M. le président. Que ceux qui veulent que le décret rendu hier... Les cris redoublent: La question préalable.

M. le président. Je vais consulter l'assemblée pour savoir si je pose bien la question.

M. ***. Je rappelle à l'assemblée la dignité dont elle ne doit jamais s'écarter; vous voulez prendre une attitude imposante avec le roi, et vous ne savez pas être calmes dans votre enceinte.

M. le président. Je mets aux voix le maintien ou la révocation du décret.

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Le tumulte recommence. La salle retentit pendant plusieurs minutes de ces mots : La question préalable, l'ordre du jour.

M. le président. J'ai posé la question de la manière qui m'a paru la plus juste. Si l'assemblée veut aller aux voix sur une autre question, je vais la consulter.

M. ***. Êtes-vous sourd, monsieur le président? La question préalable.

M. le président. La manière dont j'avais posé la question était celle-ci. (Les cris de La question préalable! recommencent.) On a fait la motion de rapporter le décret rendu hier. Sur cette motion la question préalable a été demandée, je la mets aux voix.

L'assemblée décide à une très-grande majorité qu'il y a lieu à délibérer sur la motion de rapporter le décret rendu dans la séance d'hier.

M. Bazire. Attendu qu'il y a une foule d'étrangers dans la salle, je demande l'appel nominal.

M. le président. Je mets maintenant aux voix la question principale.

M. Chabot. L'appel nominal, il y a des étrangers.

M. ***. Où sont-ils? indiquez-les.

M. le président. Que ceux qui sont d'avis que le décret rendu hier soit rapporté, se lèvent.

L'assemblée décide à une très-grande majorité que le décret sera rapporté.

Les anciens membres de l'assemblée nationale constituante applaudissent.

M. Bazire. Je demande maintenant qu'on ajourne à huitaine la discussion sur le décret.

L'assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'ajournement à huitaine.

M. Bazire. En ce cas, je demande l'ajournement pur et simple. L'ajournement pur et simple est mis aux voix et décrété.

L'événement de cette séance fut expliqué le lendemain dans un discours prononcé à la tribune du club des Jacobins.

CLUB DES JACOBINS. -Séance du 7 octobre. — M. Ballet. Ce qui . s'est passé hier dans le sein de l'assemblée nationale, messieurs, doit fixer l'attention des bons citoyens, soit par rapport aux causes qui ont produit ces événements, soit par rapport aux conséquences qu'ils peuvent avoir.

Je ne vous parlerai pas des divers décrets qui ont été rendus: qu'ils soient plus ou moins conformes à la sagesse, ils n'en méritent pas moins notre respect. La seule chose à observer à leur égard, c'est qu'il s'est fait, pendant la nuit, un travail considérable pour obtenir la révocation du premier. Nous avons vu des membres de l'ancienne législature mêlés parmi nous, au moyen de la disposition de la salle, intriguer auprès d'un grand nombre d'entre nous; plusieurs, aussitôt après la rédaction du décret, se sont répandus dans les groupes du Palais-Royal, où ils semaient les alarmes les plus vives sur les suites funestes que ce décret devait avoir. Le mécontentement du roi pouvait le déterminer à s'éloigner; les craintes de mésintelligence entre les pouvoirs législatif et exécutif devaient semer les alarmes, diminuer la confiance, faire hausser le prix de l'argent, et baisser les fonds publics. Tels étaient les discours avec lesquels on échauffait les groupes, telles furent les insinuations qu'on tâcha de faire pénétrer plus adroitement parmi ceux de nous que l'on croyait bon de gagner.

Une preuve que ce travail avait eu lieu, c'est que tous les députés qui ont parlé contre les décrets avaient des discours écrits,

A mon arrivée dans la salle, je me plaçai par hasard parmi des députés qui s'entretenaient des moyens d'obtenir la révocation. Je

leur dis que le décret ayant été rendu à la presque unanimité, il paraissait impossible d'y compter. Nous sommes sûrs de la majorité, répondirent-ils. Alors je quittai la place, et allai en prendre une autre, où la même aventure m'arriva, Je me réfugiai dans cette partie de la salle qui fut si longtemps le sanctuaire du patriotisme; mais, ne sachant plus à qui me confier, je n'ouvris pas la bouche.

Il est bon que vous sachiez, messieurs, que ces mêmes membres qui ont sollicité et arraché la révocation du décret sont aujourd'hui les premiers à se moquer de cette versatilité. Ils arguent de ce premier acte de faiblesse, qu'il est clair que l'assemblée nationale ne sera capable de rien; ils veulent tâcher, en jetant du ridicule sur la législature, de conserver et d'attirer sur eux le reste de considération que leur avaient fait justement perdre leurs dernières transactions.

D'où cela.est-il venu, messieurs? C'est qu'aucuns des membres patriotes de la législature ne se connaissent. Vous leur avez, il est vrai, proposé de se réunir dans votre salle; mais cela ne suffit pas il serait bon que la liste en fût imprimée avec leur demeure, et le nom de leur département, afin que dans un moment de crise, et où il serait nécessaire de nous voir, de nous rallier, nous en eussions au moins la possibilité.

Vous avez même dans votre sein des ennemis plusieurs membres des sociétés vos affiliées se sont présentés ici avec leur diplôme d'affiliation; mais ils ne se sont pas fait recevoir. Ils sont entrés ici pour examiner votre contenance, sonder votre influence, afin d'être à même ensuite de se décider pour le parti qui paraîtra devoir être le plus puissant. (Journal du Club, no LXXIII.)

Les assertions de Ballet à l'égard des démarches des ex-constituants pour influencer l'opinion de la législative sont confirmées par tous les mémoires contemporains. On leur avait réservé deux vastes tribunes à l'aide desquelles ils pouvaient communiquer avec les membres de la nouvelle assemblée et même entrer dans la salle. On lit dans les Mémoires de madame de Campan, que Barnave et les deux Lameth, toujours d'accord avec la reine, étaient les meneurs de ce commencement d'intrigue. Ainsi les constituants, cette fois, étaient les agents de la cour. Lorsqu'à la séance du 6, on cria, Il y a ici des étrangers, on entendait parler de quelques constituants qui avaient en effet pénétré par cette voie et se trouvaient mêlés aux législateurs. Il y cut, dans la presse, de vives réclamations contre l'existence de ces tribunes. Le Moniteur même s'en mêla. Le dimanche 9 octobre, une députation vint à la barre protester contre ce privilége, Couthon fit aussitôt la motion de supprimer les deux

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