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voqué par la susceptibilité de la gauche; mais il fut voté par l'assentiment du centre. Celui-ci, qui, en nombre, égalait presque les deux autres côtés ensemble, montra aussi, pour la première fois, en cette circonstance, cette disposition ou cette faiblesse, qui lui fut tant de fois reprochée, à céder à ce qu'il croyait être l'opinion publique. Cependant, en dehors de l'assemblée, le décret fut considéré comme aussi impolitique qu'inconvenant. Il était, disait-on, puérilement offensant pour la majesté royale, et il offrait, de plus, le danger de rabaisser la dignité du pouvoir exécutif, si nécessaire à la consolidation de la constitution. Bertrand de Molleville nous apprend que la cour en fut très-irritée. «Le vœu général, dit-il, était que le roi prît dans cette circonstance un parti vigoureux... Cette affaire fut discutée le même jour au conseil... Il fut décidé que Sa Majesté n'irait pas faire l'ouverture du corps législatif. Cette décision fut connue le lendemain dans toute la ville. L'assemblée sentit alors la faute qu'elle avait faite..... » Aussi ce même centre, qui avait fait passer le décret, dès le lendemain, s'occupa, comme on va le voir, à détruire son ouvrage de la veille.

SÉANCE DU 6 OCTOBRE. - Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance de la veille.

M. Vosgien. Ce n'est point contre le décret rendu hier à l'occasion du cérémonial qui doit être observé lorsque le roi paraîtra dans l'assemblée que je demande la parole, c'est pour relever l'erreur qui l'a fait regarder comme un acte de police intérieure.

Le roi des Français devait venir demain proposer des objets d'utilité générale à l'attention de l'assemblée; c'était en même temps un acte de zèle et un nouvel acquiescement à la constitution, et par conséquent cela était utile à recueillir. Le fanatisme de la liberté devient une dégradation du caractère de représentant de la nation.

On s'est trompé lorsqu'on a considéré le décret rendu hier comme un acte de police. La police de l'assemblée ne se rapporte qu'au service mécanique; mais les relations entre le corps législatif et le roi tiennent à des actes législatifs qui doivent être soumis à la sinction du roi, et cela est si vrai que la constitution a fait de cet article un chapitre particulier.

Qu'est-il résulté du décret d'hier? Une perte considérable dans les actions, une nouvelle espérance des ennemis du bien public. Qui doute que l'adhésion du roi ne soit un des plus fermes appuis de la constitution, ou, du moins, qu'elle n'épargne de grands maux? et croyez-vous que les malveillants ne lui représentent pas avec

adresse qu'il se verra sans cesse ballotté par les opinions divergentes de chaque législature, et que cela ne relâche les liens qui attachent le roi à la constitution? Il est temps de jeter l'ancre; offrons dans les traits de notre enfance les signes heureux de la prospérité publique.

Le décret n'est point urgent, vous ne l'avez pas déclaré tel; ainsi il n'y a nul inconvénient à conserver le cérémonial de l'assemblée nationale constituante, et c'est à quoi je conclus.

M. Bazire. Je demande qu'on n'accorde la parole que sur la rédaction du procès-verbal, et qu'on s'oppose à toute discussion qui tendrait à la réformation du décret rendu hier.

M. Robecourt. La première chose qui se présente à ma pensée, c'est que c'est ici que j'ai juré de ne pas souffrir qu'il soit porté atteinte à la constitution, et je crois que le décret rendu hier en est une violation. Il est impossible de le ranger dans la classe des dispositions de régime intérieur, puisqu'il détermine les relations du corps législatif avec le roi, déjà réglées par l'acte constitutionnel. Je soutiens qu'en principe vous ne pouvez pas faire de loi obligatoire pour le roi sans sa participation; comme vous il est représentant du peuple, et quand il vient ici, c'est toujours revêtu de ce caractère auguste. Je demande, en me résumant, que le décret rendu hier soit regardé comme simple projet; que, suivant la constitution, il en soit fait lecture aux époques légales, et que le cérémonial déterminé par l'assemblée constituante soit provisoirement conservé.

M. Vergniaud. On paraît d'accord que, si le décret est de police intérieure, il est exécutable sur-le-champ: or, il est évident pour moi que le décret est de police intérieure, car il n'y a pas de relation d'autorité du corps législatif avec le roi, mais de simples égards qu'on réclame en faveur de la dignité royale. Si ce décret pouvait être regardé comme législatif, et par là même soumis à la sanction, il faudrait en conclure que, lorsqu'il s'agit d'envoyer au roi une députation, par exemple, il faudrait porter à la sanction du roi la disposition relative au nombre des membres dont elle devrait être composée. Je ne sais pourquoi on paraît désirer le rétablissement de ces mots : Votre Majesté, sire, qui nous rappellent la féodalité. (Quelques membres de l'assemblée et les tribunes applaudissent. Une voix s'élève : Silence aux tribunes !) Il doit s'honorer du titre de roi des Français. (Les tribunes recommencent leurs applaudissements.)

La méme voix. Je vous prie, monsieur le président, d'imposer silence aux tribunes.

M. Garran-Coulon. Vous n'en avez pas le droit, monsieur le président.

M. Vergniaud. Je demande si le roi vous a demandé un décret pour régler le cérémonial de sa maison, lorsqu'il reçoit vos députations? Cependant, pour dire franchement mon avis, je pense que si le roi, par égard pour l'assemblée, se tient debout et découvert, l'assemblée, par égard pour le roi, doit se tenir debout et décou

verte.

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Plusieurs membres se lèvent et demandent qu'on passe à l'ordre du jour. Les cris de l'ordre du jour se prolongent pendant quelques minutes.

M. le président. On demande à passer à l'ordre du jour. Je vais consulter l'assemblée.

Quelques voix. Oui, oui, consultez l'assemblée.

M. Bazire. Il ne faut pas perdre notre temps à défaire le lendemain ce que nous avons fait la veille.

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Les mémes voix. Consultez l'assemblée, monsieur le président. M. ***. Je demande la parole sur la motion de l'ordre du jour.— On demande que la discussion soit fermée sur cette motion. — Les mêmes voix. A l'ordre du jour!

M. ***. M. l'abbé Fauchet, que je vois siégeant au milieu de nous, n'a pas prêté son serment.

M. Fauchet, évêque du département du Calvados, s'approche de la tribune.

M. ***. Nous sommes ici envoyés pour faire des lois, mais il faut les bien faire... (Les mêmes voix : L'ordre du jour!) Le décret que nous avons rendu avait besoin d'un peu plus de méditation... (Les mêmes voix : L'ordre du jour!)

M. Gorguereau. Il faut que l'assemblée sache bien ce qu'on entend par l'ordre du jour, et que l'on opine en connaissance de cause. On a demandé que le décret rendu fùt rangé dans la classe des décrets législatifs; si c'est sur cette proposition qu'on demande l'ordre du jour, il faut le déterminer précisément.

M. l'évêque du département de..... J'ai fait serment de ne rien consentir de contraire à la constitution. (Les mêmes voix : A l'ordre du jour!)

La délibération est troublée pendant plusieurs minutes par ces cris: A l'ordre du jour! Un grand nombre de membres parlent

à la fois.

M. Hérault-Séchelles. Il était de règle dans le corps constituant que l'on n'était pas lié par un décret rendu la veille, quand le procès-verbal n'était pas clos. J'en pourrais citer mille exemples. Je

n'agiterai point la question de savoir si le décret que nous avons rendu est de police intérieure ou s'il est législatif; je proposerai une motion nouvelle... (M. Chabot. L'ordre du jour !) Je demande que le décret rendu soit retiré dès à présent. (Nouveaux cris: L'ordre du jour!) Il est contradictoire à une loi antérieure. (Quelques voix Vous n'avez pas la parole ; vous parlez sur le fond.) Hier, l'assemblée n'a pas fait... (M. Chabot. L'ordre du jour!) — Les murmures et les cris empêchent M. Hérault-Séchelles de continuer son opinion.

M. ***. Monsieur le président, une partie de l'assemblée demande qu'on passe à l'ordre du jour; mettez cette proposition aux voix. Une voix s'élève : Il y a une demi-heure que nous crions. M. le président. Une partie de l'assemblée désire que la discussion soit continuée, l'autre qu'elle soit fermée je vais consulter l'assemblée.

L'assemblée décide à uné grande majorité que la discussion sera continuée.

M. Champion. Les événements heureux de notre constitution ont répandu l'allégresse sur toute la surface de l'empire. C'est à nous qu'il est réservé de cimenter l'heureuse alliance du corps législatif et du roi, commencée par nos prédécesseurs avec tant de succès. Le décret que nous avons rendu hier peut avoir des effets contraires, extrêmement dangereux pour la sûreté publique, la confiance et la prospérité du commerce. Je suis moins alarmé sur le décret en lui-même, qui n'a rapport qu'à des objets puérils, que sur cette vivacité effrayante avec laquelle il a été rendu. Je ne partage point les sollicitudes de ceux qui craignent l'idolâtrie du peuple pour un fauteuil d'or; mais ce que je crains pour notre situation politique, c'est qu'on ne nous suppose l'intention d'établir une lutte avec le pouvoir exécutif, lutte infiniment dangereuse, et qui tournerait toujours au détriment de la constitution, de quelque côté que fût la victoire. Au milieu du délabrement de nos finances, pouvons-nous employer nos premières séances à de si puérils débats, surtout lorsqu'il n'y a pas dix jours que le corps constituant a statué sur les objets soumis à notre discussion? Avez-vous remarqué quelle contradiction il y a entre les remercîments que nous lui avons votés et l'empressement que nous mettons à réformer son ouvrage?

On ne veut pas des mots de sire, de Majesté; on ne veut pas même qu'il soit donné au roi des applaudissements; comme s'il était possible d'interdire au peuple les marques de sa reconnaissance, lorsque le roi l'aura méritée. Il n'y avait, nous a-t-on dit, que flagornerie dans les discours des présidents du corps consti

TOME VI.

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tuant. Ne nous déshonorons pas, messieurs, par une ingratitude coupable. Les fondateurs de la liberté n'ont pas été des esclaves; avant de fixer les prérogatives du trône, ils ont établi les droits du peuple. C'est la nation qui est honorée dans la personne de son représentant héréditaire. (On murmure. M. Chabot demande l'ordre du jour.) C'est elle qui, après avoir créé la royauté, l'a revêtue d'un éclat qui remonte à sa source et rejaillit sur elle. Est-ce lorsque les émigrations se multiplient qu'il faut s'occuper de la forme d'un fauteuil? Le but de nos opérations doit être le bonheur de nos concitoyens; le décret que nous avons rendu peut y porter atteinte je demande donc qu'il soit rapporté, que le cérémonial décrété par le corps constituant soit provisoirement observé, et que la discussion sur cet objet soit ajournée à deux mois. M. Chabot. Je demande l'ordre du jour.

M. Lequinio. Il est absurde que le représentant du souverain se serve de ces mots : Votre Majesté, en parlant au premier fonctionnaire public; je me borne donc à demander qu'en supprimant ce titre, nous nous conformions d'ailleurs au décret rendu par nos prédécesseurs.

M. Reboul. La constitution porte que le corps législatif aura le droit de police dans ses lieux de séance. C'est conformément à cette loi, que les décrets rendus pour le cérémonial, par l'assemblée à laquelle nous succédons, dans un moment où elle n'avait plus le pouvoir constituant, ont été exécutés sans avoir besoin de sanction. Or, le décret que nous avons rendu ne concerne rien qui n'ait rapport au régime intérieur de notre assemblée; donc il est légal, donc il n'est point soumis à la sanction, donc il est exécutable sur-lechamp. On nous a dit qu'il pouvait avoir des effets funestes, et que déjà les actions avaient baissé. Nous sommes dans une ville où toutes les intrigues nous attaqueront; nous en sommes prévenus d'avance. Le décret du corps constituant sur le cérémonial avait été principalement influencé par la crainté où l'on était, que le roi ne fût insulté par les ennemis reconnus de la constitution. Quant à nous, qui sommes tous dirigés par des vues de bien public, nous nous prête-rons aux circonstances, et si le roi se tient debout, nous nous y tiendrons aussi. Quant au titre qui doit lui être donné, la constitution ne lui en avait affecté aucun, et celui que nous lui avons déféré est le plus honorable. La chose publique nous appelle à l'ordre des finances, passons-y; mais ne révoquons pas un décret rendu la veille, si nous ne voulons pas nous exposer à discuter tous les jours la même chose.

M. ***, évêque. Je dois dire que le décret rendu hier était at

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