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de l'antiquité, qui n'avaient pas assez de génie pour se dispenser d'être des charlatans, ont fait croire qu'ils avaient écrit leurs lois sous la dictée des dieux. Un tel artifice ne serait pas seulement criminel, il serait inutile aujourd'hui que les peuples sont en état de sentir la divinité de la raison. >>

L'Ami du Roi (6 octobre) se moque longuement de la scène de la prestation du serment. « Toute la pompe, dit-il, tout le spectacle dont il leur a plu d'accompagner cette friv le cérémonie, ne sert qu'à travestir le sanctuaire des lois en théâtre, et les députés en histrions. Un des plus superstitieux adorateurs de cette grande absurdité, qu'on appelle la constitution, a demandé que ce saint évangile fût tiré respectueusement des archives, apporté dévote-ment dans l'assemblée, et que chaque député, en prêtant son serment, eût la main étendue sur ce livre sacré... » Les journaux patriotes ou gardèrent le silence, ou s'exprimèrent avec aussi peu de ménagements que Royou.

A la séance du serment, en succéda une si brusquement contradictoire, si révolutionnaire dans la forme, qu'il en résulta plutôt un étonnement général que de l'espérance pour les patriotes ou de la crainte pour les royalistes constitutionnels. La question sur laquelle l'assemblée porta un décret de premier mouvement n'était à l'ordre du jour ni dans les journaux, ni dans les sociétés populaires; personne n'y songeait. Cet acte imprévu répondait à une provocation imprévue elle-même.

La députation chargée de prévenir Louis XVI que l'assemblée était constituée se présenta le 4, à six heures du soir, au château des Tuileries. Le roi lui fit dire par le ministre de la justice qu'il la recevrait le lendemain à une heure. La députation insista, et la réception ne fut retardée que de trois heures. La forme dans laquelle l'audience avait été négociée, et la manière dont elle se passa, donnèrent lieu aux déterminations suivantes.

SEANCE DU 5 OCTOBRE. M. le président. M. Ducastel va rendre compte à l'assemblée de la députation qui s'est rendue hier chez le roi.

M. Ducastel. La députation que vous avez chargée d'aller chez le roi, s'est rendue hier à six heures dans cette salle, et m'a déféré l'honneur de la présider. Nous nous sommes occupés de déterminer dans quels termes je parlerais au roi; alors j'ai proposé de remplir purement et simplement l'objet de notre mission, et de lui adresser les paroles suivantes : « Sire, l'assemblée nationale Jégis

en

lative est définitivement constituée: elle nous a députés TONALE

LAUDOI

instruire Votre Majesté. » Quelques membres ont prétendu qu'il y avait dans ce peu de paroles trop de sécheresse et pas assez de dignité; d'autres ont dit qu'en ajoutant autre chose, il serait possible de blesser, soit la dignité nationale, soit la dignité royale: en conséquence, les termes que je viens de vous rapporter ont été adoptés. M. le ministre de la justice est venu nous annoncer que le roi ne pourrait nous recevoir qu'aujourd'hui à une heure. Nous avons pensé que le salut de la chose publique exigeait que nous fussions admis sur-le-champ, et nous avons insisté. M. le ministre de la justice est retourné par-devers le roi, et est revenu nous dire que nous serions reçus à neuf heures. Nous y sommes allés. Environ à quatre pas du roi, je l'ai salué, et j'ai prononcé le peu de mots que je viens de vous rapporter. Le roi m'a demandé le nom de mes collègues, je lui ai répondu que je ne les connaissais pas. Nous allions sortir, lorsqu'il nous a arrêtés, en nous disant cordialement: « Je ne pourrai vous voir que vendredi. » Je n'ai pas cru devoir répondre au roi; nous l'avons salué de nouveau, et, revenus ici, nous nous sommes séparés fraternellement. (On applaudit.)

M. ***. Le corps constituant a décrété que l'assemblée nationale communiquerait directement avec le roi; cependant vous avez entendu, par le récit que vient de faire M. Ducastel, que c'était par le ministre de la justice que le roi avait été prévenu de votre députation. Je demande que la loi soit exécutée à la lettre.

M. ***. Et moi je demande que l'assemblée décrète qu'on ne se servira plus, dans le sein du corps législatif, de ce titre Votre Majesté (cinq à six membres applaudissent); le seul titre de Louis XVI est roi des Français.

M. ***. Je propose d'entendre la lecture d'un projet de décret : « L'assemblée nationale, considérant que le code de l'étiquette ne peut convenir à un peuple libre, décrète que le corps législatif, malgré l'évidence de la prééminence de ses droits, traitera d'égal à égal avec le pouvoir exécutif : qu'il pourra y envoyer à toute heure des députations, et que le roi pourra se rendre à l'assemblée nationale toutes les fois qu'il le jugera convenable. »

On demande à discuter d'abord la première proposition.

M. ***. Puisque la loi est rendue, elle est comprise dans le serment que nous avons prêté de faire exécuter la constitution. Ainsi, je demande la question préalable sur la proposition qui vient d'être faite, avec la mention au procès verbal des motifs qui auront fait adopter cette question préalable.

M. ***. Il est impossible d'adopter la question préalable sur la proposition de faire exécuter une loi rendue,

;

Plusieurs membres demandent l'ordre du jour, avec la mention au procès-verbal des réclamations faites pour l'exécution de la loi. Cette dernière proposition est adoptée.

M. Becquet. Le roi doit se rendre à l'assemblée vendredi : je demande que la délibération s'établisse sur la manière dont il sera reçu. (On murmure.) Cet objet est plus essentiel qu'on ne pense. La délibération que je propose est un objet de régime intérieur que la constitution vous donne le droit d'établir. Je demande que vous ne soyez pas debout et assis, quand il plaira au roi de se tenir debout et assis. (On applaudit.)

M. Couthon. L'assemblée qui nous a précédés, a décidé que, quant à l'étiquette, la conduite du roi lui servirait de règle (1), comme si, en présence du premier fonctionnaire du peuple, les représentants de ce peuple se transformaient tout à coup en automates qui ne peuvent se mouvoir que par sa volonté. (On applaudit.) Elle a décidé qu'il lui serait apporté un beau fauteuil d'or, comme si celui du président était indigne de lui. La dernière fois qu'il s'est rendu ici, n'a-t-on pas entendu M. le président se servir, en lui parlant, de mots proscrits; l'appeler Votre Majesté, comme s'il y en avait une autre que celle de la loi et du peuple; l'appeler sire, ce qui, dans le vieux style, signifie monseigneur. Je demande que le cérémonial soit réglé dans cette séance, et je propose de décréter que, lorsque le roi entrera dans la salle, les membres de cette assemblée seront debout et découverts; qu'au moment où il arrivera au bureau, ils aient, comme lui, la faculté de s'asseoir et de se couvrir. Nous devons éviter aussi le spectacle d'un fauteuil scandaleux, et espérer que le roi s'honorera de s'asseoir sur le fauteuil du président des représentants d'un grand peuple, et qu'enfin il ne puisse prendre d'autre titre que celui de roi des Français. Si ma proposition est appuyée, je prie M. le président de la mettre aux voix. (On entend dans toutes les parties de la salle ces mots : Oui, oui, elle est appuyée. Quelques membres demandent la question préalable.)

M. ***. Je demande que les deux fauteuils soient placés sur la même ligne vis-à-vis le bureau.

M. Goupilleau, député par le département de la Vendée. J'avoue qu'à la dernière séance du corps constituant, j'ai été révolté de voir le président se fatiguer par une inclination profonde devant le roi.

M. Chabot. Le peuple, qui vous a envoyés, ne vous a pas chargés

(1) Le décret dont parle Couthon avait été rendu le 29 septembre 1791,

de porter plus loin la révolution; mais il espère que vous ne rétrograderez pas; il espère que, représentants de sa dignité, vous la ferez respecter; que vous ne souffrirez pas, par exemple, que le roi vous dise: « Je viendrai à trois heures. » Comme si vous ne pouviez pas lever la séance sans l'attendre.

M ***. Il n'y a rien de si désirable pour tous les bons citoyens, que l'harmonie entre les deux pouvoirs. (On applaudit dans toutes les parties de la salle.) Il ne faut pas souffrir que l'un domine sur l'autre. Le roi, en s'accoutumant à régler les mouvements de vos corps, pourrait bientôt espérer de régler les mouvements de vos âmes. Il faut donc déterminer les formes invariables d'après lesquelles vous communiquerez avec lui. Tout ce que la dignité du corps législatif peut accorder s'arrête là où commencent les marques d'esclavage. J'adopte donc la plupart des propositions qui viennent d'être faites par l'un des préopinants. Quant à la distinction des fauteuils, j'aime à croire que le peuple sentira que le simple fauteuil du président mérite autant de vénération que le fauteuil d'or. (On applaudit.)

On demande que ces propositions soient solennellement discutées à huit jours d'intervalle, suivant les formes prescrites par la constitution.

La discussion est fermée. On demande à aller aux voix sur chacune des propositions séparément.

M. Souton récapitule les diverses propositions, et en fait autant d'articles séparés; il propose d'aller aux voix sur l'article suivant : <«< Au moment où le roi entrera dans l'assemblée, tous les membres se tiendront debout et découverts. >>

Cet article est adopté. M. Souton lit l'article II.

« Le roi arrivé au bureau, chacun des membres pourra s'asseoir t se couvrir. >>

M. Garran-Coulon. Cet article tendrait à établir une sorte de confusion dans l'assemblée, et cette aisance donnerait occasion aux uns de montrer de l'idolâtrie, et aux autres de la fierté. (Une voix s'élève Tant mieux; s'il y a des flatteurs, il faut les connaître.) Je demande qu'on décide précisément que, lorsque le roi sera au bureau, tous les membres seront assis, et qu'il sera libre à chacun de se couvrir.

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M. le président met aux voix l'article II. — L'épreuve paraît douteuse à quelques membres. D'une part, on demande qu'il soit fait une seconde épreuve; de l'autre, que l'assemblée soit seulement consultée pour savoir s'il y a du doute. Les débats sur ces deux

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propositions sont assez longs. conde épreuve.

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M. Lacroix. Il n'y a pas de doute; mais comme quelques membres du côté droit réclament...

Tous les députés placés à la droite du président, et beaucoup d'autres placés dans diverses parties de la salle, se lèvent en demandant à grands cris que M. I acroix soit rappelé à l'ordre.

M. Lacroix va se placer au milieu de la partie droite de la salle, et sollicite la parole. Les cris redoublent: A l'ordre! à l'ordre! M. le président se couvre. On fait silence.

M. le président. Monsieur Lacroix, au nom de l'assemblée, je vous rappelle à l'ordre pour avoir oublié les égards que vous devez à une partie de ses membres. (On applaudit.)

M. le président se découvre.

M. Lacroix. Maintenant que j'ai subi la peine, l'assemblée me permettra-t-elle de me justifier?

L'assemblée décide que M. Lacroix sera entendu.

M. Lacroix. En parlant du côté droit, je n'ai pas entendu comparer les membres qui y sont aujourd'hui à ceux qui y siégeaient dans le corps constituant. La preuve, c'est que je ne connais dans celte partie de la salle que six de mes collègues, les meilleurs citoyens du département.

L'assemblée décide qu'il ne sera pas fait mention au procès-verbal que M. Lacroix ait été rappelé à l'ordre. — M. le président consulte l'assemblée pour savoir s'il y a eu du doute sur la première épreuve. L'assemblée décide qu'il n'y avait pas de doute, et que l'article II est adopté.

Les articles suivants sont successivement lus et décrétés.

III. Il y aura au bureau et sur la même ligne deux fauteuils semblables; celui placé à la gauche du président sera destiné pour le roi.

IV. Dans le cas où le président ou tout autre membre de l'assemblée aurait été chargé préalablement par l'assemblée d'adresser la parole au roi, il ne lui donnera, conformément à la constitution, d'autre titre que celui de roi des Français, et il en sera de même dans les députations qui pourront être envoyées au roi.

V. Lorsque le roi se retirera de l'assemblée, les membres seront, comme à son arrivée, debout et découverts.

VI. Enfin la députation qui recevra et qui reconduira le roi sera composée de douze membres.

Ce décret fut la première occasion où se manifestèrent les tendances particulières des divers côtés de l'assemblée. Il fut pro

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