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qu'il soit décrété que l'acte constitutionnel sera apporté à la tribune. Cette proposition est adoptée.

M. Lacroix. Je demande l'ordre du jour sur la proposition qui a été faite d'envoyer une députation aux archives.

M. ***. Le préopinant paraît ne pas avoir compris l'esprit de la proposition. Ce n'est pas à l'archiviste qu'on envoie une députation, c'est au dépôt sacré qui ne peut être déplacé sans être sous la garde d'une commission de l'assemblée.

M. ***. Il n'est point question d'une députation; je demande qu'il soit décidé simplement que l'assemblée nommera des commissaires. M. ***. Pour terminer tous ces inutiles débats, je pense que comme l'acte constitutionnel ne peut arriver tout seul, il est tout naturel de l'envoyer chercher.

M. Lacroix demande la parole contre cette proposition, et fait de longs efforts pour l'obtenir.

L'assemblée ferme la discussion, et décrète que le président nommera, parmi les plus anciens d'âge, douze commissaires chargés d'apporter l'acte constitutionnel.

M. Moulins. Je pense qu'avant de nous occuper de rien de ce qui concerne le serment individuel de maintenir la constitution, nous devons renouveler au nom du peuple français, que nous représentons, le serment de vivre libres ou mourir. (On applaudit.)

A l'instant même tous les membres se lèvent, par un mouvement spontané, et prêtent, par une acclamation unanime, le serment de vivre libres ou mourir.

Les applaudissements des tribunes se prolongent pendant plusieurs minutes.

MM. les commissaires, ayant le vice-président à leur tête, se retirent pour aller chercher l'acte constitutionnel.

M. ***. Je demande que toute l'assemblée reste debout jusqu'à ce que l'acte constitutionnel soit déposé sur le bureau.

M. ***. L'acte constitutionnel est l'étendard sous lequel nous devons marcher; le serment que nous allons prêter sera le garant de la fidélité avec laquelle nous devons maintenir la constitution. Je demande que le serment que nous allons prêter soit imprimé en gros caractères, et placé au-dessus du bureau du président, afin que chaque membre qui demandera désormais la parole ait sous les yeux ce serment qui lui représente constamment ses devoirs.

M. ***. Il n'y a personne qui puisse l'oublier.

M. l'évêque du département de... Pour ajouter à la solennité de ce serment, je demande qu'il soit annoncé dans toute la ville, d'une

manière quelconque, au bruit du canon, par exemple; cela ne sera peut-être pas de trop. (Il s'élève beaucoup de murmures.)

M. ***. Je rappelle à l'assemblée un trait de l'histoire des Athéniens. Tout le monde le connaît sans doute. Après une défaite, ils firent prêter à leurs soldats le serment de mourir ou de vaincre; ces soldats furent fidèles à ce serment. On l'écrivit ensuite sur les drapeaux; il y eut beaucoup de transfuges. Je demande qu'on passe à j'ordre du jour.

M. Ducos. Plus la prestation du serment sera simple, plus cette cérémonie sera sublime. Je demande la question préalable sur toutes les motions nouvelles.

M. ***. L'assemblée a décidé que les vieillards qui sont dans son sein iraient chercher l'acte constitutionnel; je demande que les plus jeunes aillent le recevoir. (On murmure.)

L'assemblée ferme la discussion, et passe à l'ordre du jour sur toutes les motions proposées.

M. le président. La loi du 17 juin porte que chaque membre montera à la tribune, et dira: Je le jure. On a proposé que la formule du serment fût prononcée en entier. Je vais mettre cette proposition aux voix.

M. ***. Avant que l'assemblée soit consultée, je me permettrai une observation déterminante : c'est qu'il y aurait entre le président et le membre qui dirait je le jure, un concours dans la prestation du serment; en sorte que ce serment ne serait plus individuel.

M. le président consulte l'assemblée, et prononce« que l'assemblée nationale déclare que, conformément à l'acte constitutionnel, le serment sera prêté individuellement et dans toute son étendue. »> Plusieurs minutes se passent dans l'inaction.

Un huissier. Messieurs, j'annonce à l'assemblée nationale l'acte constitutionnel.

Les douze commissaires, escortés par les huissiers et par un détachement des gardes nationales et de la gendarmerie, entrent dans la salle au milieu des applaudissements de l'assemblée et du public. M. Camus, archiviste, porte l'acte constitutionnel.

Tous les membres restent levés et découverts.

M. ***, s'adressant aux spectateurs. Peuple français, citoyens de Paris, Français généreux, et vous, citoyennes vertueuses et savantes, qui apportez dans le sanctuaire des lois la plus douce influence, voilà le gage de la paix que la législature vous prépare. Nous allons jurer sur ce dépôt de la volonté du peuple, de mourir libres et de défendre la constitution... (Il s'élève des rumeurs qui étouffent la voix de l'orateur.)

TOME VI.

2

M. Camus porte à la tribune l'acte constitutionnel.

M. Lacroix demande la parole et réitère sa demande au milieu de longs murmures.

M ***. Lorsque le roi paraît dans le sein de l'assemblée, il est d'usage qu'on ne prenne aucune délibération. Je demande que tant que l'acte constitutionnel sera ici, on ne prenne aucune délibération. (On applaudit.)

M. le président. Nous allons passer à la prestation du serment. Je prie M. le vice-président de me remplacer un moment; je vais monter à la tribune pour prêter le serment.

La garde armée se retire.

M. Camus reste à la tribune, gardien de l'acte constitutionnel. Tous les membres sont assis et découverts.

M. le président prête le serment, et successivement, tous les membres, appelés par l'ordre alphabétique des départements, prononcent sur le livre constitutionnel la formule prescrite par la constitution.

L'appel est terminé.

M. Camus, archiviste, descend de la tribune, portant l'acte constitutionnel.

La même députation qui l'était allé chercher, l'entoure.

Toute l'assemblée se lève, et la députation sort au milieu des plus vifs applaudissements.

M. le président. Il résulte de l'appel que 492 députés ont prêté serment. (On applaudit.) L'art. Ir de la sect. IV du chap. III de l'acte constitutionnel nous indique maintenant ce que nous avons à faire. Le voici :

«Lorsque le corps législatif est définitivement constitué, il envoie au roi une députation pour l'en instruire. Le roi peut chaque année faire l'ouverture de la session, et proposer les objets qu'il croit devoir être pris en considération pendant le cours de cette session, sans néanmoins que cette formalité puisse être considérée comme nécessaire à l'activité du corps législatif. » C'est à l'assemblée à déterminer de combien de membres doit être composée la députation.

On entend successivement dans diverses parties de la salle ces mots: vingt-quatre, douze, soixante membres.

L'assemblée, consultée, décide que la députation sera de soixante membres et que, selon l'usage consacré dans la constituante, elle sera nommée par le président et les secrétaires.

M. le président. Tandis que je vais m'occuper avec les secrétaires de composer la liste de la députation, M. Cérutti a la parole.

M. Cerutti. Quatre cent quatre-vingt-douze députés, la main appuyée sur l'évangile de la constitution, viennent de lui rendre l'hommage solennel de leur fidélité. Maintenant il me paraît convenable d'offrir un juste sentiment de reconnaissance au corps constituant de qui nous tenons cet immortel ouvrage. (Toute l'assemblée et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.) Rien n'est plus commun que de jouir avec une ingratitude superbe du fruit des services rendus à l'État par quelques citoyens. On craint de paraître idolâtre des hommes revêtus de pouvoir; mais lorsqu'ils n'en ont plus, il est beau d'honorer l'usage vertueux d'une puissance expirée. Lorsque pour la première fois nous sommes entrés dans cette enceinte, j'ai vu que le peuple portait des regards de vénération sur nos prédécesseurs dispersés dans les tribunes, et des regards d'espérance sur les législateurs nouveaux. Nous partageons le vœu général, et nous l'émettrons d'une manière précise en votant des remercîments à l'assemblée qui a représenté, sauvé et régénéré l'empire français. (L'assemblée et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.)

Plus il y avait de troubles et de factions, plus nous avons de grâces à rendre à l'élite qui les a si glorieusement combattus. Assiégée dans son enceinte, elle disperse l'armée qui l'entoure; plongée dans l'obscurité, elle en fait jaillir la lumière; environnée de ruines, elle élève ce superbe édifice confié à nos soins. Quel sénat de Rome, quel parlement britannique, quel congrès américain a fait de si grandes choses en si peu de temps et avec si peu de forces? Trois années ont détruit quatorze siècles d'esclavage, et préparé des siècles de bonheur. Combien va s'agrandir le nom de ceux qui ont mis la main à ce superbe édifice. Prévenons, messieurs, la justice des temps, et adoptons le décret dont je vais vous donner lecture.

« L'assemblée nationale législative, succédant à l'assemblée nationale constituante, et considérant que le plus grand bienfait possible était une constitution telle que la nôtre, a décrété des remercîments à tous les bons citoyens qui ont concouru et contribué dans l'assemblée nationale à la confection et à l'achèvement de la constitution française.

« L'assemblée nationale législative s'empresse dans le même temps de rendre un solennel hommage aux grands exemples de magnanimité qui ont éclaté dans le cours de l'assemblée nationale constituante, et qui resteront imprimés éternellement dans la mémoire du peuple français. »

L'assemblée et les tribunes recommencent leurs applaudisse

ments.

M. Chabot. Je demande la parole pour un amendement. Sans doute, nous devons de la reconnaissance au corps constituant; mais peut-être n'est-il pas bien digne de dire que la constitution est la plus parfaite possible...

L'assemblée, interrompant M. Chabot, adopte unanimement la motion faite par M. Cérutti, et décide que son discours sera joint au procès-verbal, imprimé et envoyé aux quatre-vingt-trois dépar

tements.

M ***. Pour ajouter au décret qui vient d'être rendu, un nouvel hommage de notre reconnaissance, je demande qu'il soit réservé ici une place aux anciens membres du corps constituant, afin qu'ils soient témoins des progrès de l'esprit public. (Murmures.)

M ***. Pour que la marche de l'assemblée soit plus rapide, je demande qu'il soit nommé une commission chargée d'examiner si les règlements du régime intérieur de l'ancienne assemblée sont applicables à celle-ci.

Un de MM. les membres composant la députation qui avait accompagné l'acte constitutionnel. La constitution vient d'être remise aux archives, et ce précieux dépôt, que nous portons tous dans nos cœurs, a été placé avec toutes les précautions convenables.

M. le président. On est allé chez le roi pour lui demander l'heure à laquelle il recevra votre députation; je prie messieurs les membres qui la composent, de vouloir bien se rendre ici à six heures, et je leur ferai part de la réponse du roi.

La séance est levée à quatre heures.

L'espèce de pompe religieuse déployée dans la séance du serment eut un médiocre succès. Cet apparent enthousiasme pour la constitution ne trompa personne. « On nous prépare, s'écriait le Babillard, organe des royalistes constitutionnels, on nous prépare des scènes nouvelles et peut-être une seconde révolution. Une dissimulation profonde a dicté le serment de plusieurs députés. Les Fauchet, les Brissot, les Condorcet, ont juré de maintenir une constitution évidemment contraire aux principes qu'ils ont prêchés. » << On peut craindre, disait à son tour le Journal de Paris (numéro du 5 octobre), qu'en jurant sur l'acte constitutionnel, on ne s'accoutume à le considérer comme quelque chose de divin, où il ne sera plus permis à l'homme de rien changer. Si de pareilles idées s'y associaient jamais, ce serment deviendrait un blasphème contre la raison, et c'est la raison seule qui est sacrée, partout où la Divinité ne parle point par des miracles. Plusieurs législateurs

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