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leur autorité: ceux-là soutiennent l'égalité parfaite entre tous les homines; ceux-ci, la prérogative innée pour quelques-uns de commander aux autres.

C'est de ce conflit d'opinions et de prétentions que sont nées nos discordes civiles ; et lorsque l'imagination en est encore effrayée, il est difficile de porter un jugement impartial dans une semblable discussion chaque parti s'empresse de rejeter toutes les fautes commises sur le parti contraire. Ceux que l'état antérieur des choses avait placés au-dessus des autres, imputent tous les malheurs au défaut de soumission des derniers ; ceux-ci les attribuent aux droits arbitraires que s'étaient arrogés les premiers, à leur obstination à défendre d'absurdes et ridicules priviléges.

Pour être équitable en pareille matière, il faudrait pouvoir se dégager

soi-même de toute prévention; il faudrait se transporter en idée dans les siècles à venir: et encore, dans ce cas, faudrait-il pouvoir ignorer les résultats de l'Histoire, et se défaire de la pente presqu'irrésistible que nous avons à juger les choses par les événemens.

Il est vrai que la manière de décider la plupart des questions est en quelque sorte justifiée par les écarts auxquels conduisent presque toujours les théories abstraites. La révolution en fournit de funestes preuves aux générations futures: elle fut préparée par une foule d'écrits purement philosophiques. Les Ames, exaltées par l'espoir d'un bonheur inconnu, s'élancèrent tout-à-coup dans les régions imaginaires; nous crûmes avoir saisi le fantôme de la félicité nationale; nous crûmes qu'il était possible d'obtenir une République sans Anarchie,

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une liberté illimitée sans désordre, un systême parfait d'égalité sans factions. L'expérience nous a cruellement détrompés que nous reste-t-il de tant de chimères vainement poursuivies ? Des regrets, des préventions contre toute perfectibilité, le découragement d'une multitude de gens de bien qui ont re-. connu l'inutilité de leurs efforts.

Vous succombez, hommes, qui vouliez être libres, et parconséquent tous les crimes vous seront imputés; vous êtes des coupables auxquels on veut bien pardonner provisoirement, à condition que vous reprendrez vos premières chaînes, rendues plus pesantes par un orgueil si long-temps humilié, et rétrempées, au nom du ciel, dans l'esprit des vengeances.

Eh! Quelle fut donc, pendant les orages, la conduite de ceux qui vous

rapportent des fers? Ont-ils bien le droit d'accuser les autres des maux qu'ils ont pu souffrir? Ne serait-ce pas à euxmèmes que conviendraient ces noms d'assassins et de régicides qu'ils vous prodiguent si généreusement ? Et ne ressembleraient-ils pas à ces filous, qui, pour détourner les soupçons de leurs personnes, crient au voleur plus haut que tous les autres, pendant qu'ils cherchent à se perdre dans la foule ?

Quoi! disent ces transfuges, ce ne sont pas ceux qui ont voté la mort du Roi qui sont les régicides ? Non, ce sont ceux qui ont pris les armes contre leur mère patrie, c'est vous-mêmes ; les autres l'ont votée comme juges constitués par la nation, et qui ne doivent compte à personne de leur jugement. S'ils se sont trompés, ils sont dans le même cas que tous les autres juges qui

se trompent: ils se sont trompés avec la nation entière qui a provoqué le ju

gement, qui y a ensuite adhéré par des milliers d'adresses venues des communes ; ils se sont trompés avec toutes les nations de l'Europe qui ont traité avec eux, et qui seraient encore en paix avec eux, si les uns et les autres n'eussent été également victimes d'un nouveau parvenu.

Mais vous, qui venez après la tempête, comment vous justifierez-vous d'avoir impitoyablement refusé votre aide à ce Roi que vous affectez de plaindre? Vous, à la cupidité desquels il avait sacrifié les ressources du trésor public, vous, qui par la perfidie de vos conseils, l'aviez engagé dans le labirinthe dont il ne pouvait plus sortir que par vos propres efforts? Comment lui avez-vous refusé les dons- gratuits

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