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Denison

magge 3-30-88 35848

EXPOSÉ

DE

LA CONDUITE POLITIQUE

DE M. LE LIEUTENANT-GÉNÉRAL CARNOT,

Depuis le 1er Juillet 1814.

J'AI long-temps hésité à reprendre la plume

dans les circonstances actuelles, parce que je n'aime point à écrire sans nécessité sur les matières politiques. Je ne cherche ni à faire parler de moi ni à me faire oublier, parce que je sais me contenter du témoignage de ma conscience et mépriser la calomnie; mais l'Ordonnance du Roi, datée du 24 juillet dernier, me force à rompre le silence, en me comprenant dans la liste nominative de ceux qui doivent rester hors de Paris, sous la surveillance du Ministre de la Police générale, jusqu'à ce que les Chambres, qui viennent d'être convoquées pour le 25 septembre, statuent sur ceux de cette

liste qui devront ou sortir du royaume, ou être livrés à la poursuite des tribunaux (1).

Du moment qu'il est avoué par l'article 4 de l'Ordonnance, qu'elle déroge à la Charte constitutionnelle, les Chambres ne sauraient participer à son exécution sans déroger elles-mêmes à cette Charte ; et les dangers d'une semblable violation sont assez connus, pour qu'on demeure certain que la sagesse des législateurs saura en préserver la France. Ce n'est donc point pour me justifier d'avance aux yeux des Chambres, que j'offre cet exposé succinct; mais j'ai besoin de conserver l'estime dont le public, toujours impassible, m'a honoré au milieu des persécutions de tous les genres que j'ai déjà éprouvées; je soulage mon cœur en lui prouvant que je n'ai pas mérité de la perdre, que je n'ai cessé de consacrér jusqu'à la fin toutes mes pensées et tous mes vœux au bonheur de ma patrie.

(1) Afin qu'on ne calomnie pas de nouveau mes intentions, je commence par déclarer formellement, que je sépare entièrement de la personne de S. M., qui est inviolable et sacrée, celle de ses ministres qui sont essentiellement responsables. C'est donc à eux seuls que doivent être rapportées les observations que le droit naturel peut. rendre nécessaires à un prévenu pour sa propre défense.

Pourquoi, parmi tous les ministres à porte feuille de Napoléon, et parmi tous les membres de la commission de Gouvernement, suis-je le seal compris dans l'Ordonnance du 24 juillet?* Supposerait-on qu'ils étaient moins sincères que moi, qu'il y avait quelque arrière-pensée dans leur plan de conduite? Non; mes collègues re pousseraient ces soupçons injurieux à leur loyauté je me plais à leur rendre cette justice; j'ose croire que nous nous sommes tous montrés également zélés dans l'accomplissement des mandats qui nous avaient été confiés. Si nous n'avons pas toujours eu les mêmes opinions sur les moyens, nous avons eu du moins toujours le même but, celui de sauver la France d'un démembrement,et Paris de sa destruction; celui, d'assurer l'indépendance nationale et d'éviter l'effusion du sang. Avons-nous réussi dans ces vues autant que la crise du moment pouvait le permettre? Je le crois; j'en appelle aux ennemis eux-mêmes. Y ai-je pour ma part contribué autant qu'il était en mon pouvoir? Ma conscience me le dit; et j'invoque sur cela le témoignage de ces honorables collègues, dont j'ai partagé les travaux, et dont je ne suis séparé que par l'Ordonnance du 24 juillet.

Quel peut donc être le motif d'une semblable.

distinction entre eux et moi? et comment se fait-il que, parmi tant de personnes qui ont fait les mêmes choses, une se trouve digne de toute la confiance de S. M., une autre digne de toute son animadversion?

Le prétexte, je le présume, est mon Mémoire adressé au Roi en juillet 1814. Mais si à cette époque on ne jugea pas que cet écrit me rendît susceptible d'aucune autre persécution que de celle dont quelques folliculairés se rendirent les organes, et dont il me semble qu'ils s'acqui-' tèrent à la satisfaction de ceux qui les employaient, je ne vois pas ce qui peut donner lieu aujourd'hui à cette marche rétroactive. La question fut alors réduite à savoir si c'était moi qui avais fait publier ce Mémoire, et il fut constaté, par une instruction judiciaire, que je n'y étais pour rien.

Mais j'ai su que depuis le retour de Napoléon ce Mémoire avait été répandu de nouveau, falsifié, vendu scandaleusement dans les carrefours de Paris; que tout cela m'était attribué, et que c'est, dit-on, le principal grief qu'on m'impute aujourd'hui.

Il faut, certes, me connaître bien peu, pour croire, qu'étant chargé d'un ministère important, je m'occupasse d'une si misérable intrigue,

Le fait est que plusieurs libraires m'ont de mandé le privilége de vendre cet écrit; que je l'ai refusé à tous; que j'ai manifesté hautement mon indignation de l'abus qu'on en faisait ; que mesattributions, comme Ministre de l'Intérieur, ne me donnant pas le droit d'arrêter ce désordre, je m'en plaignis plusieurs fois au Ministre de la Police générale et à l'Empereur lui-même ; que celui-ci parut y attacher fort peu d'importance, et que le Ministre de la Police générale me ré→ pondit que c'était lui qui avait donné pour cela 1500 francs d'encouragement au libraire (1)..

On a dit que, cet ouvrage étant ma propriété, il n'aurait tenu qu'à moi de le revendiquer et d'en empêcher la distribution; mais il fallait done que je me misse en opposition avec le Ministre de la Police générale; il fallait me faire avec les libraires et les colporteurs un procès en mon propre et privé nom, et assurément personne n'aurait pris le change sur cette incartade ridicule. C'est travestir les objets, que de montrer comme une affaire d'intérêt privé, et d'un

(1) Je ne doute plus, d'après la nature des changemens que l'on dit avoir été faits dans les nouvelles éditions, que le Ministre de la Police générale n'ait agi par ordre su→ périeur.

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