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SCÈNE I.

MONDOR, LISETTE, avec une robe et une coiffure parfaitement semblables à celles de Lucile.

MONDOR, qu'elle tire par la manche en regardant derrière elle avec un air inquiet.

A QUOI bon, dans le parc, ainsi tourner sans cesse,
Pirouetter, courir, voltiger?

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MONDOR.

Quel?

LISETTE.

Quel? qu'est-ce? quoi? quand? qui? L'amant de Lucile, Que son mauvais démon ne peut laisser tranquille.

Dorante.

MONDOR.

Eh bien, Dorante?

LISETTE.

Il nous a vus de loin,

Ainsi que tu croyois m'aborder sans témoin.
Sous ce nouvel habit, du bout de l'avenue,
Qu'il ait cru voir Lucile ou qu'il m'ait reconnue,
Près de toi l'un vaut l'autre ; et surtout son destin
Semblant te mettre exprès une lettre à la main.
Nous entrons dans le parc : il nous guette, il pétille,
Il se glisse et nous suit du long de la charmille.
Moi qui du coin de l'œil observe tous ses tours,
Je me laisse entrevoir, et disparois toujours.
Dieu sait si le cerveau de plus en plus lui tinte!
Tant qu'enfin je le plante au fond du labyrinthe,
Où le pauvre jaloux, pour long-temps en défaut,
Peste et jure, je crois, maintenant comme il faut.
Je ferois encor pis, si je pouvois pis faire.
De ces cœurs défiants l'espèce atrabilaire
Ressemble, je le vois, aux chevaux ombrageux;
Il faut les aguerrir, pour venir à bout d'eux.

MONDOR,

Oh parbleu! ce n'est pas le foible de mon maître.
Au contraire, il se livre aux gens sans les connoître;
Et présume assez bien de soi-même et d'autrui,

Pour se croire adoré, sans que l'on songe

Du reste, sait-il bien se tirer d'une affaire?

LISETTE.

à lui.

Ceux qui l'ont séparé d'avec son adversaire,`
Disent qu'il s'y prenoit en brave cavalier;
Et, pour un bel esprit, qu'il est franc du collier.

MONDOR.

Il n'est sorte de gloire à laquelle il ne coure.
Le bel-esprit en nous n'exclut pas la bravoure.
D'ailleurs, ne dit-on pas : telles gens, tel
patron;
Et dès que je le sers, peut-il être un poltron?

LISETTE.

Voilà donc cet amour dont j'étois ignorante, *Et que j'ai cru toujours un rêve de Dorante?

MONDOR.

Mon maître ne dit mot; mais à la vérité,
Ce combat-là tient bien de la rivalité.

En ce cas, mon adresse a tout fait.

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Oui. J'ai de sa conquête honoré ta maîtresse.
Celle qu'il recherchoit ne me convenant pas,
De Lucile, à propos, j'ai vanté les appas.
Lui conseillant d'avoir souvent les yeux sur elle,
Et de mettre un peu l'une et l'autre en parallèle.
Il paroît qu'il n'a pas négligé mes avis.

LISETTE.

Il se repentiroit de les avoir suivis.

Envers et contre tous, je protège Dorante.

MONDOR.

Gageons que, malgre toi, mon maître le supplante,

Car étant né poëte au suprême degré,
Lucile va d'abord le trouver à son gré.
Monsieur de Francaleu déja l'aime et l'estime.
Du père de Dorante il n'est pas moins l'intime:
Et je porte un billet, à ce père adressé
Qu'après s'être battu, sur l'heure, il a tracé.
Sachant des deux vieillards la mésintelligence,
Il mande à celui-ci, selon toute apparence,
De rappeler un fils, qui fait ici l'amour,
Et dont l'entêtement croîtroit de jour en jour.
Il saura, là-dessus, le rendre impitoyable.
S'il aime enfin Lucile, ainsi qu'il est croyable,
Prends de mes almanachs, et tiens pour assuré,
Que le bonheur de l'autre est fort aventuré.

LISETTE.

Mais cet autre, avec qui je suis de connivence,
A pris, depuis un mois, terriblement l'avance.
J'ai vu pâlir Lucile, au récit du combat;
D'une tendre frayeur le cœur encor lui bat.
Lucile s'est émue: et c'est pour lui, te dis-je.
Il a visiblement tout l'honneur du prodige.
Depuis même, ils se sont entretenus long-temps;
Et s'étoient séparés, l'un de l'autre contents:
Lorsque, dans cet esprit soupçonneux à la rage,
Ma présence équivoque a ramené l'orage;
Mais le calme ne tient qu'à l'éclaircissement,
Et va couler ton maître à fond dans le moment.

MONDOR.

Je réponds de la barque, en dépit de Neptune.
Songe donc qu'elle porte un poëte et sa fortune!
Telle gloire le peut couronner aujourd'hui,
Qui mettroit père et fille à genoux devant lui.

Théâtre. Com. en vers. 10.

8

De ce coup décisif l'instant fatal approche.

L'amour m'arrache un temps, que l'honneur me reproche,
Adieu que devant nous tout s'abaisse en ce jour,
Et que tous nos rivaux tremblent à mon retour!

SCÈNE II.

LISETTE, seule.

TELLE gloire le peut couronner... J'ai beau dire,
Dorante pourroit bien avoir ici du pire.

Faisons la guerre à l'œil; et mettons-nous au fait
De ce coup, qui doit faire un si terrible effet.

SCÈNE III.

M. FRANCALEU, DAMIS, LISETTE.

M. FRANCALEU, à Lisette, qu'il ne voit que par derrière.

LUCILE, redoublez de fierté pour Dorante.

Vous n'êtes pas encore assez indifférente;

Vous souffrez qu'il vous parle, et je défends cela:
Tout net! entendez-vous, ma fille?

LISETTE, se retournant, et faisant la révérence.

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Lui ressemblé-je assez? Jouerai-je bien son rôle ?
L'œil du père s'y trompe; et je conclus d'ici,
Que bien d'autres, tantôt, s'y tromperont aussi,

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