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SCÈNE VII.

M. BALIVEAU, DAMIS.

M. BALIVEAU, à part.

LE sot évènement!

DAMIS.

Je ne puis revenir de mon étonnement.

Après un tel prodige, on en croira mille autres.
Quoi, mon oncle, c'est vous? Et vous êtes des nôtres!
Heureux le lieu, l'instant, l'emploi qui nous rejoint!

M. BALIVEAU.

Raisonnons d'autre chose, et ne plaisantons point.'
Le hasard a voulu...

DAMIS.

Voici qui paroît drôle.

Est-ce vous qui parlez? ou si c'est votre rôle ?

M. BALIVEAU.

C'est moi-même qui parle, et qui parle à Damis.
Voilà donc ce que fait mon neveu dans Paris?
Qu'a produit un séjour de si longue durée ?
Que veut dire ce nom : Monsieur de l'Empyrée ?
Sied-il, dans ton état, d'aller ainsi vêtu?
Dans quelle compagnie, en quelle école es-tu ?

DAMIS.

Dans la vôtre, mon oncle. Un peu de patience.
Imitez-moi. Voyez si je romps le silence
Sur mille questions, qu'en vous trouvant ici,
Peut-être suis-je en droit d'oser vous faire aussi.
Mais c'est que notre rôle est notre unique affaire;
Et que de nos débats le public n'a que fairc.

M. BALIVEAU, levant sa canne.

Coquin! tu te prévaux du contre-temps maudit...

DAMIS.

Monsieur, ce geste-là vous devient interdit!
Nous sommes,
vous et moi, membres de comédie.
Notre corps n'admet point la méthode hardie
De s'arroger ainsi la pleine autorité;

Et l'on ne connoît point chez nous de primauté.
M. BALIVEAU, à part.

C'est à moi de plier, après mon incartade.

DAMIS, galment.

Répétons donc en paix. Voyons, mon camarade.
Je suis un fils...

M. BALIVEAU.

J'ai ri. Me voilà désarmé.

DAMIS.

Et vous, un père........

M. BALIVEAU.

Eh oui, bourreau! tu m'as nommé.

Je n'ai que trop pour toi des entrailles de père;
Et ce fut le seul bien que te laissa mon frère.
Quel usage en fais-tu? Qu'ont servi tous mes soins?

DAMIS.

A me mettre en état de les implorer moins.
Mon oncle, vous avez cultivé mon enfance.
Je ne mets point de borne à ma reconnoissance;
Et c'est pour le prouver, que je veux désormais
Commencer par tâcher d'en mettre à vos bienfaits;
Me suffire à moi-même, en volant à la gloire;
Et chercher la fortune su temple de Mémoire.

M. BALIVEAU.

Où la vas-tu chercher? Ce temple prétendu,
(Pour parler ton jargon) n'est qu'un pays perdu,

Où la nécessité, de travaux consumée,

Au sein du sot orgueil, se repaît de fumée.

Eh! malheureux! crois-moi : fuis ce terroir ingrat.
Prends un parti solide, et fais choix d'un état,
Qu'ainsi que le talent, le bon sens autorise;
Qui te distingue, et non qui te singularise;
Où le génie heureux brille avec dignité;
Tel qu'enfin le barreau l'offre à ta vanité.

Le barreau!

DAMIS.

M. BALIVEAU.

Protégeant la veuve et la pupille,
C'est là qu'à l'honorable on peut joindre l'utile,
Sur la gloire et le gain établir sa maison
Et ne devoir qu'à soi sa fortune et son nom.

DAMIS.

Ce mélange de gloire et de gain m'importune.
On doit tout à l'honneur, et rien à la fortune.
Le nourrisson du Pinde, ainsi que le guerrier,
A tout l'or du Pérou préfère un beau laurier.
L'avocat se peut-il égaler au poëte?

De ce dernier la gloire est durable et complète.
Il vit long-temps après que l'autre a disparu.
Scarron même l'emporte aujourd'hui sur Patru.
Vous parlez du barreau de la Grèce et de Rome,
Lieux propres autrefois à produire un grand hon me;
L'antre de la chicane et sa barbare voix

N'y défiguroient pas l'éloquence et les lois.

Que des traces du monstre on purge la tribune,
J'y monte, et mes talents, voués a la fortune,
Jusqu'à la prose encor voudront bien déroger.
Mais l'abus ne pouvant sitôt se corriger,

Qu'on me laisse, à mon gré, n'aspirant qu'à la gloire,
Des titres du Parnasse cnnoblir ma mémoire;

Et primer dans un art, plus au dessus du droit,
Plus grave, plus sensé, plus noble qu'on ne croit!
Le vice impunément, dans le siècle où nous sommes,
Foule aux pieds la vertu, si précieuse aux hommes.
Est-il pour un esprit solide et généreux,

Une cause plus belle à plaider devant eux?
Que la fortune donc me soit mère ou marâtre,
C'en est fait pour barreau je choisis le théâtre;
Pour client, la vertu ; pour lois, la vérité;
Et pour juge, mon siècle et la postérité.

M. BALIVEAU.

Eh bien! porte plus haut ton espoir et tes vues.
A ces beaux sentiments les dignités sont dues.
La moitié de mon bien, remise en ton pouvoir,
Parmi nos sénateurs s'offre à te faire asseoir.¡
Ton esprit généreux, si la vertu t'est chère,
Si tu prends à sa cause un intérêt sincère,
Ne préfèrera pas, la croyant en danger,
L'effort de la défendre, au droit de la juger.

DAMIS.

Non. Mais d'un si beau droit l'abus est trop facile.
L'esprit est généreux, mais le cœur est fragile.
Qu'un juge incorruptible est un homme étonnant!
Da guerrier le mérite est sans doute éminent;
Mais presque tout consiste au mépris de la vie ;
Et de servir son roi la glorieuse envie,
L'espérance, l'exemple, un je ne sais quel prix,
L'horreur du mépris même inspire ce mépris.
Mais avoir à braver le sourire ou les larmes
D'une solliciteuse aimable et sous les armes !

Tout sensible, tout homme enfin que vous soyez,
Sans oser être ému, la voir presque à vos pieds!
Jusqu'à la cruauté pousser le stoïcisme!
Je ne me sens point fait pour un tel héroïsme.
De tous nos magistrats la vertu me confoud :
Et je ne conçois pas comment ces messieurs font.
Ma vertu donc se borne au mépris des richesses;
A chanter des héros de toutes les espèces;

A sauver, s'il se peut, par mes travaux constants,
Et leurs noms et le mien, des injures du temps.
Infortuné! je touche à mon cinquième lustre,
Sans avoir publié rien qui me rende illustre:
On m'ignore; et je rampe encore, à l'âge heureux
Où Corneille et Racine étoient déja fameux.'

M. BALIVEAU.

Quelle étrange manie! et dis-moi, misérable!
A de si grands esprits te crois-tu comparable?
Et ne sais-tu pas bien qu'au métier que tu fais,
Il faut, ou les atteindre, ou ramper à jamais ?

DAMIS.

Eh bien! voyons le rang que le destin m'apprête.
Il ne couronne point ceux que la crainte arrête.
Ces maîtres même avoient les leurs en débutant;
Et tout le monde alors put leur en dire autant.

M. BALIVEAU.

Mais les beautés de l'art ne sont pas infinies.
Tu m'avoueras du moins que ces rares génies,
Outre le don qui fut leur principal appui,

Moissonnoient à leur aise, où l'on glane aujourd'hui.

DAMIS.

Ils ont dit, il est vrai, presque tout ce qu'on pense.
Leurs écrits sont des vols, qu'ils nous ont faits d'avance,

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