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De Lucile, sans cesse, il contemple les charmes.
Il se voit vingt rivaux, sans en prendre d'alarmes.
A l'estime du père il a le plus de part.

Seule, avec son valet, je te trouve à l'écart.

Que te veut-il? pourquoi s'enfuit-il à ma vue?
Quels étoient vos complots? D'où vient paroître émue?
Réponds.

LISETTE.

Tout doucement; vous prenez trop de soin,

Et c'est aussi pousser l'interrogat trop loin.

DORANTE.

Je t'épierai si bien aujourd'hui... Prends-y garde!
Quelque part que tu sois, crois que je te regarde..
Cependant, allons voir (en les feuilletant bien),
Si ces tablettes-ci ne m'instruiront de rien.

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M'ÉPIER! Doucement! Ce seroit une chaîne.
Quoiqu'on soit sans reproche, on ne veut rien qui gêne.
Ah! c'est peu d'être injuste; il ose être importun!
Aux trousses du fâcheux je vais en lâcher un,
Qui, s'attachant à lui, saura bien m'en défaire.
Le voici justement.

SCÈNE IV.

M. FRANCALEU, LISETTE.

M. FRANCALEU.

QU'AS-TU donc tant à faire.

Avec ce cavalier qui ne semble, chez moi,
S'être impatronisé que pour être avec toi?

LISETTE.

De tous nos entretiens vous seul êtes la cause.

M. FRANCALEU.

Voyons un peu le tour qu'elle donne à la chose.

LISETTE.

Tout simple. Le jeune homme entend vanter à tous
Certaine tragédie en six actes,
de vous,

Que l'on dit fort plaisante et qu'il brûle d'entendre,
Sans qu'il sache par qui, ni trop comment s'y prendre.

M. FRANCALEU.

Et n'a-t-il pas l'ami qui me l'a présenté?

LISETTE.

Monsieur de l'Empyrée? Il aura plaisanté,
De caustique et de fat joué les mauvais rôles,
Et parlé de vos vers en pliant les épaules.

M. FRANCALEU.

J'en croirois quelque chose, à son rire moqueur.
Le serpent de l'envie a sifflé dans son cœur.

Oh bien, bien! Double joie, en ce cas, pour le nôtre !
Je mortifierai l'un, et satisferai l'autre ;

L'autre aussi-bien m'a plu, comme il plaira partout.
Il a tout-à-fait l'air d'un homme de bon goût;
Et d'ailleurs il me prend dans mon enthousiasme.
Je suis en train de rire; et veux, malgré mon asthme
Lui lire tous mes vers, sans en excepter un.

LISETTE.

Vous me déferez là d'un terrible importun.

M. FRANCALEU,

Va donc me le chercher.

LISETTE.

Faites-en votre affaire.

Je me vais occuper d'un soin plus nécessaire.

Il faut que je m'habille.

M. FRANCALEU

Et pourquoi donc sitôt?

LISETTE.

Voulant représenter Lucile comme il faut,

J'ôte dès à présent mes habits de soubrette,
Pour être, sous les siens, plus libre et moins distraite.

M. FRANCALEU.

C'est fort bien avisé. Va. Je me charge, moi...

SCÈNE V.

M. FRANCALEU, M. BALIVEAU,

M. FRANCALEU.

AH! c'est vous? Comment va la mémoire?

M. BALIVEAU.

Ma foi!

Quelques raisonnements que votre goût m'oppose,
Je hais bien la démarche où mon neveu m'expose.
Pour s'y résoudre, il faut à cet original
Vouloir étrangement et de bien et de mal.
Enfin mon rôle est su: voyons, que faut-il faire?

M. FRANCALEU.

Et moi, de mon côté, je songe à votre affaire.
Cependant soyez gai; débutez seulement,
Et vous serez bientôt de notre sentiment.
De vos talents à peine aurons-nous les prémices,
Que nous voulons vous voir un pilier de coulisses;
Et, quoi que vous disiez, vers un plaisir si doux
De la force du charme entraîné comme nous.

J'ai vu ce charme, en France, opérer des miracles;
Nos palais devenir des salles de spectacles;
Et nos marquis, chaussant à l'envi l'escarpin,
Représenter Hector, Sganarelle et Crispin.

M. BALIVEAU.

Je ne le cache pas. Malgré ma répugnance,
Une chose me fait quelque plaisir d'avance.
C'est le parfait rapport qui, par un cas plaisant,
Se trouve entre mon rôle et mon état présent.
Je représente un père austère et sans foiblesse,
Qui d'un fils libertin gourmande la jeunesse.
Le vieillard, à mon gré, parle comme un Caton:
Et je me réjouis de lui donner le ton.

M. FRANCALEU.

Celui qui fait le fils, s'y prend le mieux du monde.
Car nous ne jouons bien qu'autant qu'on nous seconde.
Tout dépend de l'acteur mis vis-à-vis de nous.
Si celui-ci venoit répéter avec vous?

M. BALIVEAU.

Je voudrois que ce fût déja fait.

M. FRANCALEU, appelant ses valets.
Hola hée!

Que l'on aille chercher monsieur de l'Empyrée.
(A M. Baliveau.)

Tenez, voilà par où le jeune homme entrera.
Vous pouvez commencer sitôt qu'il paroîtra.
Faites comme l'on fait aux choses imprévues.
Soyez comme quelqu'un qui tomberoit des nues;
Car c'est l'esprit du rôle : et vous vous souvenez
Que vous vous trouvez, vous et ce fils, nez à nez,
L'instant précis qu'il sort ou d'une académie,
Ou de quelque autre lieu que vous voulez qu'il fuie;

Et qu'à cette rencontre, un silence fâcheux
Exprime une surprise égale entre vous deux.
C'est un coup de théâtre admirable; et j'espère...

SCÈNE VI.

M. FRANCALEU, M. BALIVEAU, DAMIS.

M. FRANCALEU, à Damis.
MONSIEUR, voilà celui qui fera votre père.

Il sait son rôle; allons, concertez-vous un peu
Et tout en vous voyant, commencez votre jeu.

(A M. Baliveau, voyant son profond étonnement.】 Comment diable! à merveille! à miracle! courage! On ne sauroit jouer mieux que vous du visage. (A Damis.)

Vous avez joué, vous, la surprise assez bien;
Mais le rire vous prend, et cela ne vaut rien.
Il faut être interdit, confus, couvert de honte.

M. BALIVEAU.

Je sens qu'ainsi que lui votre aspect me démonte.
DAMIS, à Francaleu.

C'est que, lorsqu'on répete, un tiers est importun.

M. FRANCALEU.

Adieu done; aussi-bien je fais languir quelqu'un. (A Damis.)

Monsieur l'homme accompli, qui du moins croyez l'être, Prenez, prenez leçon : car voilà votre maître.

(Frappant sur l'épaule de Baliveau.)

Bravo! bravo! bravo!

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