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Mais en dépit d'eux tous, ma muse, en tapinois,
Se fait, dans le Mercure, applaudir tous les mois.

Comment?

M. BALIVEAU.

M. FRANCALEU.

J'y prends le nom d'une Basse-Bretonne.
Sous ce voile étranger, je ris, je plais, j'étonne;
Et le masque femelle agaçant le lecteur,

De tel qui m'eût raillé, fait mon adorateur.
M. BALIVEAU, à part.

Il est devenu fou.

M. FRANCALEU.

Lisez-vous le Mercure?

M. BALIVEAU.

Jamais.

M. FRANCALEU.

Tant pis, morbleu! tant pis! Bonne lecture!

Lisez celui du mois ; vous y verrez encor
Comme aux dépens d'un fou je m'y donne l'essor.
Je ne sais pas qui c'est. Mais le benêt s'abuse,
Jusque-là qu'il me nomme une dixième muse;
Et qu'il me veut pour femme avoir absolument.
Moi j'ai par un sonnet riposté galamment.
Je goûte à ce commerce un plaisir incroyable.
Et vous ne trouvez pas l'aventure impayable?

M. BALIVEAU.

Ma foi, je n'aime point que vous ayez donné
Dans un goût pour lequel vous étiez si peu né.
Vous poëte! eh bon Dieu! depuis quand? Vous!

M. FRANCALEU.

Je ne saurois vous dire au juste le quantième.

Moi-même.

Dans ma tête, un beau jour, ce talent se trouva;
Et j'avois cinquante ans, quand cela m'arriva.
Enfin je veux, chez moi, que tout chante et tout rie.
L'âge avance et le goût, avec l'âge, varie.
Je ne saurois fixer le temps ni les désirs;
Mais je fixe du moins chez moi tous les plaisirs.
Nous jouons une pièce aujourd'hui très plaisante.
J'en suis l'auteur. Elle a pour titre : l'Indolente.
Ridicule jamais ne fut si bien daubé;

Et vous êtes, pour rire, on ne peut mieux tombé.

M. BALIVEAU.

Ne comptez pas sur moi. J'ai quelque affaire en tête, Qui de moi ne feroit chez vous qu'un trouble-fête.

M. FRANCALEU.

Et quelle affaire encore?

M. BALIVEAU.

Un diable de neveu

Me fait, par ses écarts, mourir à petit feu.
C'est un garçon d'esprit, d'assez belle apparence,
De qui j'avois conçu la plus haute espérance.
J'en fis l'unique objet d'un soin tout paternel.
Mais rien ne rectifie un mauvais naturel.
Pour achever son droit (n'est-ce pas une honte?),
Il est depuis cinq ans à Paris; de bon compte.
J'arrive : je le trouve encore au premier pas.
Vagabond, dérangé, sans ce qu'on ne sait pas.
Ne pourrois-je obtenir, pour peu qu'on me seconde,
Un ordre qui le mette en lieu qui m'en réponde?
Ne connoissant personne et vous sachant ici,

Je venois...

M. FRANCALEU.

Vous aurez cet ordre.

M. BALIVEAU.

Grand merci.

M. FRANCALEU.

Mais plaisir pour plaisir.

M. BALIVEAU.

Pour vous que puis-je faire?

M. FRAN.CALEU.

Dans la pièce du jour prendre un rôle de père.

M. BALIVEAU.

Un rôle, à moi?

M. FRANCALEU.

Sans doute, à vous.

M. BALIVEAU.

C'est tout de bon?

M. FRANCALEU.

Qui; n'êtes-vous pas bien de l'âge d'un barbon?

M. BALIVEAU.

Soit; mais...

M. FRANCALEU.

Vous en avez les dehors.

M. BALIVEAU.

Je l'avoué.

M. FRANCALEU.

Assez l'humeur.

M. BALIVEAU.

Que trop.

M. FRANCALEU.

Et tant soit peu la moue:

M. BALIVEAU.

Avec raison.

M. FRANCALEU.

Et puis le rôle n'est pas fort.

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Je vois bien qu'il faudra qu'à la fin j'obéisse.
Mon coquin paiera donc...

M. FRANCALEU.

Oui, oui j'en suis garant;

Demain, l'on vous le coffre au faubourg Saint-Laurent.

M. BALIVEAU.

П faudra commencer par savoir où le prendre.

Dans son lit.

M. FRANCALEU.

M. BALIVEAU.

C'est bien dit, s'il lui plaît de s'y rendre.

Mais son hôte ne sait ce qu'il est devenu.

M. FRANCALEU.

On saura bien l'avoir après l'ordre obtenu.
Adieu; car il est temps de vous mettre à l'étude.

M. BALIVEAU.

Je vais donc m'enfoncer dans cette solitude;
Et là, gesticulant et braillant tout le soûl,
Faire un apprentissage en vérité bien fou.

SCÈNE II.

M. FRANCALEU, LISETTE.

M. FRANCALEU.

Moi, je fais l'oncle, et toi, Lisette, es-tu contente?
Tu voulois un beau rôle ; et tu fais l'Indolente.
Reste à s'en bien tirer. Ma fille est sous tes yeux;
Tâche à la copier. Tu ne peux faire mieux.

Le modèle est parfait.

LISETTE.

N'en soyez pas en peine.

Je veux lui ressembler au point qu'on s'y méprenne.
J'ai d'abord un habit en tout pareil au sien :
J'ai sa taille : j'aurai son geste et son maintien;

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