Page images
PDF
EPUB

C'est un fort galant homme, excellent caractère;
Bon ami, bon mari, bon citoyen, bon père;
Mais à l'humanité, si parfait que l'on fùt,
Toujours par quelque foible, on paya le tribut.
Le sien est de vouloir rimer malgré Minerve;
De s'être, en cheveux gris, avisé de sa verve;
Si l'on peut nommer verve une démangeaison
Qui fait honte à la rime, autant qu'à la raison.
Et malheureusement ce qui vicie, abonde;

Du torrent de ses vers sans cesse il nous inonde;
Tout le premier lui-même il en raille, il en rit;
Grimace! l'auteur perce; il les lit, les relit;
Prétend qu'ils fassent rire; et pour peu qu'on en rie,
Le poignard sur la gorge, en fait prendre copie,
Rentre en fougue, s'acharne impitoyablement,
Et charmé du flatteur, le paie en l'assommant,

DORANTE.

Oh! je suis patient! je veux lasser votre homme,
Et que de l'encensoir ce soit moi qui l'assomme.

DAMIS.

Pour moi, je meurs, je tombe, écrasé sous le faix.

DORANTE.

Qui vous retient chez lui?

DAMIS.

Des raisons que je tais;

Et je m'y plairois fort, sans sa muse funeste

Dont le poison n.audit nous glace et nous empeste. Heureux quand mon esprit vole à sa région,

S'il n'y porte pas l'air de la contagion!

Le voici. Tout le corps me frissonne à l'approche
Du griffonnage affreux qu'il a toujours en poche.

SCÈNE IV.

M. FRANCALEU, DORANTE,

M. FRANCALEU.

DAMIS.

PESTE soit de ces coups où l'on ne s'attend pas!
Voilà ma pièce au diable et mon théâtre à bas.

DAMIS.

Comment donc?

M. FRANCALEU.

Trois acteurs : l'amant, l'oncle, le père,

Manquant à point nommé, font cette belle affaire.
L'un est inoculé: l'autre aux eaux; l'autre mort:
C'est bien prendre son temps.

DAMIS.

Le dernier a grand tort.

M. FRANCALEU.

Je croyois célébrer le retour de ma fille;

A grands frais je convoque amis, parents, famille;
J'assemble un auditoire et nombreux et gaiant;
Et nous fermons. Le trait n'est-il pas régalant."
DAMIS, froidement.

Certes les trois sujets étoient bons; c'est dommage.

M. FRANCALEU.

Quelle sérénité! savez-vous, quand j'enraxe,
Que j'enrage encor plus, si l'on n'enrage aussi ?

DAMIS.

C'est que je vo's, monsieur, bon remède à ceci.
Le rôle des vicillards n'est pas de longue baleine;
Les deux premiers venus le rempliront sans peine,

Et l'amant?

M. FRANCALEU,

DAMIS, présentant Dorante.
Mon ami s'en acquitte à ravir.

DORANTE, à M. Francaleu.

Monsieur, vous me voyez tout prêt à vous servir.
M. FRANCALEU, à Damis..

Il a d'un amoureux tout-à-fait l'encolure.

DAMIS.

Le jeu bien au dessus encor de la figure.

M. FRANCALEU.

Mais il s'agit ici d'un amant maltraité,
Et peut-être monsieur ne l'a jamais été ;

Or il faut, quelque loin qu'un talent puisse atteindre,
Éprouver pour sentir, et sentir pour bien feindre.
DAMIS, avec un rire malin.

Aussi n'ira-t-il pas se chercher en autrui.

Le rôle qu'il accepte est modelé sur lui.

Le pauvre garçon meurt, meurt pour une inhumaine, Sans oser déclarer son amoureuse peine;

De façon qu'il en est encore à s'aviser,

Quand peut-être quelqu'autre est tout près d'épouser.
DORANTE, outré.

Ma situation sans doute est peu commune:
Et je sens en effet toute mon infortune.

M. FRANCALEU.

Bon, tant mieux! vous voilà selon notre désir.
Venez, et, croyez-moi, vous aurez du plaisir."

(It sort avec Dorante.)

DAMIS seul.

J'ai beau le voir parti : je ne m'en crois pas quitte;
Mais grâce à l'embarras qui l'occupe ét l'agite,
Sain et sauf, une fois, j'échappe à mon bourreau.

M. FRANCALEU, revenant vers Damis comme pour lui confier un secret bien important.

Attendez-vous à voir quelque chose de beau.
J'achève de brocher une pièce en six actes.
La rime et la raison n'y sont pas trop exactes;
Mais j'en apprête mieux à rire à mes dépens.

(Il rentre dans la maison.).

SCÈNE V.

DAMIS.

Er je n'armerois pas contre ce guet-apens?
Ce devroit être fait. Qu'il reste à sa campagne,
Ou me vienne chercher au fond de la Bretagne.
L'amour m'y tend les bras. Mon cœur m'a devancé.
C'est un nœud que de loin l'esprit a commencé.
Il est temps que la vue et l'achève et le serre.
Partons.

SCÈNE VI.

DAMIS, MONDOR.

MONDOR, rendant une lettre à Damis,
AH! grâce au ciel! enfin je vous déterre.
Je vous cherche, monsieur, depuis huit jours entiers;
Et de Paris cent fois j'ai fait tous les quartiers.
J'ai craint au bord de l'eau vos visions cornues;
Que cherchant quelque rime et lisant dans les nues,
Pégase imprudemment, la bride sur le cou,
N'eût voituré la muse aux filets de Saint-Cloud.
DAMIS, à part, en resserrant la lettre qu'il a luc.
Oh, oh! bon gré, malgré, voici qui me retarde.

MONDOR.

Écoutez donc, monsieur; ma foi, prenez-y garde.

Un beau jour...

DAMIS.

Un beau jour ne te tairas-tu point?

MONDOR.

A votre aise. Après tout, liberté sur ce point.
Enfin quelqu'un m'a dit qu'ici vous pouviez être :
Mais personne, monsieur, ne veut vous y connoître;
Et dans ce vaste enclos, que j'ai tout parcouru,
Je vous manquois encor, si vous n'eussiez paru.

DAMIS.

De mes admirateurs tout cet enclos fourmille:
Mais tu m'as demandé par mon nom de famille?

MONDO R.

Sans doute; comment donc aurois-je interrogé?

Je n'ai plus ce nom-là.

DAMIS,

MONDOR.

Vous en avez changé?

DAMIS.

Oui; j'ai, depuis huit jours, imité mes confrères.
Sous leur nom véritable ils ne s'illustrent guères;
Et, parmi ces messieurs, c'est l'usage commun
De prendre un nom de terre, ou de s'en forger up.

MONDO R.

Votre nom maintenant, c'est donc?

DAMIS.

De l'Empyrée,

Lt j'en oserois bien garantir la durée.

« PreviousContinue »