Page images
PDF
EPUB

Plus loin, le même auteur ajoute: « Le mari, en pays de droit écrit, ayant droit aux fruits du bien dotal, au prorata du temps qu'a duré son mariage, on ne peut y élever la question qu'on agite en pays de coutume, qu'on a prématuré ou retardé la récolte, parce qu'il n'a aucun intérêt à ce faire. » Et, peu après : « Du même principe que nous avons établi, qu'en pays de droit écrit le mari a part à tous les fruits au prorata du temps qu'il a supporté les charges, il s'ensuit qu'on n'a pas besoin d'examiner toutes les questions qu'on agite en pays de coutume, de savoir dans quel temps l'on doit regarder les fruits comme nés, ni dans quel temps l'on doit considérer les fermes de la campagne comme dues, ni la différence qu'on en doit faire d'avec les loyers des maisons de ville; car tout cela est inutile. On regarde tous les fruits comme échéant chaque jour, et le droit du mari est dû au prorata du temps que le mariage dure (1). » Tous nos anciens auteurs s'exprimaient de même (2).

Le tribun Duveyrier se trompait donc, quand il disait dans son rapport au corps législatif, que les principes de la loi romaine sur ce point n'avaient point passé dans la législation des provinces françaises régies par le droit écrit; mais toujours est-il que ce tribun reconnaissait formellement que c'étaient bien les principes de la loi romaine que le Code civil avait voulu reproduire (3).

649. D'après cela, on voit qu'il est absolument indifférent qu'à la dissolution du mariage les fruits aient été déjà perçus ou qu'ils soient encore pendants. Dans tous les cas, le mari doit gagner les fruits au prorata du temps que le mariage a duré, mais pas au delà. A-t-il perçu davantage, il doit restituer le surplus à la femme ou à ses héritiers; a-t-il reçu moins, il doit prendre ce qui lui reste dù, sur la prochaine récolte. Le mariage, par

(1) Ibid., nos 344 et 345.

(2) V. notamment Duperrier, Maximes de droit, De la dot, t. I, p. 511 (les Maximes forment le liv. V de ses Questions notables); et Despeisses, De la dot, n° 18, t. I, p. 444 de ses œuvres.

(3) « La réserve pour le mari de tous les fruits échus pendant le mariage, disait ce tribun, souffre néanmoins une petite exception relative seulement à la dernière année. La loi romaine veut que les fruits de cette dernière année se partagent entre le mari et la femme à proportion du temps que le mariage a duré pendant cette dernière année. Cette loi n'avait point passé dans la législation des provinces françaises soumises aux lois romaines, parce que chez les Romains le divorce seul la rendait nécessaire pour rendre en ce cas justice complète au mari et à la femme. Notre projet la rappelle et la prescrit aujourd'hui, parce que le divorce, mis au nombre de nos institutions, nous la rend applicable dans ses motifs et dans ses effets. » V. M. Locré, Lég. civ., t. XIII, p. 390.

exemple, n'a duré qu'un mois, et durant ce mois le mari a perçu l'entière récolte : il doit en restituer les onze douzièmes. Il a duré un an seulement, et le mari a perçu pourtant deux récoltes, parce que la première avait été perçue aussitôt après le mariage, et que la seconde, étant venue un peu plus tôt à maturité que la première, était déjà perçue lors de sa dissolution, il doit restituer la seconde récolte tout entière. A l'inverse, si le mariage a duré un an et que le mari n'ait perçu pourtant aucune récolte, parce que celle pendante lors de la dissolution du mariage a été un peu retardée, le mari doit prendre cette récolte tout entière (1).

650. Si l'immeuble dotal est productif de fruits seulement tous les deux ans, tous les trois ans, etc., il faut procéder d'une manière analogue, c'est-à-dire que le mari a toujours droit aux fruits proportionnellement au temps que le mariage a duré, mais pas au delà. Si la dot, par exemple, consiste en un étang qu'on pêche tous les deux ans et si le mariage n'a duré qu'un an, le mari n'a droit qu'à la moitié d'une pêche. S'il en a fait une durant le mariage, il doit en restituer la moitié : s'il n'en a fait aucune, il a droit à la moitié de la première pêche qui se fera après la dissolution.

De même, si la dot consistait en bois qu'on couperait tous les six ans et si le mariage en eût duré deux, le mari n'aurait droit qu'à un tiers de coupe. S'il en avait fait une durant le mariage, il devrait en restituer les deux tiers: s'il n'en avait aucune, il aurait droit au tiers de la coupe attendue (2).

De même encore, si l'immeuble dotal restait un an sur trois en jachère, et si la seule année pendant laquelle le mariage aurait duré correspondait à l'année de jachère, le mari aurait droit à un tiers de chacune des récoltes suivantes; et si au contraire le mariage avait duré juste les deux ans où le fonds devait produire, en sorte que la terre dût se reposer l'année suivante, le mari devrait rembourser un tiers de chacune des récoltes qu'il aurait perçues (3).

Si, au contraire, le terrain dotal produisait dans la même année deux récoltes d'une valeur égale, c'est par semestre que les droits

(1) Conf., dans les deux cas, MM. Proudhon, De l'usufruit, t. V, nos 2713 et 2715, et Benoit, t. II, no 197. Contrà, M. Dalloz aîné, Ancien Rép., t. X, p. 368, n° 62.

(2) MM. Delvincourt, t. III, p. 119 des notes; Proudhon, t. V, no 2735: Bellot, t. IV, p. 373; Duranton, t. XV, no 458.

(3) MM. Delvincourt, loc. cit.; Dalloz aîné, Ancien Rép., t. X, p. 368, no 59.

des époux devraient se régler (1). Si donc le mariage avait duré sept mois, le mari aurait droit à une récolte et au sixième d'une autre. Mais si les deux récoltes étaient d'une valeur inégale, c'est sur l'année entière que la distribution des fruits devrait se faire. 651. Doit-on prélever sur les fruits le montant des impenses, telles que semences, labours, etc.? L'affirmative paraît indubitable. La loi romaine en avait une disposition précise (2). Cette règle avait été adoptée dans l'ancienne jurisprudence française (3), et le Code civil lui-même la consacre dans l'art. 548, qui dispose: « Les fruits produits par la chose n'appartiennent au propriétaire qu'à la charge de rembourser les frais de labours, travaux et semences faits par des tiers. » A la vérité, l'art. 585 contient une règle contraire en ce qui concerne les rapports respectifs du nu-propriétaire et de l'usufruitier; mais l'art. 1571, comme on l'a fait remarquer, déroge précisément aux règles ordinaires de l'usufruit.

652. Le mari peut donc prélever sur la récolte de la dernière année toutes les impenses qu'il a faites pour l'obtenir (4). Mais doit-il, à son tour, tenir compte à la femme ou à ses héritiers des semences et frais de culture qui avaient déjà été exposés lors de la célébration du mariage pour les fruits alors pendants? L'équité semble commander cette réciprocité, dans le cas surtout où les impenses avaient été faites par la femme qui se serait constitué elle-même la dot (5). Ces impenses, en effet, étant évidemment par leur nature en dehors des fruits et représentant un capital avancé, dispenser le mari d'en tenir compte, c'est supposer que la femme lui en a fait don; or, les dons ne se présument pas.

La question est plus délicate, quand la dot a été constituée par un tiers qui avait fait les impenses dont il ne s'est pas réservé la répétition. Pourquoi en effet, peut-on dire alors, la femme obtiendrait-elle la répétition de frais qu'elle n'a point supportés ? Toutefois, même dans ce cas, il doit être tenu compte à la femme des frais, parce que le donateur est réputé, pour tout ce qui dé

(1) Quod in anno dicitur, potest dici et in sex mensibus, si bis in anno fructus capientur : ut est in locis irriguis. L. 7, § 6, D. Sol. mat.

(2) L. 7, Pr., D., Sol. mat.

(3) V. Serres, Institutes, p. 127, et Despeisses, De la dot, sect. III, nos 18 et 24.

(4) Conf. MM. Benoit, t. IV, p. 275; Duranton, t. XV, no 449; Tessier, t. II, p. 172; Zachariæ, t. III, p. 607. Contrà, MM. Sériziat, n° 306, et Taulier, t. V, p. 375.

(5) Conf. M. Tessier, t. II, p. 159.

passe la portée ordinaire de la jouissance du mari, avoir voulu gratifier l'épouse plutôt que l'époux. On dirait vainement qu'après de longues années de mariage il est souvent impossible de savoir quelles impenses avaient été faites lors de la célébration. En effet, les semences, les labours ou autres travaux se faisant à peu près tous les ans vers la même époque, il est en général facile d'apprécier s'ils avaient, ou non, été exposés lors du mariage contracté. D'ailleurs, la difficulté qu'il peut y avoir à faire une preuve peut nuire sans doute à celui par qui la preuve doit être faite; mais cela ne saurait changer les principes. Si donc la femme ou ses héritiers sont dans l'impossibilité de prouver que des impenses avaient été faites lors du mariage, il est évident qu'ils ne peuvent demander aucune déduction pour cet objet; mais s'ils font la preuve, la déduction leur est due.

La femme, du reste, ne pourrait pas, constante matrimonio, prélever sur la première récolte qui suivrait la célébration, les impenses qu'elle ou le donateur auraient faites antérieurement (1). Ces impenses s'identifiant en quelque sorte avec la dot, dont elles augmentent l'importance, le mari ne peut être tenu d'en faire compte que lorsqu'il est obligé de restituer la dot elle-même. La femme peut seulement en faire constater provisoirement le montant, afin d'éviter des difficultés lors de la restitution de la dot.

653. A partir de quelle époque se calcule l'année pour déterminer la portion de fruits qui revient au mari durant la dernière année de sa jouissance? L'art. 1571 dit que c'est à dater de la célébration du mariage. Puisque le mari, en effet, supporte les charges du mariage à compter de ce jour, il est juste qu'à dater de ce jour aussi il ait droit à tous les fruits de la dot: son droit se renouvelle à chaque jour correspondant des années suivantes.

654. Les anciens auteurs enseignaient, toutefois, que, lorsque le mari n'avait pu entrer en jouissance de la dot que postérieurement au mariage, ce n'était qu'à dater de son entrée en jouissance que les annuités de la dot devaient être calculées (2). Cette doctrine, tout à fait raisonnable, nous semble devoir être encore suivie, quoique l'art. 1571 ne fasse pas cette distinction (3). Le mari, en effet, ne peut compter raisonnable(1) V. ci-dessus, no 436.

(2) V. notamment Roussilhe, t. I, no 341, et Despeisses, De la dot, sect. II, n° 24.

(3) Conf. M. Benoit, t. II, no 190. V. cependant MM. Tessier, t. II, p. 166; Dalloz aîné, Ancien Rép., t. X, p. 367, no 53.

ment sur les fruits de la dot qu'à dater du jour où cette dot peut en produire; mais il doit y compter à dater de ce jour. Attribuer donc rétroactivement au mari une portion des fruits pour une époque antérieure, c'est dépasser son espérance; retarder, d'un autre côté, son droit aux fruits jusqu'au jour de l'année courante ou de l'année postérieure qui doit correspondre à celui de la célébration du mariage, c'est tromper sa juste attente. Le jour de l'entrée en jouissance de la dot est donc le seul point de départ admissible en pareil cas. Par exemple, un domaine a-t-il été constitué en dot à une femme mariée le 1er juillet 1845, avec cette restriction que le mari entrera en jouissance à dater du 1er janvier 1846 seulement, et le mariage a-t-il pris fin le 1er janvier 1847: dans ce cas, quoique le mariage ait duré dixhuit mois, le droit du mari ne sera ni d'une récolte et demie ni simplement d'une demi-récolte ; il sera d'une récolte entière.

655. Nous avons vu que, lorsque le mariage est dissous par la mort du mari, la femme a le choix d'exiger les intérêts de sa dot durant l'année du deuil, ou de se faire fournir des aliments pendant ledit temps aux dépens de la succession du mari. Si elle opte pour les aliments, les charges du mariage sont censées se continuer durant l'année du deuil, c'est-à-dire que les héritiers du mari doivent gagner les intérêts et les fruits de la dot durant cette année, absolument comme les gagnait le mari lui-même durant le mariage (1). Partant, la récolte perçue par ces héritiers, ou encore pendante lors de l'expiration de l'année du deuil, doit se partager entre ces héritiers et la veuve, absolument comme se seraient partagés les fruits de la récolte antérieure perçue ou pendante lors du décès du mari, si la femme n'eût pas opté pour les aliments.

656. L'art. 1571 est-il applicable aux produits périodiques des biens mobiliers dotaux dont la femme a conservé la propriété? C'est notre sentiment (2). A la vérité, le texte ne parle que des immeubles : les fruits des immeubles dotaux, y est-il dit, etc. Mais c'est seulement, à ce qu'il semble, parce que généralement la propriété des objets mobiliers passe au mari, et qu'alors il n'y a nul compte de fruits à faire, puisque le droit de la femme se réduit, en ce cas, à une créance dont le mari

(1) L'art. 1570 ne parle, il est vrai, que des intérêts; mais il y a évidemment même raison de décider pour les fruits. V. MM. Duranton, t. XV, no 574 ; Zachariæ, t. III, p. 605, note 27.

(2) C'est aussi celui de MM. Zachariæ, t. III, p. 606, note 31, et Taulier, t. V, p. 371.

« PreviousContinue »