par les facilités que vous avez eues pour vôtre debiteur, & le credit que vous avez bien voulu lui faire fans murmurer jus qu'à ce qu'il ait pu vous fatisfaire. Auffi voyez vous que vous n'avez pas obligé, comme on dit ordinairement, un ingrat, & que je ne me fuis pas trouvé fi-tôt en état de me liberer que j'ai com mencé par vos deux creances, & ce d'autant plus qu'elles étoient de telle nature, que fi je ne les arvois pas acquittées de mon vivant, il y a bien de l'apparence que mes heritiers n'en auroient pas dechargé ma fucceffion. Il est vrai que prenant la liberté de vous offrir en payement ces Memoires qui concernent le ComtéPairie d'Eu, & fes Ufages pretendus locaux, c'est vous prefenter une monnoie qui peut-être ne vous conviendra pas. Je demeure d'accord qu'il n'eft plus permis à qui que ce foit de payer en papier. Mais outre que dans le tems que j'ai compofe ces Memoires, & que j'ai redigé l'ordre de mes creanciers, c'étoit la monnoye courante, vous savez que d'une mauvaise paye faut toûjours prendre ce qu'on en peut tirer, & que la preference que je vous donne fur tous ceux à qui je fuis rede-vable me doit tenir lieu de quelque chofe. Enfin vous n'avez pas lieu de vous plaindre. Un debiteur eft quitte en abandonnant fes biens. Je n'ai rien quant à prefent que cet ouvrage, je vous le cede vous en fais un facrifice de très-bon cœur. Il faut bien vous refoudre l'accepter, & ce d'autant plus qu'il eft à proprement parler le vôtre, et que vous avez deja deffus un privilege qu'on ne fsauroit vous contefter, n'étant compofe que de matieres que j'ai empruntées de vous, & dont je reconnois de bonne foi que je -vous dois le prix. Si jamais je parviens à meilleure fortune, je vous en ferai part. C'est tout ce que vous pouvez exiger de moi. Au refte, Meffieurs, creufons je vous fupplie un peu plus la matiere, il voyons quelle monnoye je pourrois vous offrir, s'il en eft quelqu'une dont la nature pût égaler celle de vôtre creance. Ces graces que je reçois depuis tant d'années, & avec tant de pro fufion d'abondance de chacun de vous en particulier, l'hon neur que vous m'avez fait de m'admettre dans votre Ordre fans m'aßujettir à une nouuelle reception d'avocat à ma fortie du Parlement de Rouen où j'en avois exercé la Profeffion pendant dix ans ; la bienveillance dont vous m'avez honoré depuis, la part que vous m'avez donnée dans votre eftime; la bonté de vôtre cœur à fouffrir continuellement de mes imperfections; enfin tous ces bienfaits qui m'ont conftitué vôtre debiteur à l'inflant même que je fuis entré dans la Compagnie, font autant de chofes dont rien ne peut égaler la valeur. Dans cette fituation quel embarras, quel defagrement pour moi ! Il faut que je paße à l'avenir pour un mauvais payeur, ou pour un ingrat. Par rapport à la premiere qualité, je n'ai rien à dire; pauvreté n'eft pas vice, dit l'ancien pro-verbe; mais quant à l'autre, je ne la merite point, &ne fçaurois la fouffrir. Ceux qui n'ont pas affez de fortune pour s'acquitter folidement & avec effet des obligations reçues peuvent fe mettre parfaitement bien à couvert du blâme qu'on impute aux ingrats. Il n'en eft pas des obligations contractées moralement comme des autres dettes. Le plus pauvre homme du monde, dit l'Orateur Romain, peut s'acquitter des plus grandes de cette nature par une gratitude interieure, etiamfi gratiam referre non poteft, habere certè poteft. Et quoique des paroles foient fort peu de chofes pour repondre à des effets, elles doivent pourtant ici tenir lieu de fatisfaction envers les hommes, & particulierement quand l'obligation reçue eft fi grande, comme dans le cas prefent, qu'il ne fe trouve point de richelles capables de l'acquitter. Sur ce pied là, Meffieurs, je puis bien vous assurer que ce feroit me faire gratuitement injure fi l'on m'accufoit d'ingratitude envers vous. Quelques grands que foient vos bienfaits ma reconnoissance est encore au-dessus ; & fi je penfois que vous ne fuffiez pas penetres de cette veriré, je m'afjujettirois volontiers à ces loix rigoureufes de la Mofco-vie, & de la plupart des Indes Orientales qui veulent que le debiteur infolvable devienne efclave de fon creancier. Ce n'eft pas pourtant que cette qualité con-vienne aux perfonnes de ma Profeffion où la liberté regne avec tant d'empire; mais du moins cette proteftation fincere faite de ma part avec renonciation precife à tout privilege, me fervira-t'elle à vous faire connoître ma foumiffion aveugle mon parfait de vouement, le profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, PREFACE I L n'y a perfonne qui ne fçache que le Comté d'Eu fait partie du Duché de Normandie, & que néanmoins il eft du Reffort du Parlement de Paris depuis fon érection en Pairie. On fçait encore que les Habitans de ce Comté prétendent n'être point absolument sujets à la Coûtume generale de la Province; être en droit de rejetter les articles de difpofition nouvelle, & les Reglemens du Parlement de Rouen ; & avoir quelques Coûtumes locales & particulieres fur certaines matieres, qu'ils disent avoir été gardées chés eux pendant plufieurs fiecles. Il feroit affés difficile de difconvenir de ces Ufages: mais comme ils n'ont point été redigés par écrit, ou du moins autorisés par le Prince, on ne peut pas dire qu'ils ayent toûjours eu une execution entiere & parfaite. Quelquefois il s'efst trouvé des particuliers qui n'en font pas demeurés d'accord, & de là vient que la Cour pour faire droit fur les Questions qui fe préfentoient à juger, a dit par plufieurs Arrefts qu'il feroit fait des enquêtes par turbes, au moyen de quoi très-fouvent le droit du plus fort étoit celui qui prévaloit. Quelquefois auffi s'eft t'il trouvé des perfonnes qui ne méconnoiffoient pas ces Usages, mais qui prétendoient qu'on n'y devoit avoir aucun égard, parce qu'ils étoient contraires au texte de la Coûtume de Normandie, ce qui a donné lieu à differens Jugemens, dont les uns ont b été rendus en conformité, & les autres au contraire, la matiere se trouvant tantôt bien, & tantôt foiblement défendue. Depuis cinquante ans où environ, je trouve la Jurifprudence affés uniforme fur la Question. Le Parlement de Paris qui a vû les abus qui pouvoient naître de ces Coûtumes locales non redigées, ni approuvées par aucun Arrest du Confeil, a décidé depuis ce tems-là par plufieurs Arrests que le Comté d'Eu se devoit en tout regir par la Coûtume de Normandie. Mais on n'eft point encore parvenu à faire embrasser ces décisions par les Officiers de la Ville d'Eu. Ils perfeverent toûjours à juger plufieurs Questions par rapport à leurs Usages quoiqu'abfolument oppofés au droit municipal de la Province, ce qui eft très dangereux par la raifon qu'ils engagent les parties qu'ils ont condamnées dans des appellations dans lesquelles ceux en faveur de qui ils s'étoient déterminés ne manquent pas de fuccomber. Je conviens pourtant que leurs Sentences peuvent avoir été quelquesfois confirmées par un défaut d'inftruction, cette matiere n'étant traitée dans aucun livre, & perfonne, à proprement parler, ne s'en étant fait une étude particuliere; mais toutes les fois que la Queftion a été bien foûtenue, on a caffé leurs Jugemens, lorfqu'on a trouvé qu'ils renfermoient des difpofitions contraires aux maximes de la Province. J'ai eu la curiofité de recueillir la meilleure partie de ces Arrefts; d'en faire une recherche fort exacte ; & de m'informer très fidelement des efpeces dans lefquelles ils ont été rendus ; & m'en étant vû une quantité affés confiderable, j'ai crû que le Public ne me fçauroit pas |