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peu ou mal connus de sa vie politique, quelques redressemens d'erreurs historiques, voilà tout ce que nos vives instances pouvaient obtenir de son patriotisme tout actuel, tout positif, mais peu soucieux de lui-même.

Les notes dont je viens de parler restaient éparses dans mon portefeuille, lorsque l'explosion de juillet vint, pour la seconde fois, placer Lafayette à la tête d'une grande révolution.

Cet événement prodigieux rendit plus fréquens et plus intimes les rapports que la bonté du général avait bien voulu laisser s'établir entre lui et moi, et, pour comble de bienveillance, il me fit l'honneur de me nommer son aide-de-camp. Ami et aide-de-camp de Lafayette, depuis les jours de l'Hôtel-de-Ville jusqu'à celui de sa démission, on conçoit tout ce que j'ai dû voir et apprendre. Ce que j'ai vu, ce que j'ai appris, voilà mon livre.

Cependant, cette faveur ne m'imposait que des devoirs de circonstance; ma condition d'écrivain n'était point changée, mes projets restaient les mêmes, et le désir d'esquisser le caractère du grand citoyen que j'avais sous les yeux, ne fit naturellement que s'accroître avec les nouvelles facilités que je trouvais dans ma position passagère auprès de sa personne.

De plus, je compris que les événemens qui

allaient se dérouler deviendraient le point culminant, l'ame de mon ouvrage. Un demi-siècle et deux révolutions allaient, je le croyais alors, se résumer en quelques semaines; un roi et une cour, la légitimité monarchique et la souveraineté du peuple, l'esclavage et la liberté, devaient encore se retrouver en présence; de salutaires leçons pouvaient jaillir de ce conflit : j'étais écrivain par métier; ces leçons étaient ma chose; je m'en emparai pour le compte de ma patrie.

Je m'enrichis donc de tous les documens dont mes fonctions accidentelles me révélaient l'existence; je surchargeai mes tablettes et ma mémoire de tous les renseignemens historiques qu'amenait à moi un contact de, tous les instans avec les sommités du pouvoir.

Mes rapports, comme on s'en convaincra en parcourant mon livre, s'étendaient au-delà du cercle de l'état-major de la garde nationale. D'autres notabilités m'honoraient aussi de leur confiance. C'est ainsi, par exemple, que j'ai dû à un ami bien connu de la famille impériale, la possession de la correspondance du prince Joseph avec le général Lafayette; au hasard, celle de trois lettres de ce général à Louis - Philippe, et à divers membres du cabinet du 3 novembre, la découverte de quelques scènes d'intérieur d'un haut intérêt.

De là, et de là seulement, la connaissance des choses politiques que je communique aujourd'hui à mes concitoyens, en attendant que de nouveaux loisirs me permettent de confier à leur indulgence de plus longues et plus graves investigations.

Aurais-je, en tout cela, abusé de la confiance de M. de Lafayette ou de tout autre? Je ne saurais le craindre mon livre ne dévoile rien qui m'ait été confié; je dis seulement ce que j'ai vu, lu, entendu: rien de plus, rien de moins.

Serais-je assez malheureux pour que mon francparler déplût au général? Non, sans doute; car celui qui, toute sa vie durant, a eu pour principe de penser tout haut, et de n'avoir, quant à lui, aucun secret pour le peuple, ne pourrait s'offenser que d'un mensonge. Or, je ne dis que la

vérité.

Que si, cependant, et contre toute prévision, ces volumes causaient le plus léger chagrin à l'homme de France que je vénère le pluš, ma douleur serait extrême; mais je trouverais quelque consolation dans le sentiment même du sacrifice que j'aurais fait à l'accomplissement d'un devoir, parce qu'il est des devoirs auxquels tout, jusqu'à l'amitié d'un grand homme, doit être sacrifié.

Au surplus, le général Lafayette et quelques

autres personnages considérables pourront blâmer mon indiscrétion, mais leur loyauté me garantit qu'ils ne démentiront pas un seul des faits qui les concernent dans cet ouvrage.

Un mot encore. En traversant rapidement les trois grandes révolutions qui ont changé la face du monde moderne, en reportant mes regards vers ces temps orageux et difficiles qui ont accompli la régénération d'un hémisphère et préparé celle de l'autre, Lafayette m'a apparu comme la plus haute et la plus pure personnification du principe de l'ordre et de la liberté. En Amérique, comme en Europe, en tous temps, en tous lieux, je l'ai retrouvé, debout et respecté, partout où la liberté a eu besoin de secours, la faiblesse d'appui, la justice de courage, les lois de dévouement et de force; partout, enfin, où le peuple a voulu se mettre en possession de sa souveraineté primitive.

Voilà pourquoi j'ai parcouru, dans ma course, plus de sinuosités que je n'en avais entrevu de prime abord. Mais est-ce ma faute, à moi, si toutes les circonstances de la vie d'un tel homme intéressent la liberté ; si tous les incidens de son histoire ont quelque chose d'impérieux qui subjugue et qui commande, quelque chose qui défend à l'écrivain de détacher une seule pierre de ce magnifique édifice?

Voilà mon excuse, tant pour les pages que j'ai

consacrées aux événemens antérieurs à la révolu

tion de juillet, spécialité de ce livre, que pour les développemens que j'ai donnés aux opinions parlementaires de Lafayette pendant les deux dernières sessions. D'un côté, ces événemens s'enchaînaient à cette révolution, et j'ai cru ne devoir point scinder la succession des causes qui ont amené cette immense péripétie; de l'autre, ces opinions sont autant de corrélations dont l'absence eût faussé tout le système de mon travail.

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