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« Oui, nous le sommes, s'écria le capitaine, et << nous allons vous montrer comment ils se battent.>> << Ils furent presque tous tués. Lafayette était en même temps, de la part des amis de la liberté dans les deux hémisphères, l'objet du plus ardent intérêt et des plus vives réclamations. Les journaux patriotes d'Allemagne, d'Angleterre, d'Amérique, retentissaient de son nom. Le président des ÉtatsUnis, Washington, envoya un ministre à Berlin, et écrivit personnellement à l'empereur d'Autriche. Deux motions spéciales en faveur de ces prisonniers de la coalition furent faites au parlement d'Angleterre par le général Fitz-Patrick. Soutenues par toute l'éloquence des orateurs de l'opposition, elles furent combattues (1) par tous les sophismes et l'influence du ministère. Dans tous les cas, ces efforts

(1) « Je ne croirai jamais, disait noblement Fitz-Patrick, << que ce pays puisse hair un homme né en France, parce « que cet homme a institué dans l'origine ces gardes na<< tionales qui, après avoir maintenu, pendant deux ans, <«<sous ses ordres, la sûreté, les propriétés et le repos de << la capitale de la France, ont mis ensuite ce pays à même << de maintenir son indépendance, et d'établir le gouver<< nement de son choix contre tous les efforts de l'Europe conjurée. Encore moins consacrerai-je l'idée que sur un << seul coin de terre britannique, que dans les replis d'un << seul cœur anglais puissent se cacher des conceptions << assez étroites, une vengeance assez basse, pour voir <«<l'ami et le pupille de l'illustre Washington périssant <«< dans un cachot, à raison de ses principes politiques, «< fût-il même vrai qu'il eût puisé ces principes en soute<< nant la cause de l'Amérique contre la Grande-Bretagne. »

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eussent été insuffisans contre une animadversion si voilente et si invétérée. La France victorieuse s'occupa enfin des prisonniers d'Olmütz; les conseils se mirent en mouvement; le Directoire chargea ses plénipotentiaires, les généraux Bonaparte et Clarke, de demander, avant la signature de la paix, la délivrance de Lafayette, Latour-Maubourg et Bureaude-Puzy. Cette négociation dura encore cinq mois; et Napoléon a souvent répété depuis que de toutes ses négociations avec les puissances étrangères, celle-ci avait été la plus difficile, tant était grande leur répugnance à se dessaisir de leur proie. Mais qui pouvait résister aux armes triomphantes de la France et à l'ascendant prodigieux de Bonaparte! On fit néanmoins une tentative pour imposer des conditions aux prisonniers, à qui toute communication était interdite. Le lieutenant- général marquis de Chasteler, en fut chargé; on jugera la nature de cette démarche par la déclaration suivante de Lafayette.

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« La commission dont M. le marquis de Chas« teler est chargé me paraît se réduire à trois points 1° Sa Majesté Impériale souhaite faire «< constater notre situation; je ne suis disposé à lui porter aucune plainte. On trouvera plusieurs dé<< tails dans les lettres de ma femme transmises ou renvoyées par le gouvernement autrichien; et, « s'il ne suffit pas à Sa Majesté Impériale de relire « les instructions envoyées de Vienne en son nom, je donnerai volontiers à M. le marquis de Chas

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<< teler tous les renseignemens qu'il peut désirer.

« 2o Sa Majesté l'Empereur et Roi voudrait « être assurée qu'immédiatement après ma déli« vrance je partirai pour l'Amérique; c'est une <«< intention que j'ai souvent manifestée; mais, «< comme, dans le moment actuel ma réponse semblerait reconnaître le droit de m'imposer cette << condition, je ne pense pas qu'il me convienne de « satisfaire à cette demande.

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«3° Sa Majesté l'Empereur et Roi m'a fait l'hon<«< neur de me signifier que, les principes que je pro«< fesse étant incompatibles avec la sûreté du gou« vernement autrichien, elle ne veut pas que je puisse rentrer dans ses États sans sa permission spéciale. Il est des devoirs auxquels je ne puis << me soustraire ; j'en ai envers les États-Unis, j'en << ai surtout envers la France, et je ne dois m'en40 gager à quoi que ce soit de contraire aux droits << de ma patrie sur ma personne. A ces exceptions près, je puis assurer M. le général marquis de « Chasteler, que ma détermination invariable est « de ne mettre le pied sur aucune terre soumise à « l'obéissance de Sa Majesté le Roi de Bohème « et de Hongrie. » Maubourg et Bureau-de-Puzy firent aussi leur déclaration, et les trois prisonniers signèrent en conséquence l'engagement sui

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vant :

« Je, soussigné, m'engage envers Sa Majesté l'Empereur et Roi de n'entrer dans aucun temps << dans ses provinces héréditaires, sans avoir ob

« tenu sa permission spéciale, sauf les droits de ma patrie sur ma personne. »

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Alors les portes de la prison parurent se refermer pour toujours. Pendant ce temps, les ambassadeurs autrichiens assuraient au quartier-général d'Italie que les prisonniers étaient en liberté, et Bonaparte devina que c'était un mensonge. Mais le héros de l'Italie envoya M. Louis Romeuf, ancien aide-de-camp de Lafayette, pour traiter directement avec le ministre Thugut; enfin, le 28 septembre, les prisonniers sortirent de leur capitivité et furent conduits à Hambourg, où une fête les attendait à bord des bâtimens des États-Unis ; ils furent d'abord remis au consul américain, comme l'avait demandé le cabinet de Vienne, et s'empressèrent de se rendre chez le ministre de la république française, et d'arborer la cocarde nationale. Cependant les prisonniers d'Olmütz, délivrés avec éclat la ferme insistance de leur gouverpar nement, accueillis et environnés de considération par ses agens à l'extérieur, furent encore longtemps avant de rentrer dans leur patrie. Il eût fallu manifester leur adhésion à la journée du 18 fructidor, et cet acte de faiblesse ne convenait pas à des hommes qui avaient tant sacrifié et tant souffert plutôt que d'adhérer, en 92, à la violation du trône constitutionnel et de la représentation nationale. De plus, ils se firent un devoir sacré de comprendre dans l'expression de leur reconnaissance, la portion du gouvernement et des conseils qui avait

concouru avec le parti vainqueur à leur délivrance, et qui venait d'être déportée et proscrite. Chose remarquable, ce fut à cette même époque, alors que Lafayette était traité au dehors en général citoyen, et que le ministre de France assistait comme témoin au mariage de sa fille chez le consul français, qu'on acheva de vendre en France le reste de ses biens. Il avait refusé les émolumens et dédommagemens qui lui avaient été offerts dans les premiers jours de la révolution, et cependant une très-grande partie de sa fortune avait été dépensée pour la cause populaire (1).

Lafayette passa quelque temps dans le Holstein, pays neutre; il alla ensuite en Hollande, d'après l'invitation spéciale de cette république, encore pleine du souvenir des anciens rapports qu'il avait eus avec elle et les proscrits bataves de 1787. C'est là qu'ayant appris la mémorable journée du 18 brumaire, il prit sur-le-champ le parti de se rendre à Paris sans permission ni radiation préalable; il se contenta d'écrire aux consuls provisoires que

(1). On sait qu'alors les États-Unis votèrent à Lafayette nombre d'arpens de terre dans les meilleurs cantons de la Louisiane, qui revenaient à son grade, et qu'il avait refusés dans le temps. On se souvient aussi qu'en 1815 le congrès a fait au soldat de la liberté le magnifique présent d'un million en argent et d'une étendue considérable de terre dans les Florides, en alléguant avec une exquise délicatesse que c'était une compensation de ses dépenses primitives.

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