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tous ceux pour qui son asservissement et sa ruine ne sont pas les objets d'une atroce jouissance ou d'une infàme spéculation.

« Telles sont, messieurs, les représentations et les pétitions que soumet à l'Assemblée nationale, comme il les a soumises au Roi, un citoyen à qui on ne disputera pas de bonne foi l'amour de la liberté; qué les diverses factions haïraient moins, s'il ne s'était élevé au-dessus d'elles par son désintéressement; auquel le silence eût mieux convenu si, comme tant d'autres, il eût été indifférent à la gloire de l'Assemblée nationale, à la confiance dont il importe qu'elle soit environnée, et qui, luimême, enfin, ne pouvait mieux lui témoigner la sienne qu'en lui montrant la vérité sans déguisement.

à mes

« Messieurs, j'ai obéi à ma conscience, sermens; je lè devais à la patrie, à vous, au Roi, et surtout à moi-même, à qui les chances de la guerre ne permettent pas d'ajourner les observations que je crois utiles, et qui aime à penser que l'assemblée nationale y trouvera un nouvel hommage de mon dévouement à son autorité constitutionnelle, de ma reconnaissance personnelle et de mon respect pour elle.

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Signé, LAFAYETte. » Cette lettre, accueillie par la majorité de l'assemblée, fut amèrement attaquée par les députés jacobins. Les clubs dénoncèrent à l'envi Lafayette ; celui de Paris choisit pour son organe le trop fameux Collot-d'Herbois.

Pendant ce temps les intrigues se multiplièrent. On a donné le nom de républicains aux factieux de l'époque, comme on le donna ensuite aux hommes de la terreur; mais il n'était pas question de république au Champ-de-Mars; les aveux de madame Roland et de Brissot en font foi. Les noms du duc de Brunswick, du duc d'York, étaient prononcés dans les clubs, et l'on a vu ce que devinrent depuis la plupart des soi-disant républicains des temps d'anarchie et de violence.

Cependant soixante- quinze administrations départementales, composées des véritables élus du peuple, avaient adhéré formellement à la lettre de Lafayette, et l'Assemblée nationale recevait tous les jours de nouvelles adhésions dont le cours ne fut interrompu que par la catastrophe du 10 août et les crimes de septembre.

Le commandement de la frontière, partagé, depuis la démission de Rochambeau, entre Luckner et Lafayette, s'étendait, pour le maréchal, du Rhin à Longwy, et pour Lafayette, de Dunkerque à Montmédy. Les deux généraux prévirent aisément que la principale attaque se ferait vers le point de jonction de leurs commandemens respectifs; et malgré les mouvemens simulés des Autrichiens, les cris des jacobins, les dénonciations des journaux, les représentations des ministres subjugués par les clubs, les désobéissances de Dumouriez, brouillé d'abord, et puis après les plus graves imputations mutuelles, reconcilié avec ses

anciens collègues, malgré tout cela, disons-nous, Luckner et Lafayette portèrent vers les points menacés les deux corps de troupes qui étaient prêts à se soutenir mutuellement, et à s'opposer au duc de Brunswick. Mais tandis que leurs dispositions militaires, celles entre autres qu'ils faisaient en Flandre, étaient contrariées par des ordres venus de Paris, des intrigues intérieures retardaient la marche même des réquisitions qu'ils avaient ordonnées conformément à la loi. Heureusement que plus tard une partie de ces nouvelles levées arriva à temps dans les plaines de la Champagne. C'est alors qu'une position habilement choisie et hardiment occupée par Dumouriez, successeur de Lafayette; la bataille de Valmy, gagnée par Kellermann et le canon de Daboville; le patriotisme et le courage français ; l'imprudente confiance des alliés, et le concours des élémens, justifièrent les prédictions du général proscrit, et peut-être que dans cette retraite ce fut un bonheur pour les alliés d'avoir affaire, pour nous servir de l'expression du marquis de Lucchesini, à un général qui savait négocier.

Lafayette avait été dénoncé à l'Assemblée nationale par les membres qui, alors, s'étaient constitués les organes, et se croyaient les chefs des ja

cobins.

On lui donna le nom de nouveau Cromwell, non cependant dans le sens honorable de Mirabeau lorsque, impatienté de ses scrupules, il l'appelait

Cromwell-Grandisson: Et par qui ce reproche d'ambition vulgaire lui était-il adressé? par des hommes dont il avait repoussé les offres de dictature et de commandement général. Il était représenté comme aristocrate par ces mêmes jacobins qui, dans leurs instructions ministérielles, venaient de lui recommander de ne pas trop se livrer en Belgique à ses sentimens démocratiques, et par d'autres aussi, qu'on a vus depuis couverts de titres et chamarrés d'or et de cordons. De son côté, la cour payait les libelles où il était dénoncé comme royaliste on l'accusait de se faire un rempart séditieux de son armée.

Cette aveugle obstination de la cour à écarter, par de jalouses méfiances et des calomnies souterraines, les hommes, et surtout l'homme qui plus que tout autre avait, alors, le pouvoir et l'intention de la protéger par des moyens constitutionnels, est un des traits remarquables de l'histoire du temps.

Le 28 juin, Lafayette se présenta seul à la barre de l'Assemblée, pour demander vengeance des violences exercées, le 20, aux Tuileries. Les citoyens qui venaient de l'applaudir l'auraient défendu personnellement, mais ils ne lui donnèrent pas l'appui de l'énergie civique que cette circonstance critique aurait exigé. Le roi devait passer le lendemain une revue de la garde nationale; il y eut contre-ordre dans la nuit. La cour fit échouer le projet de Lafayette, et le roi refusa positivement les proposi

tions qu'il lui fit pour le garantir des dangers qui le menaçaient. Lafayette lui avait offert de le conduire en plein jour à Compiègne, distance qu'il pouvait parcourir sans violer la constitution. Là, il eût trouvé un détachement de troupes sûres ainsi que la garde nationale locale, et par une proclamation faite en toute liberté, il aurait recouvré la confiance publique. « Il sauverait le roi, disaient les courtisans, mais non la royauté, » car pour les courtisans la royauté constitutionnelle n'était rien. La reine répondit : « que ce serait trop de devoir <«< encore une fois la vie à M. de Lafayette. » On a sudepuis, par les Mémoires de M. Hue, premier valet de chambre de Louis XVI, imprimés à l'imprimerie royale, en 1814, que le refus qu'on attribuait seulement aux conseils intérieurs et aux répugnances de la cour pour les patriotes, était spécialement dû à une lettre du duc de Brunswick, écrite du tier-général de Coblentz. » Le roi y était conjuré d'attendre « à Paris que les troupes coalisées et les << émigrés vinssent l'y chercher. » Lafayette, repoussé dans tous ses efforts pour garantir les jours du roi et de sa famille, n'eut qu'à poursuivre sa route vers la frontière de Sédan.

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Le 8 août, l'assemblée nationale délibéra sur la dénonciation portée contre Lafayette. Il fut décidé, après de vifs débats, et à la majorité de 407 voix contre 224, qu'il n'y avait pas lieu à accusation. Le lendemain 9, un grand nombre de députés qui avaient voté pour lui, eurent à se plaindre d'outra

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