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Dans la journée du 28 février 1791, après avoir réprimé une émeute excitée à Vincennes dans le but de l'attirer hors de Paris, lui en fermer les portes, et même attenter à ses jours, Lafayette revint au château, où s'était formé, dans les appartemens et par des passages intérieurs, un rassemblement armé, auquel on a donné le nom de chevaliers du poignard. Les murmures de la garde nationale de service avaient suffi pour dissiper cette étrange réunion, dont le roi lui-même blâma l'imprudence et sentit le danger. La présence de Lafayette démentit le bruit de sa mort déjà répandu. Il demanda que les armes déposées, et parmi lesquelles il y avait effectivement des poignards, fussent livrées à la garde nationale, et un ordre du jour annonça que les chefs de la domesticité, pour nous servir de ses expressions, avaient reçu l'injonction de ne plus souffrir de pareilles entreprises. C'est ainsi qu'il eut continuellement à défendre la liberté et l'ordre public contre les complots et les efforts, souvent simultanés, quelquefois combinés, des diverses factions qui, depuis, et lorsque les institutions régulières furent enfin établies, firent une si violente et si funeste explosion.

Le 11 avril de la même année, une émeute, évidemment préparée dans l'ombre, s'étant opposée au voyage ordinaire du roi à Saint-Cloud, Lafayette fut, pour la première et la seule fois, mécontent de la garde nationale de service; il le

fut aussi des autorités civiles et de la cour; il donna sa démission. La commune en corps et tous les bataillons réunis allèrent le conjurer de reprendre le commandement.

L'évasion du roi, contre laquelle on avait pris toutes les précautions compatibles avec la liberté dont jouissait le chef suprême de l'État, fut pour Lafayette une crise d'autant plus imprévue, que les paroles positives et le ton de sincérité du monarque l'avaient mis récemment dans le cas de démentir les soupçons qui s'élevaient, et de répondre publiquement et sur sa tête que le roi ne partirait pas (1). « En effet, dit un historien, la fu«reur du peuple contre Lafayette fut extrême; elle s'apaisa quand le peuple vit la tranquillité avec « laquelle il s'avançait sans escorte, au milieu « des rugissemens d'une foule prodigieuse qui s'é«tait réunie devant l'Hôtel-de-Ville. Quelques << lamentations sur le malheur public qui venait << d'arriver, et qui semblaient interpeller Lafayette, « lui fournirent l'occasion de dire à ceux qui se « désolaient, que s'ils appelaient cet événement un « malheur, il voudrait bien savoir quel nom ils « donneraient à une contre-révolution qui les pri« verait de la liberté. »

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Le même témoin oculaire (2) ajoute que dans

(1) Histoire de France de Toulongeon. Voyez les Pièces justificatives.

(2) Bureaux-Puzy.

cette multitude il s'éleva plusieurs voix qui lui offrirent la place vacante, et qu'il repoussa par un sarcasme assez dédaigneux et qui acheva de lui rendre toute sa popularité.

Aussitôt que ce fatal départ, signal trop prévu de guerre civile et étrangère, lui fut connu, Lafayette, sans attendre la réunion de l'assemblée, et après avoir consulté son président et le maire, prit sur lui seul la responsabilité de signer et d'envoyer sur toutes les routes l'ordre d'arrêter ce qu'il appelait l'enlèvement du roi. Heureusement pour lui, d'après les horribles attentats qui eurent lieu depuis, ce ne furent pas ses ordres, nécessairement tardifs, mais bien le malheur d'être reconnu par un maître de poste, qui occasiona l'arrestation de Varennes. La famille royale, en recevant par l'aide-de-camp de Lafayette, le décret de l'Assemblée, parut surprise qu'il commandât encore à Paris; et, en effet, observe Bouillé dans ses Mémoires, la fuite du roi devait le faire massacrer par le peuple. Il est assez remarquable que le fameux Danton, qui avait naguère reçu 100,000 francs de la cour, fut le seul qui, le même soir, au club des Jacobins, demanda la tête de Lafayette, quoiqu'il sût fort bien que celui-ci connaissait son secret.

Lorsque le roi et sa famille furent ramenés à Paris, où jusqu'alors ils n'avaient été que surveillés mais non prisonniers, un décret de l'Assemblée les consigna, sous les ordres du commandant

général, à des gardes personnellement responsables, et d'autant moins confians qu'ils venaient d'être trompés. Lafayette redoubla de zèle pour garantir la sûreté de la famille royale; mais les honneurs souverains ne furent rendus au monarque qu'après qu'il eut de nouveau reconnu et accepté son titre de roi constitutionnel. Pendant ce temps, Bouillé ayant, dans sa lettre de Luxembourg, dit qu'il avait vu un parti qui voulait la république et que Lafayette en était, celui-ci renouvela dans l'Assemblée l'expression de sa fidélité à la constitution qu'elle avait établie. En effet, tandis que deux factions l'accusaient d'avoir connivé à la fuite du roi, pour fonder la république, disaient les uns, pour servir la cour, disaient les autres, calomnies absurdes et contradictoires, lui, n'employa sa popularité et son pouvoir qu'à assurer l'indépendance des délibérations et l'obéissance aux décrets de l'Assemblée.

Celui du 16 juillet 1791 ayant prouvé la détermination presque unanime de rétablir le roi, les mécontens se réunirent au Champ-de-Mars dans la matinée du 17, pour signer une protestation contre cette mesure. Ils commencèrent par égorger deux invalides, et portèrent leurs têtes sur des piques. Lafayette y accourut promptement et fit abattre les barrières déjà élevées. Un homme, dont l'arme ne fit pas feu, tenta de lui tirer un coup de fusil à bout portant; l'assassin, que Lafayette fit relâcher, se vanta depuis de ce crime à

la barre même de la Convention. D'après la promesse qui leur fut faite que les attroupemens se sépareraient, les officiers municipaux patientèrent jusqu'au soir; mais comme l'effervescence augmentait, qu'on annonçait des projets hostiles à l'Assemblée nationale, et que ce corps ordonna à la municipalité de rétablir la sûreté publique, celleci déploya le drapeau de la loi martiale, et le transporta sur les lieux, ayant à sa tête le maire escorté par un détachement sous les ordres de Lafayette. La municipalité fut assaillie de pierres, et eut même à essuyer quelques coups de feu. La garde nationale riposta, mais en l'air; l'audace des perturbateurs s'en accrut; alors la garde fit feu. Une douzaine d'hommes, suivant le rapport de Bailly, furent tués, autant furent blessés; on a dit que ce nombre était plus considérable; il fut même alors ridiculement exagéré. Quoi qu'il en soit, quelques instans suffirent pour dissiper ce rassemblement, renouvelé avec plus de succès au 10 août et au 31 mai. La municipalité et la garde nationale qui, dans cette malheureuse journée, perdit aussi quelques hommes, reçurent les remercîmens unanimes de l'Assemblée. Il y aurait eu plus de sang répandu si, au moment où on allait mettre le feu à un canon, Lafayette, entraîné par un périlleux dévouement, ne s'était jeté au-devant de la pièce, dont le canonnier effrayé n'eut que le temps de retirer son bras.

Pendant la dernière rédaction de l'acte constitu

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