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sonnier. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que furent réprimés à la fois un complot contre-révolutionnaire, et l'horrible attentat d'une faction coupable. D'autres actes de fermeté contribuèrent au prompt rétablisssement de l'ordre public. Des séditieux qui avaient assassiné un boulanger, furent jugés et pendus; un attroupement de soldats révoltés fut entouré, dépouillé de l'uniforme et conduit aux prisons de Saint-Denis. Enfin, quoique Lafayette eût souvent des mouvemens populaires à réprimer, et plus encore à calmer par la persuasion, Paris jouit pendant deux ans d'une tranquillité étonnante au sein d'une si grande fermentation.

Les débats de l'Assemblée sont une preuve irrécusable de la liberté des opinions. Celle de la presse, s'exerçant surtout contre les hommes du pouvoir, fut excessive dans tous les sens, depuis les journaux et pamphlets contre- révolutionnaires jusqu'aux écrits de ce Marat, savant assez connu, et médecin attaché à la maison du comte d'Artois, qui, parti aristocrate pour Londres, deux mois avant le 14 juillet, revint, un mois après, démagogue furieux et dénonciateur quotidien de Bailly et Lafayette. Il n'y eut, au milieu de ce conflit que trois hommes traduits en jugement pour crime d'état: Bezenval qui fut acquitté, ainsi que le prince de Lambesc contumace, et Favras, officier de la maison de Monsieur depuis Louis XVIII, qui vint alors à l'Hôtel-de-Ville attester lâchement qu'il n'existait aucun rapport politique entre Favras et

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lui, et protester de son attachement à la révolution. Favras fut jugé par le tribunal du Châtelet, d'après les anciennes lois, mais suivant les nouvelles formes favorables aux accusés. « Vos magistrats, avait dit Lafayette aux deux chefs de ce corps, « sont incapables de se laisser influencer par la « crainte, mais ce serait une lâcheté bien superflue, car je vous réponds de tout. » En effet, le courageux et discret Favras remercia en pleine audience la garde nationale de son zèle à protéger sa personne et l'indépendance de ses juges. Il fut condamné, quoiqu'une des principales charges qui pesaient sur lui, le projet d'assassiner le maire et le commandant général, eût été atténuée par une lettre de ces deux fonctionnaires, tendante à invalider ce chef d'accusation.

Lafayette parla souvent dans l'assemblée nationale sur les désordres qui éclataient dans les diverses provinces ; il demanda des décrets répressifs, et des dédommagemens pour les maisons incendiées, par suite de ces désordres, dont il accusa en grande partie l'esprit contre-révolutionnaire. Cette pensée de l'influence du dehors sur les excès de l'anarchie fut souvent reproduite par lui; ce fut aussi celle d'un grand nombre d'amis les plus purs de la liberté et de l'ordre public. « Ce n'est pas " pour le Champ-de-Mars que vous m'immolez, « disait Bailly, c'est pour le serment du Jeu de « Paume. » On voit, d'un autre côté, dans les Mémoires de madame Campan, que telle était

aussi la pensée de la reine. Quoi qu'il en soit, c'est en demandant à la tribune des mesures sévères contre les perturbateurs, que Lafayette fit entendre ces paroles qui, depuis, lui furent tant de fois et si amèrement reprochées que, « l'insurrection « contre le despotisme était le plus saint des devoirs, « et que, sous un gouvernement libre, c'était l'obéis"sance aux lois. »

Lafayette appuya de tout son pouvoir les mesures de fermeté prises contre la garnison de Nancy qui s'était insurgée, et il réclama l'approbation de l'assemblée en faveur de la conduite que M. de Bouillé tint à cette occasion. Il demanda le jury anglais dans toute sa pureté ; et lorsqu'éclatèrent ces discussions religieuses, dont l'esprit de parti parvint, de part et d'autre, à faire un schisme, il fut, tant à l'Assemblée que dans l'exercice de ses fonctions de commandant-général, l'apôtre et le défenseur de la liberté et de l'égalité des cultes; il protégea hautement celui-là même qui était le plus impopulaire et qu'on pratiquait dans sa propre famille; aussi reçut-il les remercîmens des prêtres non assermentés, et de plusieurs couvens de religieuses, où on faisait des prières pour Lafayette; il parla en faveur des propriétaires hommes de couleur. « L'Assemblée nationale, dit-il, convoque les co« lons pour délibérer sur leurs intérêts; n'est-il « pas évident que les hommes libres propriétaires, cultivateurs, contribuables d'une colonie, sont « colons? Or, ceux dont il est question sont con

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«< tribuables, cultivateurs, propriétaires, libres; sont-ils aussi des hommes? moi je le pense, etc.» Lafayette ne voulut accepter de la commune de Paris, ni dédommagement, ni appointemens, en déclarant cependant qu'il ne mettait pas plus d'importance à les refuser qu'à les recevoir. Le public a su, pour la première fois, par les Mémoires de Bouillé, qu'il avait refusé le bâton de maréchal, l'épée de connétable, et même la lieutenance-générale du royaume ; offres positives et plus d'une fois renouvelées. C'est ainsi que, dans les assemblées populaires de l'Hôtel-de-Ville, et particulièrement à l'occasion d'une motion spéciale de l'abbé Fauchet, il avait repoussé les propositions de dictature et de commandement général des citoyens armés. Il alla plus loin : à l'époque de la grande fédération de 90, sachant que toutes les députations arrivaient avec le projet de lui conférer ce commandement général, il se hâta de faire une motion à l'effet d'obtenir un décret tendant à ce que personne ne pût être investi du commandement des gardes nationales de plus d'un département, ou même d'un district. Un jour que, revenant de passer une revue, il était reconduit à l'Assemblée, au bruit des acclamations d'une foule immense et ivre d'enthousiasme, il saisit cette occasion pour déclarer à la tribune sa détermination formelle de rentrer dans la classe des simples citoyens, aussique la constitution serait terminée.

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Dans la fameuse séance où fut proclamée l'abo

lition des titres nobiliaires, Lafayette appuya vivement cette proposition; il s'opposa même à toute exception en faveur des princes du sang, et il insista pour que le principe constitutionnel d'égalité entre les citoyens fût constaté sur-le-champ.

Le 14 juillet 1790, major-général de la fédération, dont le roi était le chef, Lafayette prêta, sur l'autel de la patrie, le serment civique, au nom de quatre millions de gardes nationaux représentés par quatorze mille députés. La popularité dont il jouissait éclata à cette époque, et surtout à cette occasion solennelle, avec un enthousiasme qui lui fit dire dans un discours adressé aux fédérés : « Que l'am«bition n'ait pas de prise sur vous; aimez les amis du peuple, mais réservez l'aveugle soumission « pour la loi, et l'enthousiasme pour la liberté. « Pardonnez ce conseil, messieurs, vous m'en avez « donné le droit glorieux lorsque, réunissant tous « les genres de faveur qu'un de vos frères puisse « recevoir de vous, mon cœur, au milieu de sa « délicieuse émotion, n'a pu se défendre d'un mou"vement d'effroi. » — En prenant congé de lui, les députations lui firent ainsi leurs adieux : « Les députés des gardes nationales de France se reti<«< reront avec le regret de ne pouvoir vous nom« mer leur chef; ils respecteront la loi constitu«tionnelle qui arrête en ce moment l'impulsion « de leurs cœurs, et, ce qui doit vous couvrir à ja<< mais de gloire, c'est que vous-même avez provoqué cette loi, c'est que vous-même avez prescrit. « des bornes à notre reconnaissance. »

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