Page images
PDF
EPUB

Après avoir arraché un grand nombre de victimes à la fureur populaire, mais désespéré de n'avoir pu sauver Foulon et Berthier, il donna sa démission. Les instances des citoyens, et surtout des électeurs et du vertueux Bailly, lui rendirent l'espoir d'arrêter les violences; il se dévoua de nouveau. Les soixante districts de Paris confirmèrent à l'unanimité sa nomination de commandant général, et s'engagèrent, par des arrêtés spéciaux, à le seconder dans ses efforts pour la défense de la liberté et de l'ordre public.

Bientôt après, Lafayette proposa, à l'Hôtel-deVille, l'institution régulière de la force armée sous le nom de garde nationale. L'antique couleur blanche fut unie aux couleurs de la ville, bleu et rouge. « Messieurs, dit-il, je vous apporte une cocarde qui fera le tour du monde, et une institution à « la fois civique et militaire, qui changera le sys«<tème de la tactique européenne et réduira les « gouvernemens absolus à l'alternative d'être battus

[ocr errors]

la confiance entière et l'estime publique dues à de grandes qualités celle de rallier les esprits, ou plutôt les cœurs, lui était naturelle; un extérieur jeune et rassurant qui plait à la multitude; des manières simples, populaires et attirantes. Il avait tout pour commencer et terminer une révolution : les qualités brillantes de l'activité militaire, et l'assurance tranquille du courage dans les émotions publiques. Lafayette eut suffi à tout, si tout se fut passé en action, si tout se fut fait au grand jour; mais les routes ténébreuses de l'intrigue lui étaient inconnues.

" « s'ils ne l'imitent pas, et renversés s'ils osent l'i<< miter. » La garde nationale de tout l'empire s'organisa à l'instar de celle de Paris, et sous l'influence de son chef qui, cependant, refusa les commandemens spéciaux que des députations et des adresses lui offraient de toutes parts.

On voit dans les Mémoires de Bailly que, dès le commencement de septembre 1789, Lafayette obtint, non sans difficulté et par son influence personnelle, l'envoi d'une députation de la commune à l'assemblée nationale, pour demander quelques innovations immédiates dans la jurisprudence criminelle, telles que la procédure rendue publique, la communication des pièces, des défenseurs accordés aux accusés, la libre communication des prévenus avec leurs familles et leurs amis, la confrontation des témoins réformes si nécessaires, et dont profitèrent les trois seuls procès politiques qui eurent lieu dans ces premières années. M. de Sèze, avocat du baron de Bezenval, en fit un magnifique éloge, qu'on retrouve encore dans les mémoires et journaux du temps.

Cependant, tandis qu'à Paris les magistrats du peuple et la garde nationale s'épuisaient en efforts pour maintenir l'ordre public, on conspirait de nouveau à Versailles. Le signal fut donné dans le fameux repas des gardes-du-corps ; on y foula aux pieds la cocarde tricolore; les dames y distribuérent des cocardes blanches; on y cria à bas la nation! Le 5 octobre, ces provocations, la disette

de pain, les intrigues des factieux, produisirent à l'Hôtel-de-Ville la plus violente émeute. Lafayette contint pendant huit heures les flots de cette foule immense qui, de toutes parts, criait : à Versailles et du pain! Mais apprenant que de divers points de la capitale, plusieurs milliers de furieux se portaient sur Versailles avec des armes et du canon, il demanda et obtint de la commune l'ordre de s'y rendre lui-même avec une partie de la garde nationale. En arrivant à Versailles, il fit renouveler le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi. Ayant demandé, pour lui seul et les deux commissaires de la commune, l'ouverture des cours du château, remplies alors par le régiment des gardes suisses, il s'avança dans les appartemens encombrés de monde, au milieu d'un morne silence qui ne fut rompu que par ce cri poussé par un des spectateurs: Voilà Cromwell! « Cromwell, « répondit Lafayette, ne serait pas entré seul ici. » Ses procédés envers le roi et les paroles qu'il lui adressa furent trouvés, même par les courtisans, pleins d'affection et de respect. Cependant Louis XVI ne lui confia que la garde des postes qu'avaient occupés les ci-devant gardes françaises. S'emparer des autres points gardés, eût paru un attentat inoui. Le château, la cour intérieure, le côté des jardins restèrent donc confiés aux gardesdu-corps et aux Suisses. A deux heures du matin, après avoir visité ses postes, Lafayette voulut parler de nouveau au roi. On lui dit qu'il dormait.

་་

Après cinq heures, la tranquillité régnant partout, Lafayette, exténué de besoin et de fatigue, se rendit à son quartier-général qui avait été établi tout près du château, pour recevoir les rapports, écrire à Paris, prendre quelque nourriture et un peu de repos. Tout-à-coup un officier de ronde accourt vers lui. Une troupe de brigands cachés dans les bosquets du jardin, avait fait une irruption soudaine dans le palais, tué deux gardes-du-corps, et pénétré jusqu'aux appartemens de la reine qui, grâce à la courageuse résistance de deux de ses gardes, eut le temps de se sauver chez le roi.

Ordonner au premier poste de courir aux appartemens, qui malheureusement se trouvèrent barricadés de ce côté, obstacle qui favorisa la fuite des brigands, sauter sur le premier cheval qui s'offrit à lui, et, pendant que les grenadiers nationaux sauvaient la famille royale et les gardes-ducorps (dont, soit dit en passant, tous les officiers, à l'exception de quatre, avaient été se coucher), arracher à une multitude qui accourait de toutes parts d'autres gardes-du-corps saisis dans les rues: telle fut la conduite de la garde nationale et de son chef. Resté seul au milieu d'une foule effrénée, un de ces furieux demanda la tête de Lafayette : il ne la sauva qu'en ordonnant aux autres d'arrêter ce forcené.

Le roi ayant tenu conseil et annoncé sa détermination de se rendre à Paris, Lafayette, inquiet des démonstrations qui menaçaient encore la reine,

[ocr errors]

osa lui proposer de venir seule avec lui sur le balcon; et là, ne pouvant se faire entendre de cette multitude, il eut l'heureuse idée de baiser la main de Marie-Antoinette : « Vive la reine! vive Lafayette!» cria-t-on de toutes parts. Il conduisit ensuite sur ce même balcon un garde-du-corps, et l'embrassa : « Vivent les gardes-du-corps! s'écria-t-on encore. Rentré dans le cabinet, madame Adélaïde, tante de Louis XVI, l'appela, en l'embrassant, le sauveur du roi et de sa famille. Ce cri de sauveur fut répété les premiers jours par la cour, les gardes-du-corps et tous les partis. Du reste, jusqu'à leur mort, le roi, la reine et madame Élisabeth lui ont rendu publiquement la justice de dire que c'est à lui qu'ils avaient dû leur salut dans cette mémorable circonstance.

La cour se transporta à Paris. Il est faux que les têtes des malheureux gardes aient été portées devant la voiture royale; il est faux aussi que le duc d'Orléans ait été aperçu au château dans ces momens de désordres : il n'y arriva que lorsque tout était fini; mais son nom avait été compromis, et cela suffisait pour que, dans une conférence que Mirabeau appela très- impérieuse d'une part, et très-résignée de l'autre, Lafayette engageât le prince à sortir pour quelque temps du royaume.

Lafayette souhaitait que les gardes-du- corps partageassent le service du palais avec la garde nationale. L'aristocratie des chefs s'y opposa, et d'ailleurs la cour voulait que le roi parût être pri

[ocr errors]
« PreviousContinue »