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grandes sont cachées, et même les blessures qui, par les désordres qu'elles entraînent, devraient être les plus apparentes, peuvent devenir invisibles au premier abord, à cause de leur situation dans les cavités. J'ai vu un jeune homme qui, pour se brûler la cervelle, avait introduit le canon d'un pistolet dans sa bouche; la balle était restée dans le crâne; le pistolet avait été repoussé par la commotion produite par l'explosion de la poudre, et la blessure ne se faisait pas remarquer à l'extérieur. Les mains étaient parfaitement blanches, les lèvres intactes, la physionomie du cadavre exprimait une mort calme et sans souffrances; et ce n'était qu'en écartant avec force les arcades dentaires, que l'on apercevait les désordres de la blessure la plus grave; le reste du corps ne présentait pas la moindre lésion. Un médecin appelé à spécifier le genre de mort pour la levée d'un cadavre semblable trouvé sur une route, n'aurait peut-être pas ouvert la bouche pour y rechercher les lésions que j'ai signalées, et la cause du suicide lui aurait échappé. Voici deux exemples analogues.

Mort violente. Déchirure du foie par une voiture. Déclaré apoplexie foudroyante.

Mayeux, Jean-Baptiste-Ferdinand,gé de cinquante ans, commissionnaire, fut déclaré, par le rapport d'un médecin, mort subitement d'une apoplexie foudroyante, rue Saint-Honoré. Transporté à la Morgue, il y fut reconnu, par ses camarades, qui annoncèrent qu'une roue de Favorite l'avait effrôlé légèrement, et que c'était un homme très adonné aux boissons spiritueuses. Le permis d'inhumer fut délivré par le procureur du roi, sur le rapport du commissaire de police, et sur la déclaration des médecins, et nous ouvrîmes le corps.

Aucune trace de violences ou de blessures à l'extérieur,“ si l'on en excepte une tache bleuâtre paraissant être une ecchymose d'un pouce de largeur, mais sans tumeur prononcée; incisée, on trouve un peu de sang infiltré dans les mailles de la peau et dans le tissu cellulaire souscutané. Cette tache était placée au voisinage de l'épine antérieure et supérieure de l'os des îles ( côté gauche ).

En incisant la peau qui recouvre la partie supérieure et externe de la fesse gauche, nous fumes frappés de trouver du sang infiltré dans le tissu cellulaire et dans les muscles superficiels ; sa quantité était faible. Pareille observation fut faite en détachant la peau et les muscles

qui recouvrent les côtes droites, et l'infiltration sanguine était placée au voisinage de la septième, huitième et neuvième côte, qui avait deux pouces et demi de longueur sur deux pouces de largeur.

Le sternum enlevé, nous trouvâmes une infiltration d'une quantité considérable de sang, mais coagulé, existant dans tout le tissu cellulaire sous-sternal; dans celui qui environne la trachée-artère et tous les gros vaisseaux. Le sang enveloppait la trachée dans une étendue de cinq à six pouces de longueur; il s'étendait en haut sous le corps thyroïde, et en bas au-delà des divisions de la trachée ; il était coagulé et infiltré dans toutes les mailles du tissu cellulaire. En recherchant la cause du désordre, je vis que la veine cave sous-clavière gauche avait été ouverte et déchirée; les artères étaient saines.

Le péricarde était très blanc; le cœur flasque, contenaît un peu de sang dans les cavités droites, et un peu moins dans les cavités gauches Les poumons sains, mais partout adhérens à la plèvre costale; les plèvres tout-à-fait fibreuses, la plèvre gauche surtout. Outre l'apparence du tissu fibreux le plus prononcé, la plèvre costale a une épaisseur énorme; elle est au moins d'une ligne et demie dans beaucoup d'endroits.

La trachée est saine ainsi que le larynx; mais la bronche gauche et quelques unes de ses ramifications contiennent un peu d'écume rougeâtre mêlée d'un peu de sang.

A l'ouverture de l'abdomen se présentent l'estomac et les intestins, distendus par des gaz; on déplace les intestins, et l'on découvre deux litres đe sang dans la cavité du péritoine. Ce sang est fluide, sans caillots, seulement un peu épais dans les parties les plus profondes de la cavité du ventre.

En cherchant la cause de cet épanchement au milieu duquel baignent tous les organes contenus dans l'abdomen, on trouve une déchirure du ligament de la partie supérieure du foie; toute la moitié gauche de ce ligament est tapissée par un caillot.

En l'enlevant on aperçoit le foie déchiré et divisé en deux parties; cette déchirure est profonde ; à peine reste-t-il quelques portions de substance propre du foie pour réunir les deux lobes. Le foie vu inférieurement, on aperçoit six ou sept petites déchirures très superficielles qui occupent la face inférieure du grand lobe, et surtout la partie convexe de l'organe, qui plonge dans l'hypocondre droit.

Aucune artère principale du ventre n'a été déchirée; tous les autres organes sont sains, mais ils sont blafards, décolorés, et cette décoloration est surtout sensible à l'égard du foie et de la rate, dont le volume a beaucoup diminué.

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L'estomac, très ample, contient beaucoup d'alimens en grande partie digérés, mais mêlés à beaucoup de vin.

La vessie est pleine d'urine.

Tête. Vaisseaux peu injectés, arachnoïde très épaisse et séreuse, substance cérébrale molle, piquetée, un peu de sérosité dans les ventricules cérébraux.

Lésions extérieures ne correspondant pas avec les désordres intérieurs.

Cousin (Victor), trente-quatre ans, faucheur, écrasé faubourg SaintDenis, se trouve dans la rue au moment où une voiture descendait avec rapidité; voulant se ranger, son pied glisse sur le talon, il tombe sur le dos, la roue de la voiture attelée d'un seul cheval, lui passe sur la poi. trine du côté de la clavicule droite et obliquement, de manière à écorcher un peu la partie inférieure de la joue droite. Il meurt sur-le-champ.

Le cadavre ne porte pas de trace de putréfaction; on n'observe pour toute apparence de blessure qu'une tumeur alongée, immédiatement au-dessus des clavicules, qui donne à la partie inférieure du cou un volume contre nature; une légère teinte bleuâtre de la peau fait seulement entrevoir que c'est une ecchymose. En pressant sur le sternum on sent une mobilité contre nature, et on trouve pareille mobilité sur les deuxième, troisième et quatrième côtes gauches, qui sont fracturécs.

Tête. Rien de remarquable; membrane saine, substance cérébrale très blanche et non injectée.

Les tumeurs du col disséquées font voir une infiltration sanguine considérable au voisinage des sous-clavières primitives, veines et artères ; les veines ont été déchirées et ont produit cet épanchement qui s'étend en arrière jusqu'à l'extrémité postérieure des clavicules, et en avant dans toute la trachée et le corps thyroïde ; les ligamens qui unissent l'extrémité interne et la clavicule droite avec le sternum ont été rompus.

Les poumons sont peu volumineux, blafards, décolorés ; le cœur est tout-à-fait vide de sang. Dans la cavité gauche de la poitrine existent deux à trois livres de sang tout-à-fait fluide, sans caillots; la cavité droite n'en contient qu'une petite quantité. En renversant le poumon gauche on aperçoit une déchirure énorme de l'aorte droite sur le milieu de sa longueur dans la poitrine; cette déchirure a deux directions; une transversale, qui ne comprend pas tout-à-fait le pourtour de l'aorte, et l'autre longitudinale, qui peut avoir un pouce de longueur, en sorte que cette rupture s'est effectuée aux dépens des fibres circulaires et obliques. Le sternum est rompu à l'union de sa partión supérieure avec l'inférieure ; les côtes notées ci-dessus sont cassées vers leur milieu. Les organes contenus dans l'abdomen sont sains, mais une petite quantité de sang est épanchée dans cette cavité.

Ces faits, auxquels j'en pourrais joindre beaucoup d'autres,

font assez sentir la nécessité d'examiner dans ces sortes de cas toutes les ouvertures naturelles et toute la surface du corps avec le plus grand soin. Le médecin qui procède à des recherches médico-légales relatives à la levée des cadavres, doit toujours avoir présent à l'esprit que, dans le plus grand nombre des cas, de nouvelles recherches seront faites par d'autres médecins, et que les magistrats peuvent concevoir une très mauvaise idée de son instruction, s'il n'a pas tiré tout le parti convenable de l'état extérieur du corps.

Donnons actuellement quelques modèles de rapports pour des cas de ce genre.

Premier rapport.

Nous soussigné, docteur ........ sur l'invitation de M. L....... commis. saire de police du quartier de nous sommes rendu aujourd'hui 9 183.... à cinq heures du matin, quai Saint-Michel, à l'effet de procéder à l'examen du corps d'un individu inconnu ; de déterminer la cause de la mort; et de dire si elle est le fait de violences ou de blessures.

.....

Le corps qui nous est représenté, est dépouillé de ses vêtemens: il paraît être celui d'un individu de trente ans environ; les cheveux sont noirs; les yeux bleus; la bouche large; le nez aquilin; les sourcils bruns; la barbe bleue; la figure généralement maigre; un signe existe au devant de la poitrine, plus près du téton gauche que du téton droit; il est garni de poils et saillant à la surface de la peau. Sur la face palmaire de l'avantbras, on trouve un tatouage représentant un cœur traversé par une flèche avec cette souscription : amour éternel; plus, les initiales A et M. Les mains sont noires ; l'épiderme de la face palmaire de la main et des doigts est épais, comme cela arrive chez les ouvriers qui se servent d'outils en fer; la malpropreté de la peau de la figure coïncide avec celle des mains. Les muscles des membres supérieurs paraissent plus developpés. que ceux des membres inférieurs ; ce qui tend à faire présumer que dans son état, il mettait les premiers plus souvent en action que les seconds. La physionomie porte l'air hébété d'un homme ivre; on ne remarque pas à l'extérieur du corps, de trace de violence; la chaleur est encore un peu appréciable au tronc; les membres sont froids et dans un état de rigidité cadavérique; ce dont nous nous sommes assuré en fléchissant les avant-bras sur les bras.

D'où nous concluons :

1° Qu'il nous est impossible de déterminer la cause de la mort à laquelle cet individu a succombé, l'ouverture du corps pouvant seule éclairer cette question;

2° Qu'il n'existe pas à l'extérieur du corps d'indices de violences ou de blessures auxquelles on puisse attribuer la mort;

3° Que la physionomie hébétée de cet individu établit quelques présomptions sur un état d'ivresse dans lequel il se serait trouvé au moment de la mort; mais que ce n'est qu'une présomption.

Deuxième rapport.

Le..... 183.... nous, etc.... nous sommes transporté rue.... à la requête de M.... commissaire.... pour visiter le sieur... qui vient de mourir subitement; déterminer la cause de la mort à laquelle il a succombé ; êt rechercher și elle n'aurait pas été le fait de violences.

Le corps qui nous est représenté est placé sur le sol de la boutique d'un marchand de vin chez lequel il a été apporté au moment de la mort. La figure est calme; elle n'exprime pas la souffrance; la chaleur existe sur le tronc et dans les parties supérieures des membres; mais les mains, les pieds, les avant-bras et les jambes sont froids. La roideur cadavérique n'existe nulle part, si ce n'est au coude droit, que l'on a de la peine à fléchir. Le pouls est nul; on ne sent pas les battemens du cœur ; un miroir placé devant la bouche n'est pas terni.

Nous ouvrons la veine médiane céphalique, elle donne une goutte de sang. Les veines superficielles de l'avant-bras ne se sont pas remplies après l'application de la bande à saigner. En vain nous plaçons de l'ammoniaque sous le nez en vain nous stimulons la surface du corps.

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Pendant que nous administrons ces soins, la chaleur générale s'éteint de plus en plus, et la rigidité cadavérique est devenue très manifeste dans les genoux et dans les muscles des cuisses, ce dont nous nous sommes assuré en fléchissant les jambes.

D'où nous concluons :

1° Que la mort est réelle;*

2° Qu'il est impossible d'en préciser la cause sans procéder à l'ouverture du corps; une syncope, une apoplexie, une rupture d'un anévrisme du cœur ou d'un gros vaisseau, une hématémèse et d'autres causes encore, pouvant coïncider avec l'état cadavérique dans lequel nous avons trouvé cet individu ;

3° Que la rapidité de la mort, et surtout l'absence de lésions à l'extérieur, établit des présomptions en faveur d'une mort subite, spontanée.

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Troisième rapport.

En vertu d'une requête à nous adressée par le commissaire de police du quartier de... nous, A... R.... docteur, nous sommes rendu rue.....

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