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instruite au Châtelet de Paris, sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles, dans la journée du 6 octobre; désigné par ce tribunal comme étant dans le cas d'être décrété; soumis au jugement que vous aviez à porter, pour savoir s'il y avoit ou s'il n'y avoit pas lieu à accusation contre moi, j'ai cru devoir m'abstenir de paroître au milieu de vons, dans les différentes séances où vous vous êtes occupés de cette affaire.

« Plein de confiance dans votre justice j'ai cru, et mon attente n'a pas été trompée, que la procédure seule suffiroit pour vous prouver mon innocence.

« M. de Biron a pris hier en mon nom, l'engagement que je ne vous laisserois aucun doute, que je porterois la lumière jusques dans les moindres détails de cette ténébreuse affaire; je n'ai demandé la parole aujourd'hui que pour ratifier cette obligation. Il me reste en effet de grands devoirs à remplir.

« Vous avez déclaré que je n'étois pas dans le cas d'être accusé, il me reste à prouver que je n'étois pas même dans le cas d'être soupçonné. Il me reste à détruire ces indices menteurs ces présomptions incertaines répandues avec tant de confiance par la calomnie, et recueillies avec tant d'avidité par la malveillance.

<< Mais, Messieurs, ces éclaircissemens nécessaires doivent être donnés en présence de tous ceux qui auront intérêt de les contre

dire, et devant ceux qui ont été chargés

d'en connoître.

« Telles sont, Messieurs, les obligations que je viens contracter en ce moment. Je me dois de les remplir, je le dois à cette Assemblée dont j'ai l'honneur d'être membre, je le dois à la Nation entière.

<< Il est temps de prouver que ceux qui ont soutenu la cause du peuple et de la liberté, que ceux qui se sont élevés contre tous les abus, que ceux qui ont concouru de tout leur pouvoir à la régénération de la France; il est temps de prouver que ceuxlà ont été dirigés par le sentiment de la justice, et non par les motifs odieux et vils de l'ambition et de la vengeance.

<< Ce peu de mots que j'ai mis par écrit, je vais, Messieurs, le déposer sur le bureau, pour y donner toute l'authenticité qui dépend de moi. »

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Ainsi Biron avoit promis avec la plus grande solemnité, que d'Orléans donneroit des éclaircissemens; celui ci-annonce avec 1 plus grande solemnité, qu'il va les donner, et au lieu de les présenter, il finit par dire qu'il les donnera. Cette manière de se justifier complettoit la démonstration que le prince méritoit en effet le décret de prisede-corps qu'il avoit plu à l'Assemblée de détourner de dessus sa tête.

Ils parurent cependant, ces prétendus éclaircissemens. Le chevalier de Ferrier publia le mémoire apologétique auquel il tra

vailloit

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vailloit depuis tant de mois. Il parut sous le titre de Mémoire à consulter, et consultation pour M. Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. C'étoit un écrit judiciaire dans le genre de ces factums que les plaideurs publioient autrefois pour l'instruction des juges. L'écrit paroissant dans cette forme, devoit être signé par des avocats. Il étoit naturel que le choix tombât sur ceux qui formoient le conseil du Prince. Ces avocats appellés Leroi, Henrion de Pensey, Ferrey, Benoist, avoient des lumières, et jouissoient d'une bonne réputation. On comprit qu'ils ne voudroient pas être les apologistes de grands criminels comme avoit dit le marquis de Bonnay. On alla chercher ces apologistes parmi les moins estimés d'entre les avocats. Ce furent Bonhome de Comeyras, Hom et Rozier. Les. deux derniers étoient absolument inconnus ; le premier avoit été protégé par Elie de Beaumont, et c'étoit là son seul titre de recommandation.

Une gratification pécuniaire et l'espoir d'obtenir la faveur du prince, déterminèrent cès trois légistes à signer l'ouvrage de Ferrier. Leurs noms furent pour le public une preuve qu'il falloit que la cause de d'Or léans fût bien mauvaise, puisqu'il n'avoit pu trouver que d'aussi pitoyables défenseurs.. Le fond de l'apologie convertit cette preuve en démonstration. Ce n'étoit qu'une méchante et calomnieuse déclamation contre le Châtelet et les témoins. Elle étoit si pesam Tome III.

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ment écrite que les hommes les plus prévenus en faveur des coupables, n'en purent lire trois pages. Malouet l'un des hommes les plus éloquens de ce siècle, l'ensevelit dans un néant dont elle n'est plus sortie, par un petit écrit de deux pages, qu'il intitula Mémoire à consulter chez les Nations étrangères, par M. Malouet. Chacun courut après les deux pages, et laissa là la lourde apologie.

Cette ressource ayant manqué, Ferrier s'avisa de jetter dans le public une autre brochure apologétique, et pour engager les ennemis même de d'Orléans à la lire, il lui donna un titre injurieux au Prince, il l'intitula: Le duc d'Orléans traité comme il le mérite. Dans une matière aussi grave, employer une manière aussi burlesque de rétablir la réputation du premier prince du sang, c'étoit convenir qu'on n'avoit rien de solide et de sérieux à opposer en sa faveur. Ce nouvel écrit n'étoit au reste qu'un méchant pamphlet qu'on se repentit d'avoir acheté, dès qu'on en eut lu quelques lignes.

Tel fut donc l'effet que produisit et l'impuissance des moyens employés par les panégyristes de d'Orléans, et l'éclat donné à la procédure du Châtelet, que chacun et en France et en Europe, resta convaincu que le prince étoit un vil scélérat qui pour assouvir sa vengeance et son ambition, avoit versé le sang des gardes-du-corps, et avoit

voulu répandre celui du roi et de la famille royale. Sa conjuration ne fut plus un problême pour personne. Tout le monde vit dèslors clairement qu'il étoit à la tête d'une faction qui agitoit et perdroit infailliblement la France. Dès lors aussi l'on prévit que ce monstre pourroit bien faire un mal infini à à son pays; mais que jamais il n'en seroit le roi. La haîne en effet qu'on lui portoit depuis si long-temps, s'alluma à cette occasion avec une telle force, que cent mille bras l'eussent arraché du trône, s'il s'y fût assis. Le mépris que ses propres partisans nourrissoient contre lui au fond de leur cœur, eût contribué à ne mettre qu'un instant entre son élévation et sa chute. L'amour, la considération des actions grandes et brillantes, voilà ce qui maintient les rois, voilà ce qui élève les usurpateurs.

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Ainsi les exécrables forfaits des 5 et 6 octobre, bien loin de favoriser les projets de d'Orléans, furent précisément ce qui apporta à leur exécution un obstacle insurmontable. Sa faction même en devint moins nombreuse; quelques membres du côté gauche s'en détachèrent, sinon avec bruit, du moins avec la ferme résolution de la combattre, dès que l'occasion s'en présenteroit à eux. Mirabeau qui avoit de l'esprit, finit lui-même par exécrer le prince, et par rougir d'avoir si longtems combattu sous ses étendards. Cette hideuse procédure du Châtelet fut pour lui la tête de Méduse; elle le remplit de dépit,

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