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tout ce dispose aujourduy à une furieuse guerre ; cella me donne quelque esperance de la faire, car vous savés que les choses de ce monde ne demeurent pas long temps en mesme estat. Je vous conjure de croire que je n'en changeray jamais pour vous et que je vous seray toutte ma vie ce que je vous ay promis d'estre.

Ce 2me juin.

IV

Ce 21me juin.

Je ne vous remercieray point, ny des civilités que vous me mandés, ny des obligations que ma fame et moy vous avons, par ce que ceste regularité là n'est pas trop en usage entre nous; je vous assureray seulement que je ne manqueray jamais à ce que je vous ay promis, et que je ne fais de fondement sur l'amitié de persone du monde plus entièrement que sur la vostre. Je voudrois bien que nous peussions nous entretenir sur bien des chapitres, et cella seroit mesme assés necessaire, car, comme vous savés, il se passe bien des choses icy et aillieurs. Au reste on m'a dit que M' de St Agoulin est retourné en Espaigne; sy cella est, je vous suplie de luy mander que, s'il luy est possible, sur l'argent quy me peut apartenir, de m'achetter quatre ou cinq petis chevaux de taille de coureurs, comme on m'a dit qu'estoient ceux qu'il a amenés pour luy, il me fera un très grand plaisir. Je ne veux point de chevaux de grand prix, mais seulement pour servir à coure. Sy il y avoit quelque belle haquenée, il

m'obligeroit de me l'acheter, mais le tout en cas que nous aions de l'argent de ce costé là; mesme sy M' de Vateville s'en pouvoit accomoder, en cas que Mr de St Agoulin ne le puisse, et qu'il ait quelque beau et bon cheval à me donner sur sa parole, il pouroit se paier par ses mains et m'envoier le cheval au prix qu'il voudroit. Enfin je vous laisse ceste importante negotiation à mesnager. Nous sommes icy dans les mesmes incertitudes quy nous suivent en tous lieux, et persone ne peut parler certeinement de la paix ny de la guerre; nous en saurons peut estre quelque chose de plus assuré devant que ce courier parte; sy cella est, je vous le manderay. Adieu, je suis plus à vous que persone du monde'. Les choses sont toujours de mesme et j'enrage de voir qu'on perit par des longueurs et des iresolutions qu'on ne peut surmonter. Je n'escris point à M' de Marchin, je vous suplie seullement de luy dire que j'ay veu M' le president de Grieus et que je feray tout ce qu'il me mande. Je luy escriray dès qu'il y aura quelque nouvelle.

1. La phrase qui suit est le post-scriptum annoncé par la Rochefoucauld. Il a repris la plume une troisième fois pour ajouter les deux dernières phrases.

IV

NOTE DE BALUZE

SUR LES MANUSCRITS DE L'ABBAYE DE MOISSAC.

On trouve de tous les côtés des marques de l'ardeur qu'apporta Colbert à former sa bibliothèque et du zèle que mit Baluze à seconder cette ardeur. Ils eurent parmi les intendants de précieux auxiliaires, et Foucault fut l'un d'eux. « Dans les différentes visites que vous faites dans l'étendue de votre généralité, lui écrivait Colbert le 12 décembre 1680, vous me ferez plaisir de rechercher dans les églises cathédrales et dans les principales abbayes s'il y auroit quelques manuscrits considérables, et, en ce cas, chercher les moyens de les avoir sans employer aucune autorité, mais seulement par douceur et par achat. » Cette recommandation pourrait servir d'épigraphe à l'histoire de la bibliothèque de Colbert. A côté des manuscrits qu'elle dut à de couteux achats, il s'en plaça un grand nombre qui lui vinrent par douceur, soit par suite de l'habitude qu'on prit d'y porter des documents qui eussent dù appartenir à la Bibliothèque du roi, soit par l'effet des dons ou des transactions avantageuses que surent lui ménager les amis de Colbert.

Avant de recevoir la recommandation qu'on vient de lire, Foucault, qui était alors intendant à Montauban, avait déjà obtenu pour la bibliothèque de Colbert la cession des manuscrits de l'abbaye de Moissac. Quatre lettres de ce personnage, dont deux ont été publiées par M. F. Baudry dans l'intéressante introduction qu'il a mise en tête de ses Mémoires1, et une note inédite de Baluze qu'il faut rapprocher

1. Mémoires de Nicolas-Joseph Foucault, publiés et annotés par F. Baudry, bibliothécaire à la Bibliothèque de l'Arsenal. Paris, Imprimerie impériale, 1862 (Collection de Documents inédits sur l'histoire de France) Voyez la Ire partie de ce volume, p. 26. Les quatre lettres de Foucault, qui sont adressées à Baluze, et datées du 9 février,

des quatre lettres que lui écrivit Foucault, nous donnent quelques détails sur cette affaire.

Au mois de janvier 1678, Foucault avait envoyé à Moissac l'abbé de Foulhiac, grand vicaire de l'évêque de Cahors, pour y examiner les archives de l'abbaye. L'abbé de Fouilhac les avait trouvées dans le plus grand désordre. Il n'en existait pas de catalogue; les moines n'en faisaient aucun usage 1; le président Doat les avait seul visitées, mais assez légèrement, dit Foucault, qui mettait en doute que le président Doat «< ait eu toute la connoissance qu'il faudroit en ces matières. »

que

L'abbé Raymond de Foulhiac était un savant dont le choix était excellent. Il avait mis avec empressement son érudition au service de Foucault, offrant de faire gratuitement toutes les recherches qu'il désirerait, à la condition son éloignement de Cahors ne lui ferait point perdre le revenu de son canonicat, c'est-à-dire à la condition «< qu'une commission du roi enjoindroit au chapitre de Cahors de le tenir présent pendant qu'il seroit occupé dans sa perquisition. »

Les lettres que Foucault, renseigné par l'abbé de Foulhiac, écrivit à Baluze inspirèrent à ce dernier un très-vif désir

du 4 et du 11 mai, et du 8 juin 1678, se trouvent à la Bibliothèque impériale, fonds latin, no 9363. Ce sont les lettres du 9 février et du 4 mai qu'a publiées M. Baudry dans son introduction, p. cxvi; les deux autres sont inédites.

1. « C'est une chose assez extraordinaire, » écrivait Foucault à Baluze, à la date du 11 mai, que dans une abbaye aussi ancienne que Moissac, dont on attribue la fondation à Clovis Ier, et où l'on a pris un très-grand soin de bâtir un lieu pour conserver les archives, il ne s'y soit pas trouvé un seul catalogue de livres, quoiqu'il y en ait eu de très-anciens et en très-grand nombre; et je vous assure que si je ne me fusse avisé d'y envoyer M. Fouillac pour voir s'il y avoit quelque chose de curieux, les rats et la poussière auroient achevé l'anéantissement de ces anciens monuments, que l'ignorance et la négligence des moines et des chanoines de cette église avoient déjà fort avancé. » Foucault note à diverses reprises l'insouciance des moines de Moissac à l'égard de leurs archives. Plusieurs traits de ses Mémoires prouvent qu'il n'aimait pas plus les couvents que ne les aimait Colbert. Il fit cependant entrer ses trois filles en religion.

2. Il a laissé plusieurs travaux sur le Quercy; tous, croyons-nous, sont inédits.

d'obtenir la cession des manuscrits de Moissac, et il soumit à Colbert le mémoire qui suit :

Par le mémoire des manuscrits de l'abbaye de Moissac que M. l'intendant de Montauban a envoyé, il paroît qu'ils ont été fort négligés, ayant été trouvés entassés les uns sur les autres et pleins de poudre et exposés aux rats. Aussi est-il vrai que ces sortes de livres ne sont d'aucun usage dans les provinces.

Il semble qu'il seroit à propos que M. l'intendant parlât au plus tôt à quelques-uns des principaux chanoines comme s'il avoit envie de les acheter, sans y mêler le nom de Monseigneur, et que s'il trouve de la disposition pour les avoir, il ne laisse pas languir la délibération, mais la finisse promptement, parce qu'en matière de chapitres, une chose qui est facile dans les commencements souffre une infinité de difficultés dans la suite, lesquelles on évite par la diligence.

Il y a plus de six vingts manuscrits grands ou petits, et ce non compris les livres de chant, dont on ne peut avoir besoin. M. l'intendant peut leur représenter que ces livres ne leur étant d'aucun usage et étant fort abandonnés, ils lui feront plaisir de l'en accommoder; qu'à Paris on a accoutumé de payer les manuscrits un écu la pièce quand on en achète un nombre considérable, et qu'il y en a partie de grands, partie de petits; que néanmoins, parce que les leurs sont presque tous grands, il leur en donnera aussi davantage. Il peut leur offrir cinquante ou soixante pistoles. Et s'il ne peut pas les avoir pour cela, il peut en donner cent pistoles, et tâcher néanmoins de les avoir à meilleur marché, s'il se peut.

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