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des députés; des lois restrictives de la liberté de la presse et de la liberté individuelle furent aussi présentées. Le parti royaliste, devenant puissant par cette réaction de l'eprit public et appuyé de la famille royale, obtint du Roi l'éloignement de M. De Cazes. M. de Richelieu consentit à redevenir président du Conseil et M. Siméon fut ministre de l'intérieur.

Telle fut pendant une session de six mois l'occupation de la Chambre. Jamais les discussions n'avaient été si violentes. M. Pasquier fut presque toujours le seul orateur qui soutint cette lutte. M. de Serre ne revint de Nice qu'au commencement de juin. Les projets sur la presse et sur la liberté individuelle obtinrent une assez grande majorité, mais le débat sur la loi électorale fut animé par plus d'énergie et de passion; l'ordre public en fut troublé, il y eut des émeutes, du sang répandu, et la discussion de la loi électorale fut suspendue pendant deux jours pour traiter des moyens de répression qu'employait le gouvernement. La discussion se termina enfin par un amendement que M. de Serre avait, pour ainsi dire, encouragé, et qui pouvait même passer pour une concession. Il ne fut même voté que par une majorité de cinq voix.

La session fut terminée, et M. de Richelieu se trouvait dans la situation qu'il avait souhaitée. Il avait fait sa paix avec le parti royaliste; il lui devait la majorité et sa victoire sur les libéraux de toutes nuances. Mais il savait quelles étaient les exigences déraisonnables et périlleuses qu'il aurait à repousser. Il appela dans le conseil MM. de Villèle et Corbière, qu'il connaissait plus sages que leur parti; mais ils se tinrent à l'écart, demandant seulement des places pour leurs amis, ce qui leur était souvent refusé. Ils donnèrent leur démission à l'approche de la session de 1821.

La préoccupation du gouvernement et de l'opinion publique était en ce moment les révolutions qui avaient éclaté d'abord en Espagne, puis à Turin et à Naples. Des congrès, où la France avait été représentée, avaient autorisé l'intervention de l'Autriche pour rétablir l'autorité royale des souverains détrônés par ces insurrections.

De nouvelles élections venaient d'augmenter le nombre et d'encourager les exigences du parti ultra-royaliste. I voulait ou renverser le duc de Richelieu, ou le contraindre à

prendre d'autres collègues plus royalistes que M. Pasquier. Il se refusait hautement à une telle prétention. Pour en venir à leur fin, les rédacteurs de l'adresse, qui devait répondre au discours du Roi, y insérèrent un blâme formel de la politique suivie par le ministère dans les affaires étrangères. M. Pasquier trouva superflu de répondre à cette injure; mais il pressa le duc de Richelieu d'accepter sa démission. Prévoyant ce qui allait arriver, il avait obtenu du Roi, qui lui avait toujours témoigné une bienveillante confiance, sa nomination à la Chambre des pairs. M. de Richelieu refusa sa démission, et voyant que le parti auquel il s'était donné n'avait ni raison ni reconnaissance, il quitta le ministère. M. de Villèle devint ministre (14 décembre 1821), il le fut pendant six ans.

Entré à la Chambre des pairs, M. Pasquier s'y fit, ainsi qu'on pouvait s'y attendre, une position considérable. Là, comme partout, il n'appartint jamais à aucun parti, il ne marcha sous aucune bannière. Il aimait le droit et la justice, et selon lui, c'était aimer la liberté. La Chambre des pairs lui convenait; les discussions n'étaient point trop animées; on ne combattait point pour faire ou défaire un ministère. On y comptait beaucoup d'hommes qui avaient exercé des fonctions publiques, ils y avaient acquis le bon sens pratique qui éclaire et modifie les théories. Tel était le mérite qui donnait à la parole de M. Pasquier une influence et une autorité qui furent remarquées dans la discussion des graves questions qui occupèrent souvent la Chambre des pairs.

Lorsque arrivèrent les derniers jours de la royauté de Charles X, M. Pasquier, rédacteur de l'adresse de la Chambre des pairs, n'eut pas à y écrire la fatale phrase, « du refus de concours, et se borna à de respectueux conseils, qui ne devaient pas être pris en considération. Plus tard, il écrivit une lettre au Roi, lorsqu'il était peut-être encore possible d'arrêter le soulèvement populaire par un changement de ministère. Ce conseil fut écouté trop tard. M. Pasquier ne fut que triste spectateur des journées de Juillet; mais, loin de blâmer les hommes courageusement dévoués, et surtout le fondateur d'une nouvelle dynastie qui préserverait la France d'une terrible anarchie, il éprouvait un sentiment de reconnaissance.

Il n'avait jamais eu aucune intimité avec M. le duc d'Orléans et ne se trouva nullement autorisé à se rendre auprès de lui.

Peu de jours après la proclamation du roi Louis-Philippe, M. le duc de Broglie et M. Molé vinrent au nom du Roi proposer à M. Pasquier la présidence de la Chambre des pairs. Il se rendit chez le Roi, et comprenant par sa conversation qu'il avait la pensée de ne pas conserver l'hérédité de la pairie, il se résolut de ne pas accepter la présidence d'un corps menacé d'un tel abaissement, qui lui paraissait encore plus nuisible à la royauté qu'à la constitution de l'Etat. Le Roi le rappela quelques heures après et lui dit que la nouvelle Charte ne supprimait pas l'hérédité de la pairie.

Bientôt après la Chambre des pairs et son président allaient être mis à une terrible épreuve. Plusieurs des ministres du roi Charles X, qui avaient présenté à sa signature les fatales ordonnances de Juillet, avaient été arrêtés. Le cri public demandait qu'ils fussent traduits en justice. La fureur populaire exigeait la mort; et même dans les classes supérieures on ne résistait pas assez à cette exaltation féroce. Le procès ne pouvait être porté à un autre tribunal que la Cour des pairs.

Dès lors M. Pasquier n'eut pas une autre pensée que de sauver ces malheureux ministres; il y avait assurément un très-petit nombre de pairs qui eussent l'idée d'une condamnation à mort, mais il fallait les rassurer contre la violence des émeutes. Il fallait mettre à l'abri les prisons où étaient enfermés les prévenus. Le Roi, sa famille et son gouvernement portaient un intérêt d'humanité et d'honneur au sort des accusés. La police prenait des précautions pour leur sûreté. La garde nationale était même, sinon favorable aux ministres, du moins dévouée à l'ordre public; elle tenait à honneur de protéger les juges et de faire respecter les lois. Les interrogatoires, l'audition des témoins, la plaidoirie des défenseurs, furent conduits avec une gravité que ne troublaient pas les cris populaires de la foule qui envahissait le Luxembourg. Tout était préparé pour que les accusés fussent, après les plaidoiries, conduits en traversant le jardin, à une porte où se trouvaient une calèche et une escorte commandée par M. de Montalivet qui devait ramener

les accusés à Vincennes. Il y eut un moment où l'on vit qu'un rapport qu'on venait de faire à voix basse au président lui causait quelque trouble. Les accusés avaient été rencontrés par une patrouille et forcés de rentrer dans leur prison. Un nouveau message vint annoncer à M. Pasquier que MM. de Montalivet et D'Argout avaient réussi à emmener les prisonniers; et les pairs remarquèrent que, cette fois, il venait d'apprendre une bonne nouvelle.

La pairie avait perdu l'hérédité : elle était plus nombreuse; ses séances étaient moins animées que les débats de la Chambre des députés, mais les lois y étaient discutées avec autant de connaissance et d'examen. Son indépendance n'était pas moindre; elle était dignement représentée par son président, dans ses rapports avec le Roi.

Mais pendant ce règne, la Chambre des pairs fut presque autant une haute cour de justice qu'une assemblée législative. Des assassinats, des complots, des séditions qui ensanglantaient Paris et d'autres villes, se succédaient d'année en année. Des opinions fanatiques prêchaient et suscitaient les crimes. Les accusés furent une fois si nombreux et si exaltés que l'audience de la Cour des pairs était une continuation de l'émeute; cependant le président et les juges ne furent jamais troublés; le calme et la dignité de l'audience furent invariables; le respect dû à l'accusé était toujours observé. M. Pasquier apportait à la Cour des pairs la tradition du Parlement de Paris. Il avait, en 1837, reçu le titre de chancelier de France.

y

La révolution de 1848 le rendit à la vie privée. Il en avait vu tant d'autres, que ses regrets et ses inquiétudes furent pour la France et non pour lui-même. Il alla passer quelques mois à Tours, puis il revint s'installer à Paris. Il arrangea sa vie avec la sagesse qui avait, à tout àge et en toute position, réglé sa conduite et l'emploi de son temps. Sa famille était nombreuse, il en était le chef; elle l'aimait et le respectait. Il avait beaucoup d'amis; pendant sa longue carrière il les avait conservés et leur nombre s'était augmenté avec l'àge, les différences d'opinion ne les avaient jamais éloignés de lui. Il conservait la même activité d'esprit, sa vue s'étant affaiblie, il se faisait lire les journaux et les livres nouveaux. Il avait, depuis beaucoup d'années, commencé à écrire ses mémoires et ses souvenirs; il les

dictait et les complétait. Dès qu'une lecture ou une conversation l'avait intéressé il dictait les réflexions qu'elles avaient suscitées. Bien peu de jours avant sa mort, il laissait un témoignage de ses impressions et de ses opinions.

En 1842, il avait été élu par l'Académie française pour succéder à M. Frayssinous. On lit dans ses souvenirs quelle satisfaction lui avait donnée cette élection. « Ce fut, dit-il, « le complément d'une vie qui avait été favorisée la par << fortune et le succès. Je ne saurais me taire sur le «< charme que mon adoption dans cette illustre compagnie, « le commerce des lettres et la conversation avec les hom<< mes qui se sont consacrés à leur culte, ont répandu sur « mes dernières années. »

Le salon du Chancelier était, en effet, le rendez-vous de ses confrères de l'Académie. On aimait à converser avec ce représentant du passé, qui en avait gardé l'empreinte, tout en s'associant aux époques qu'il avait traversées, conservant toujours son caractère de modération, de justice et sa clairvoyance d'observation. Sous la simarre du Chancelier de la monarchie constitutionnelle, il laissait voir le conseiller au Parlement.

M. Pasquier avait atteint sa quatre-vingt-seizième année, ses forces diminuaient, il sentait que la vie se retirait, mais il restait tranquille et résigné. Il avait toujours respecté la pensée et professé la foi religieuse: il l'appela à son aide, elle lui donna le calme et la force qui présidèrent à ses der

niers moments.

RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DE FRANCE, DEPUIS SA DERNIÈRE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE, EN MAI 1862, PAR M. J. DESNOYERS, MEMBRE DE L'INSTITUT, SECRÉTAIRE DE LA Societé.

Messieurs,

Depuis l'origine de la Société de l'Histoire de France, aucune année peut-être n'a été aussi féconde en projets nouveaux de publication. Nous ne devons point nous en

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