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CHAPITRE VI.

Influence de la religion sur le développement des familles. L'accroissement de la population est-il un bien ou un mal? En France, c'est indubitablement un bien. Pourquoi les familles, la Normandie étant prise pour exemple, ne s'accroissent pas. Le défaut de subsistance ni aucune cause matérielle ne peut être alléguée. La seule cause est le parti pris. Ce faux calcul est loué par les économistes, flétri par la religion chrétienne. - Influence de la religion prouvée par ce fait, que dans un groupe donné de familles suivi pendant plusieurs générations, la proportion des personnes religieuses peut se maintenir ou même s'accroître. Comme la religion se transmet par l'hérédité beaucoup moins habituellement que l'irréligion, elle finirait par disparaître si les familles religieuses n'étaient pas plus fécondes que les autres. - Application à la noblesse française du siècle dernier.

Lorsque le nombre des habitants ne croît ni ne décroît dans un pays, c'est à peu près le cas en France, un grand nombre de familles doivent disparaître, d'autres au contraire s'étendre; car pour qu'il en fût autrement, il faudrait que le nombre des enfants fût le même dans toutes les familles, et les choses ne se passent pas ainsi; l'expérience nous le dit tous les jours. Pour quelles raisons certaines familles se développent-elles à l'exclusion des autres?

Avant de traiter cette question, qui est proprement l'objet du

présent chapitre, il convient de se demander au préalable, si l'accroissement du nombre des enfants dans les familles, et plus généralement si l'accroissement de la population, est un bien ou un mal.

Les économistes ont beaucoup écrit sur ce sujet, et l'ouvrage de Malthus est particulièrement célèbre. Dans ce que j'ai lu, j'avoue n'avoir trouvé aucune doctrine dont mon esprit ait été satisfait. Je reproche à toute l'école de parler constamment d'un homme qui en réalité n'existe pas, d'une espèce d'orang-outang civilisé, connaissant la machine à vapeur et la statistique, mais rien an delà de la matière ; toujours conduit par de froids raisonnements, jamais par des affections, des passions ou des idées. Je reproche à la plupart des auteurs de sortir ainsi de la vérité, dès les premières pages. Rien n'est plus agaçant, à mon avis, que la lecture de ces ouvrages, où l'auteur établit au début comme principes, sans même les discuter, des allégations sujettes à beaucoup de réserves, et se livre ensuite dans de gros volumes, aux recherches les plus approfondies, pour appliquer ces prétendus principes à la doctrine qu'il veut faire prévaloir.

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Ainsi Malthus, dans « l'Essai sur le principe de population, écrit comme un axiome, dès la deuxième page de son fameux livre, la phrase suivante :

.....« Nous devons donc tenir pour certain que, lorsque la po« pulation n'est arrêtée par aucun obstacle, elle va doublant << tous les 25 ans et croît de période en période, selon une pro«gression géometrique. >>

Je ne dirai pas que cette proposition, qui sert de base à son volumineux ouvrage, soit fausse; pour moi elle est incohérente. Je concevrais que l'on dise: S'il n'y avait pas de guerre, ou si la petite vérole n'existait pas, le mouvement de la population suivrait telle ou telle loi; on peut, en effet, supposer un peuple vivant en paix pendant de longues années, ou n'ayant pas la petite vérole; mais supposer que « la population n'est arrêtée

par aucun obstacle, » c'est supposer que les hommes n'ont aucun des vices destructeurs des familles ou des nations; qu'il n'existe parmi eux ni méchants, ni débauchés, 'ni égoïstes, en d'autres termes, que ce ne sont pas des hommes. De telle sorte que ce principe, prétendu certain, pourrait s'écrire :

« Si des êtres ayant tous les organes et toutes les facultés de « l'homme, sauf le libre arbitre, des castors très perfectionnés, « n'étaient arrêtés par aucun obstacle, leur nombre doublerait << en 25 ans. >>

Je l'admets volontiers, mais que nous importe? Manifestement, on ne peut tirer de cette proposition aucune conclusion relative aux hommes. La phrase de Malthus est spécieuse, mais, regardez-la de près; elle n'a pas un sens différent, et la logique défend absolument d'en faire le fondement d'une doctrine relative à l'humanité.

Et voyez comme les erreurs découlent d'un principe mal établi! S'il est vrai que naturellement, c'est-à-dire quand il ne se passe rien d'anormal, la population humaine double en 25 ans, il est clair, comme les moyens de subsistance ne doublent pas dans un temps si court, que nous marchons à une épouvantable famine, et que le législateur prévoyant doit employer tous ses efforts, pour arrêter cette redoutable et désolante multiplication de l'espèce. C'est la théorie de Malthus, elle a la vogue dans l'école ; mais si nous voulions arriver à une conclusion plus rassurante, ce serait bien facile! Donnons-nous, en effet, la même licence que Malthus, celle d'envisager un seul côté de la question; nous ne considérerons que certaines tendances de l'espèce humaine, au lien de ne considérer que sa faculté prolifique, et un raisonnement analogue au sien nous conduira alors à un résultat absolument contraire. Nous dirons : L'homme et la femme aiment par-dessus tout les jouissances et les richesses; donc, pour peu qu'ils aient de prévoyance, l'homme évitera d'augmenter sa famille et surtout la femme d'affronter une grossesse. Comme l'on ne peut

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nier que l'esprit de prévoyance se répande avec la civilisation, nous pouvons prévoir un moment, si celle-ci continue à progresser, où les grossesses devenant de moins en moins nombreuses, finiront par être nulles, et peu de temps après, il est indubitable que la terre sera vide.

Voilà un argument raisonné comme celui de Malthus, une conclusion aussi certaine que la sienne. Manquerait-on de matériaux pour remplir de preuves un volume aussi gros que celui de l'Essai sur le principe de population? Assurément non; on pourrait, par exemple, appuyer la première proposition, à savoir que l'homme et la femme aiment par-dessus tout les jouissances et la richesse, sur une foule innombrable de faits probants, bien établis, recueillis par les savants les plus véridiques, dans les régions les plus diverses du globe, et ainsi des autres propositions.

Donc, pour prendre la même forme que le célèbre économiste, nous dirons :

« Nous devons tenir pour certain que, lorsque la prévoyance << humaine agit librement, la population va sans cesse décrois<< sant jusqu'au moment où elle disparaît. »

On pourrait être plus précis encore en s'appuyant sur diverses statistiques, et trouver un chiffre pour l'époque de cette disparition future, introduire aussi dans la phrase, une progression géométrique ou autre chose analogue; laissons là ces calculs, quelle que soit leur apparence mathématique, le chiffre final n'aurait pas plus de certitude que le chiffre de 25 ans trouvé par Malthus pour la période de doublement du nombre des humains.

La théorie classique de la multiplication rapide de l'espèce humaine dans les circonstances normales, est fausse; c'est une exception et non une règle ; je ne sais en vérité ce qui arriverait, si cette exception devenait la règle, mais peu m'importe, puisque tout me dit que cela ne peut arriver. S'occupe-t-on de savoir ce que deviendraient la magistrature et les magistrats, s'il n'y avait plus de crimes ni de délits? Des théories appuyées, comme celle

de Malthus, sur des hypothèses irréalisables, ne doivent jamais entraîner notre jugement. Ce sont en réalité purs jeux d'esprit.

Lorsqu'il s'agit de dire si l'augmentation des familles est un bien ou un mal, faisons appel au bon sens, et si c'est un Français qui écrit, apparemment point pour les sauvages ou les Hindous, je demande qu'il n'aille pas faire des raisonnements tirés tout d'abord de ce qui se passe chez les Patagons ou aux Grandes Indes. Je crois pouvoir dire hardiment que le département du Calvados où je vis, pourrait nourrir sans la moindre difficulté le double de ses habitants actuels, et probablement beaucoup plus. S'il en est ainsi ailleurs en France, et j'entends dire de tous côtés que les campagnes se dépeuplent, nous n'avons pas de bien longtemps à craindre sur notre sol une surabondance d'habitants; sans parler de nos colonies, que nous ne parvenons pas à peupler. L'accroissement de la population n'a donc pour nous Français, aucun danger.

Je me souviens avoir, à ce sujet, entendu faire par M. Raudot à l'Assemblée Nationale une réflexion bien frappante. « Nous << avons épargné, disait-il, 10 milliards environ pendant le se«cond Empire, et ils nous ont servi à payer sans trop de souf<< frances, la guerre de 1870 et ses frais. Bien des personnes << trouvent que nous avons le droit de nous vanter de cette puis<< sance extraordinaire de l'épargne; mais nos voisins les Alle«mands, que nous considérons comme des pauvres, ont pendant « ce même temps, augmenté leur population de 10 millions << d'habitants. Si dans la richesse d'un pays on estime un homme, << comme on estimerait un cheval ou un chien, pour le travail « qu'il peut faire, les services qu'il peut rendre, on peut bien << admettre qu'une tête représente un capital de 1,000 francs; ce « chiffre n'a rien d'exageré, au contraire; ainsi les 10 millions << d'Allemands nouveaux, représentent en réalité un capital de << 10 milliards, au bas mot. Le mode de placement de l'épargne

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