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TROISIÈME PARTIE.

LE SENTIMENT RELIGIEUX.

CHAPITRE PREMIER.

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Influence, dans le passé, du sentiment religieux. Existe-t-il encore? On ne peut en douter. Son influence diminue-t-elle ? C'est très contestable.

Il est de mode aujourd'hui parmi certains hommes, surtout parmi ceux que le courant de notre temps a portés dans les fonctions publiques, de considérer la religion, quelle qu'elle soit, comme un accessoire dans la vie d'une société. Ils la regardent comme un vieux débris fait pour plaire aux esprits faibles, et pour lequel, en leur faveur, on peut consentir peut-être à quelques sacrifices, mais à la condition que ce ne soit pour l'État ni une dépense ni un embarras. Nous avons, depuis plusieurs années, le singulier spectacle d'assemblées successives, présumées représenter les idées de la France, et où le plus grand nombre, que je veux croire de bonne foi, est sur ce sujet d'une ignorance, d'un aveuglement vraiment extraordinaires. En vain l'histoire leur montre-t-elle, dans tous les temps, le sentiment religieux pénétrant toutes les institutions, donnant à chaque peuple non seulement un cachet d'originalité, mais le principal ressort de son énergie ; si on prétend appliquer cette observation à notre temps, ils haussent les épaules, « oui, répondent-ils, dans le Moyen âge « ce pouvait être plus ou moins vrai, les peuples étaient plongés << dans les ténèbres de l'ignorance; mais la lumière versée par la «science sur les générations modernes, leur permet de sortir de <«<l'erreur : à cette clarté la religion s'évanouit... » Mais, pourraiton leur dire, c'est vous qui, par vos fausses doctrines, faites les

ténèbres autour de vous; ouvrez donc les yeux! Si vous ne voulez pas vous rapporter à un passé très reculé, voyez le présent, considérez les hommes répandus sur la surface de la terre, groupés dans une infinité de nations; le plus simple examen vous permet d'en faire deux parts: de ces nations les unes restent confinées sur leur territoire, sans progrès à l'intérieur, sans influence à l'extérieur, ce sont les nations orientales qui peuplent l'Asie, les peuples barbares de l'Afrique, les sauvages dans une multitude de régions; de l'autre côté sont des nations qui deviennent de jour en jour plus industrieuses, dont les vaisseaux parcourent en maîtres la surface du globe entier, dont les explorateurs pénètrent chaque jour plus avant dans toutes les directions; leur supériorité est telle qu'on a vu vingt à trente mille hommes de ces nations aller à 3,000 lieues de leur patrie attaquer un empire de 300 millions d'hommes, prendre sa capitale, la réduire à merci. Quel est le trait distinctif de ces nations si puissantes? Est-ce un seul peuple, un peuple exceptionnel? Nullement! vous trouvez un grand nombre de nations dans les deux mondes, comme la France, l'Angleterre, la Hollande, les ÉtatsUnis et bien d'autres, qui, à nombre égal, se valent à peu près. Est-ce une supériorité renforcée par une longue tradition? Pas davantage. Vous voyez, parmi ces nations maîtresses, d'antiques peuples comme ceux de l'Europe, et de jeunes nations comme celles du nouveau monde, nées d'hier. Est-ce la force des individus, la vigueur de leur race? Au contraire; dans ces nations les individus sont moins vigoureux en général. Je m'attends à ce qu'on me dise : Ces nations sont plus instruites! C'est le grand mot du jour, mais la question n'est que reculée; pourquoi sont-elles plus instruites? Est-ce parce qu'elles ont plus travaillé? Je vois en contact en Asie, les Russes et les Chinois; assurément ces derniers appartiennent à une nation où le travail intellectuel et matériel est bien plus en honneur que chez leurs voisins, et cependant leur infériorité est manifeste. Non! un

seul trait distingue les nations auxquelles appartient l'avenir et celles condamnées à s'éteindre ou à courber la tête : les premières sont chrétiennes, les autres ne le sont pas. Aucun phénomène parmi ceux sur lesquels se fondent les sciences dites positives, ne se présente avec plus de certitude. Nous affirmons que le soleil se lève tous les matins, parce que nous l'avons toujours vu se lever après la nuit ; notre certitude repose sur cette idée, que les phénomènes jusqu'ici constants se reproduiront dorénavant avec la même constance. Pourquoi raisonner différemment quand il s'agit de religion? S'il est vrai que les idées religieuses ont été de tout temps l'esprit vital des nations, s'il est vrai que de nos jours elles mettent entre les peuples les distinctions les plus tranchées, comment penser qu'une action si universelle s'évanouira demain? Dans quel ordre de sciences est-il permis de raisonner ainsi?

La vérité, c'est que la religion a fait notre société, avec tout ce dont elle vit, avec ses traditions, ses idées et ses mœurs, et vainement ses ennemis la renient, ils ne le peuvent faire sans témoigner par leurs raisonnements mêmes, qu'ils lui appartiennent, comme l'enfant ne peut blasphémer sa mère sans user du langage appris sur ses genoux. J'entends dire que la science a définitivement condamné le christianisme, qu'on a sondé la nature dans les entrailles de la terre, comme dans les mystérieux organismes de l'animal et de la plante, que la vérité s'est enfin dévoilée; c'est fort bien! mais cet amour passionné de la vérité, cette ardeur pour connaître les lois de l'univers, qui en a jeté le principe au fond de votre âme? Où la trouvez-vous, sinon chez les nations chrétiennes, avec cette ardeur de prosélytisme qui ne vous permet pas de voir de sang-froid à côté de vous un homme pensant différemment? L'antiquité a eu des savants, autour desquels se sont pressés des disciples, mais après Socrate, nul n'a désiré boire la ciguë, et sa mort est restée un fait isolé. La Grèce, si passionnée d'ailleurs pour la philosophie, n'a jamais vu de mis

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