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Le vertueux Louis XVI tente inutilement de remédier à un pareil état de choses: la société est si malade, que les meilleures intentions, les actes les plus généreux ne peuvent lui procurer de soulagement. Les caractères s'aigrissent, les masses populaires fermentent, et, si l'on aime encore le roi, on déteste ce qui l'entoure. Les finances, grevées sous le règne précédent, sont surchargées d'un déficit énorme par suite de la guerre d'Amérique, et les ressources sont pour ainsi dire taries par le grand nombre de privilèges. Necker ne peut combler le déficit; de Calonne l'augmente considérablement par son impéritie. Il n'y avait qu'un moyen de se tirer d'une position aussi fâcheuse : c'était d'assembler la nation dans ses comices et de créer de nouveaux impôts. Les états généraux furent convoqués (24 janvier 1789).

Aucune assemblée pareille ne s'était vue depuis 1614, et l'Europe entière fut attentive aux événements qui allaient se produire. Les hommes éclairés n'étaient pas exempts de crainte; ils se demandaient avec inquiétude que deviendrait la monarchie, avec le nouvel ordre de choses qui tendait à s'établir.

L'ouverture des états généraux (5 mai), faite avec une grande pompe, laissa néanmoins percer quelques indices du mécontentement populaire. La noblesse et le clergé rivalisaient de luxe; les costumes étaient brillants, fastueux, et, par une ironie amère, on avait imposé aux députés du tiers état un petit habit de laine noire. Quand le cortège des députés traversa la rue, avant et après la cérémonie d'ouverture, le

peuple demeura silencieux sur le passage des deux premiers ordres, et les applaudissements éclatèrent avec frénésie autour des députés du tiers état.

Ceux-ci, irrités du mépris que l'on faisait de leur mandat et heureux de se voir soutenus, prirent le lendemain une attitude pleine de fierté, et firent payer cher aux deux autres ordres leurs airs hautains et leur ton dédaigneux.

Le roi prononça à l'ouverture des états généraux un discours empreint de sentiments paternels, invitant les députés au calme et à la concorde. Un long intervalle s'était écoulé depuis les dernières tenues des états généraux ; et, quoique la convocation de ces assemblées parût être tombée en désuétude, il n'avait pas balancé à rétablir un usage dont le royaume pouvait tirer une nouvelle force, et qui pouvait ouvrir à la nation une nouvelle source de bonheur. Il était temps de porter remède à une situation périlleuse : l'inquiétude générale, le désir exagéré d'innovations qui se sont emparés des esprits, finiraient par égarer totalement les opinions, si l'on ne se hâtait de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés. Tout ce qu'on peut espérer du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu'on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples, on peut, on doit l'attendre de ses sentiments.

Après ce discours, le roi avait ordonné aux trois ordres de se rendre dans leurs salles respectives, pour la vérification des pouvoirs. Cette question excita les réclamations du tiers état : les députés de ce corps

prétendirent que la vérification devait se faire en commun; la noblesse et le clergé soutenaient au contraire qu'elle devait avoir lieu par ordre.

Cette discussion offrait un intérêt majeur, et de sa solution dépendaient les conditions du vote. Les députés du tiers état, plus nombreux seuls que les deux autres ordres réunis, voulaient qu'il se fit par tête, car de cette manière ils étaient certains de l'emporter; la noblesse et le clergé s'obstinaient à voter par ordre, pour ne pas avoir le dessous. Cinq semaines se passèrent dans cette discussion; mais le tiers état fut assez adroit pour attirer à lui une partie du clergé, et il se constitua, sur la proposition de l'abbé Sieyes, en assemblée nationale (17 juin).

Cette innovation effraya Louis XVI: il convoqua ses ministres et ses conseillers, pour aviser aux moyens de réprimer les exigences du tiers état. Plusieurs projets furent soumis et aussitôt abandonnés. Il fut résolu enfin qu'il y aurait, le 22, séance royale, que le monarque adresserait aux trois ordres réunis des paroles de paix, et leur soumettrait une liste des réformes à opérer.

Le 20 juin, des hérauts publièrent dans les rues de Versailles une proclamation exposant que, vu les préparatifs à faire dans les salles à cause de la séance royale, les assemblées des ordres seraient suspendues jusqu'à avis ultérieur. Le marquis de Brézé en informa le président Bailly par lettre particulière. Celui-ci objecta que ce n'était pas un ordre émané directement du roi, et qu'il se rendrait à l'heure dite

au lieu ordinaire des séances. Il s'y rendit en effet; mais la porte était fermée, et l'officier de garde lui refusa le passage.

Pendant ce temps-là, les députés, qui n'avaient reçu aucun avis de leur président, s'étaient amassés dans la rue. La curiosité amena une foule considérable autour d'eux, et, à la faveur de cette confusion, des cris séditieux purent s'élever impunément. « On veut », disaient les plus emportés, « dissoudre l'Assemblée nationale et plonger la patrie dans les horreurs de la guerre civile. La disette règne partout; le peuple voit partout la famine prête à le dévorer. Nous allions y mettre un terme, en déchirant le voile qui couvre les manoeuvres des monopoleurs, des accapareurs, et voici que l'on nous arrête au début. Les Louis XI, les Louis XIII, les Richelieu, les Mazarin, les Brienne, n'ont attaqué, par leur despotisme, que des individus isolés ou des corps peu nombreux; ici, c'est la nation entière qui est le jouet d'un ministère despotique.

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Excités par ces paroles et encouragés par l'attitude du peuple, les députés résolurent d'aller tenir séance dans la salle du Jeu de paume, et là fut prononcé le fameux serment de ne se séparer qu'après avoir donné à la France une constitution. Un seul, le député de Castelnaudary, Martin (d'Auch), eut le courage de refuser sa signature.

Cette résolution du tiers état n'aurait eu cependant qu'un succès fort médiocre, si une partie de l'ordre du clergé ne s'était, le lendemain, ralliée aux

opposants. Inutilement les autres membres du clergé, unis à la noblesse, protestèrent contre la conduite de ceux qu'ils regardaient comme des transfuges : la démarche était faite, et les conséquences allaient se dérouler rapidement.

Le 23 juin, le roi se rendit aux états généraux. On remarqua avec surprise que le ministre Necker ne l'accompagnait pas, et cette absence fut mal interprétée. Louis XVI parla avec noblesse et accorda de son plein gré toutes les réformes qui étaient demandées point d'impôts ni d'emprunts sans le consentement des représentants de la nation; examen de la situation des finances par les états généraux; publicité du tableau des recettes et dépenses; fixation des sommes attribuées à chaque département, même pour la maison du roi ; plus de privilèges dans le payement des impôts; abolition du droit de franc-fief; toutes les propriétés, sans exception, respectées; continuation d'exemption, pour les deux premiers ordres, des charges personnelles, qui seront converties en charges pécuniaires; détermination, d'après l'avis des états généraux, des emplois qui conserveront le droit de donner et de transmettre la noblesse ; charge donnée aux états généraux de chercher et de proposer les moyens de concilier l'abolition des lettres de cachet avec le maintien de la sûreté publique, la liberté de la presse avec le respect dû à la religion, aux bonnes mœurs et à l'honneur des citoyens ; adoucissement de l'impôt sur le sel; examen des avantages et inconvénients des droits d'aides et autres impôts; modifi

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