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noire, et montrer une mauvaise foi plus marquée, puisque, dans le passage de mon livre où ceci se rapporte, il n'est il n'est pas même possible que j'aie voulu parler de l'Évangile.

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Voici, monsieur, ce passage; il est dans le second tome d'Émile, page 256. « En n'asservissant les hon»> nêtes femmes qu'à de tristes devoirs, on a banni » du mariage tout ce qui pouvoit le rendre agréable >> aux hommes. Faut-il s'étonner si la taciturnité qu'ils voient régner chez eux les en chasse, ou >> s'ils sont peu tentés d'embrasser un état si déplai>> sant? A force d'outrer tous les devoirs, le christia»> nisme les rend impraticables et vains à force » d'interdire aux femmes le chant, la danse, et tous » les amusemens du monde, il les rend maussades, >> grondeuses, insupportables dans leurs maisons. >>

Mais où est-ce que l'Évangile interdit aux femmes le chant et la danse? où est-ce qu'il les asservit à de tristes devoirs? Tout au contraire, il y est parlé des devoirs des maris, mais il n'y est pas dit un mot de ceux des femmes. Donc on a tort de me faire dire de l'Évangile ce que je n'ai dit que des jansénistes, des méthodistes, et d'autres dévots d'aujourd'hui, qui font du christianisme une religion aussi terrible et déplaisante (1), qu'elle est agréable et douce sous la véritable loi de Jésus-Christ.

(1) Les premiers réformés donnèrent d'abord dans cet excès avec une dureté qui fit bien des hypocrites; et les premiers jansénistes

Je ne voudrois pas prendre le ton du père Berruyer, que je n'aime guère, et que je trouve même de très-mauvais goût; mais je ne puis m'empêcher de dire qu'une des choses qui me charment dans le caractère de Jésus n'est pas seulement la douceur des mœurs, la simplicité, mais la facilité, la grâce, et même l'élégance. Il ne fuyoit ni les plaisirs ni les fêtes, il alloit aux noces, il voyoit les femmes, il jouoit avec les enfans, il aimoit les parfums, il mangeoit chez les financiers. Ses disciples ne jeûnoient point; son austérité n'étoit point fâcheuse. Il étoit à la fois indulgent et juste, doux aux foibles, et terrible aux méchans. Sa morale avoit quelque chose d'attrayant, de caressant, de tendre; il avoit le cœur sensible, il étoit homme de bonne société. Quand il n'eût pas été le plus sage des mortels, il en eût été le plus aimable.

Certains passages de saint Paul, outrés ou mal entendus, ont fait bien des fanatiques, et ces fanatiques ont souvent défiguré et déshonoré le christianisme. Si l'on s'en fût tenu à l'esprit du maître, cela

ne manquèrent pas de les imiter en cela. Un prédicateur de Genève, appelé Henri de La Marre, soutenoit en chaire que c'étoit pécher que d'aller à la noce plus joyeusement que Jésus-Christ n'étoit allé à la mort. Un curé janséniste soutenoit de même que les festins des noces étoient une invention du diable. Quelqu'un lui objecta là-dessus que Jésus-Christ y avoit pourtant assisté, et qu'il avoit même daigné y faire son premier miracle pour prolonger la gaîté du festin. Le curé, un peu embarrassé, répondit en grondant : Ce n'est pas ce qu'il fit de mieux.

à

ne seroit pas arrivé. Qu'on m'accuse de n'être pas toujours de l'avis de saint Paul; on peut me réduire prouver que j'ai quelquefois raison de n'en pas être ; mais il ne s'ensuivra jamais de là que ce soit par dérision que je trouve l'Évangile divin. Voilà pourtant comment raisonnent mes persécuteurs.

Pardon, monsieur ; je vous excède avec ces longs détails, je le sens, et je les termine: je n'en ai déjà que trop dit pour ma défense, et je m'ennuie moimême de répondre toujours par des raisons à des accusations sans raison.

LETTRE IV.

L'auteur se suppose coupable; il compare la procédure à la loi.

Je vous ai fait voir, monsieur, que les imputations JE tirées de mes livres en preuve que j'attaquois la religion établie par les lois, étoient fausses. C'est cependant sur ces imputations que j'ai été jugé coupable, et traité comme tel. Supposons maintenant que je le fusse en effet, et voyons en cet état la nition qui m'étoit due.

Ainsi que la vertu le vice a ses degrés.

pu

Pour être coupable d'un crime, on ne l'est pas de tous. La justice consiste à mesurer exactement la peine à la faute; et l'extrême justice elle-même est une injure, lorsqu'elle n'a nul égard aux considé

rations raisonnables qui doivent tempérer la rigueur de la loi.

Le délit supposé réel, il nous reste à chercher quelle est sa nature, et quelle procédure est prescrite en pareil cas par vos lois.

Si j'ai violé mon serment de bourgeois, comme on m'en accuse, j'ai commis un crime d'état, et la connoissance de ce crime appartient directement au Conseil; cela est incontestable.

Mais si tout mon crime consiste en erreur sur la doctrine, cette erreur fût-elle même une impiété, c'est autre chose. Selon vos édits, il appartient à un autre tribunal d'en connoître en premier ressort.

Et quand même mon crime seroit un crime d'état; si, pour le déclarer tel, il faut préalablement une décision sur la doctrine, ce n'est pas au Conseil de la donner. C'est bien à lui de punir le crime, mais non pas de le constater. Cela est formel par vos édits, comme nous verrons ci-après.

Il s'agit d'abord de savoir si j'ai violé mon serment de bourgeois; c'est-à-dire le serment qu'ont prêté mes ancêtres quand ils ont été admis à la bourgeoisie; car pour moi, n'ayant pas habité la ville, et n'ayant fait aucune fonction de citoyen, je n'en ai point prêté le serment. Mais passons.

Dans la formule de ce serment, il n'y a que deux articles qui puissent regarder mon délit. On promet, par le premier, de vivre selon la réformation du saint Évangile; et par le dernier, de ne faire, ne

souffrir aucunes pratiques, machinations ou entreprises contre la réformation du saint Évangile.

Or, loin d'enfreindre le premier article, je m'y suis conformé avec une fidélité et même une hardiesse qui ont peu d'exemples, professant hautement ma religion chez les catholiques, quoique j'eusse autrefois vécu dans la leur; et l'on ne peut alléguer cet écart de mon enfance comme une infraction au serment, surtout depuis ma réunion authentique à votre Eglise en 1754, et mon rétablissement dans mes droits de bourgeoisie, notoire à tout Genève, et dont j'ai d'ailleurs des preuves positives.

On ne sauroit dire, non plus, que j'ai enfreint ce premier article par les livres condamnés, puisque je n'ai point cessé de m'y déclarer protestant. D'ailleurs, autre chose est la conduite, autre chose sont les écrits. Vivre selon la réformation, c'est professer la réformation, quoiqu'on se puisse écarter par erreur de sa doctrine dans de blâmables écrits, ou commettre d'autres péchés qui offensent Dieu, mais qui, par le seul fait, ne retranchent pas le délinquant de l'Église. Cette distinction, quand on pourroit la disputer en général, est ici dans le serment même, puisqu'on y sépare en deux articles ce qui n'en pourroit faire qu'un, si la profession de la religion étoit incompatible avec toute entreprise contre la religion. On y jure, par le premier, de vivre selon la réformation; et l'on y jure, par le dernier, de ne rien entreprendre contre la réformation. Ces deux

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