Librarian 2-1-17 INTRODUCTION. LA multitude des mémoires particuliers qui se sont publiés et qui se publient chaque jour a fait dire que ce siècle s'appellerait un jour le siècle des mémoires. On pourra dire aussi que c'est le siècle des événemens. A la suite des bouleversemens de Rome, la république eut aussi beaucoup de mémoires particuliers. Tacite rapporte qu'écrire l'histoire de sa vie était devenu un usage: usage dont l'envie ne s'offensait pas, dont la vanité ne se prévalait pas. A la suite de nos tempêtes politiques, où les biens, les rangs ont été bouleversés, où beaucoup d'anciennes grandes réputations se sont effacées, où beaucoup de réputations nouvelles se sont élevées, il était inévitable que ceux qui ont eu part à ces événemens s'empressassent de les faire connaître les uns pour revendiquer la portion de gloire qu'ils y ont eue et qu'ils pensent ne leur avoir pas été adjugée; les autres pour repousser le blâme dont ils ont pu : étre l'objet, et qu'ils pensent n'avoir pas encourue. Il en est d'autres encore à qui il a pu convenir d'écrire l'histoire de nos fautes et de nos malheurs, comme leçon nécessaire aux contemporains et à la postérité. Le premier de ces motifs n'a pu me déterminer. Si je n'ai pas à me reprocher d'avoir contribué aux événemens malheureux de la révolution, je n'ai pas non plus à me féliciter d'avoir été pour quelque chose dans ses événemens heureux. Ceux qui comptent parmi ces derniers le directoire à la suite de la terreur, le consulat et l'empire à la suite du directoire, ne m'y ont pas vu figurer. A l'égard des deux restaurations, elles ont été certainement l'objet de mes vœux; mais je ne saurais dire que j'y aie été pour la moindre chose. Je ne connais même personne qui puisse s'arroger une part dans ces deux grands événemens. A Domino factum est istud, et est mirabile in oculis nostris. Je ne connais personne..... Je me reprends. It faut exceptér pour la première restauration M. de Châteaubriand qui, dans un écrit plein d'éloquence, me paraît avoir animé les courages et déterminé les incertitudes; pour la seconde, il faut compter M. de Talleyrand qui, étant alors notre ambassadeur à Vienne, remua, excita, et finalement entraîna la résolu tion des puissances de l'Europe, et le déploiement de toutes leurs forces. Si ce n'est pas pour revendiquer aucune espèce de gloire que je publie ces mémoires, ce pourrait être au moins pour repousser diverses imputations dont j'ai été l'objet; et cependant, même encore sur ce point, je ne sais si j'aurais cru nécessaire de me mettre en frais de justification ou d'apologie. Ces imputations ont été si opposées entre elles, et en même temps si absurdes, qu'elles ont excité quelquefois ma surprise, jamais mon ressentiment. Si on m'accusait d'avoir volé les tours de NotreDame, disait un grave magistrat, je commencerais par prendre la fuite. On ne m'a jamais accusé d'avoir volé les tours de Notre-Dame; mais seulement quelques centaines de mille francs dans les diligences et dans les grands chemins. A ma rentrée en France, un journal a précisé le jour, l'heure, les lieux. J'ai dit que cela n'était pas vrai; je l'ai dit sans colère, et n'ai pas pris la fuite. Passe pour voleur de grands chemins. Il est, ma foi, d'autres accusations qui m'ont bien plus étonné encore, et qui n'ont pas davantage excité mon ressentiment. Dans un temps calme, dans un temps où il y a un corps de société et par conséquent un corps d'opinion a. i ordonné, il faut être sensible à la moindre attaque faite à votre délicatesse; dans un temps de troubles et de dévergondage, où des fous qui se croient sages, appellent fous ceux qui ne partagent pas leur folie, le mieux est de poursuivre sa route d'un pas ferme, sans occuper sa vie entière à espadonner contre la déraison. Au milieu des événemens de mon pays, telle a été ma marche. Ardent pour les intérêts publics, quelquefois pour ceux de mes amis, négligent pour mes propres injures : cette négligence n'a pas, comme on le pourrait croire, calmé mes ennemis. Au contraire, la haine aime qu'on fasse attention à elle; étant irritée, -elle s'irrite encore plus si elle se croit méprisée. Pendant quelque temps tout cela est supportable; à la fin, une continuité de diffamations afflige vos parens, importune vos amis. Ils vous disent que des traits de calomnie aussi poursuivis, aussi multipliés peuvent laisser des incertitudes, quelquefois des traces; et puis, si vous ne faites pas vos mémoires, voilà que tout le monde les fait pour vous. La société est remplie depuis quelque temps d'une multitude de biographies. Je n'ai pas à me plaindre de ces biographies. Aucune, à ma connaissance, ne s'est fait l'écho des diffamations que j'ai mentionnées. Je dois dire seulement qu'elles ont beaucoup d'inexactitudes. On peut consentir à demeurer, dans l'obscurité; ce n'est pas une facheuse condition; mais dès qu'on est produit en lumière, on voudrait l'être tel qu'on est. Je viens actuellement au motif d'utilité publique. Je ne veux pas tout-à-fait abdiquer à cet égard mes espérances. Dans les événemens de la révolution, si je n'ai pas été important comme acteur, on me peut trouver de l'importance comme témoin. En rendant compte avec impartialité de diverses scènes où ont figuré des personnages avec lesquels j'ai eu quelquefois des liaisons, on peut croire que mes dépositions feront foi et deviendront une sorte de monument. Je suis assez disposé à le croire moi-même. Cependant, quand j'ai présenté cette considération à quelques personnes, surtout à mes libraires, ils ne m'ont pas paru y faire une grande attention; ils m'ont paru compter sur la curiosité, beaucoup plus que sur l'utilité. Homme singulier, homme bizarre! C'est ce qu'ont dit de moi les ennemis avec l'accent de la colère et de la haine : c'est ce qu'ont dit aussi un peu mes amis avec l'accent de l'indulgence et de la bonté. De là s'est manifestée une sorte d'empressement à me voir |