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elle ne fut pas faite légèrement instruction judiciaire, témoins confrontés, accusés mis en présence, une année presque entière s'écoula, et quand le rapport arriva, la voix puissante du génie le plus émouvant de la révolution, la voix de Mirabeau mit tout cela en poussière en quelques paroles.

Cette enquête, elle portait un grave caractère. On fit, dans l'Assemblée nationale, un appel à la concorde, comme je l'ai entendu faire depuis ce matin. On dit : Les hommes ne sont rien, les principes sont tout; le peuple souffre, occupons-nous de lui; et l'Assemblée nationale intelligente passa purement et simplement à l'ordre du jour; l'Assemblée nationale scella le pacte d'union; elle eut raison, car pendant dix-huit mois, sans secousse, sans colère, elle put suivre sa course libérale et magnanime à la fois. (Sensation.)

Après le 10 août, après cette journée qui avait tué la royauté, le parti qui avait encore des souvenirs de la monarchie déchue poussa à une accusation, à une enquête; on accusa, on ne demanda plus au pays ce qui était recélé dans son sein; non, messieurs, non! on accusa. La première fois, la Convention passa à l'ordre du jour; mais cet ordre du jour avait été tel, les débats avaient été si virulents, que ce fut la grande guerre de la Montagne et de la Gironde; vous savez le reste. (Mouvement.)

Après le 9 thermidor, le parti vainqueur voulut aussi des accusations. Il poursuivit les hommes, comme ici, par une enquête politique, par ces enquêtes où l'on n'entend que les ennemis et pas les défenseurs. (A gauche : Très bien!)

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Eh bien, que fit, à ce moment-là, la Convention? Elle mit une première, une deuxième, une troisième fois obstacle à cette violence, puis le parti qui triomphait finit par vouloir traduire devant le tribunal révolutionnaire les hommes qui

avaient plus ou moins pris part à la révolution, qui avaient des fautes à se reprocher, mais aussi qui avaient fait de grandes choses, car ils avaient émancipé le pays; je me trompe, émancipé le monde ! (Sensation marquée.)

On voulut donc les accuser. Il en résulta que les irritations du dedans, que les colères intestines se répandirent au dehors; puis, la journée de germinal pour délivrer les accusés, puis, la journée de prairial, puis la mort du courageux Féraud; salut à lui!! puis au bout de tout cela, pendant cinquante ans, la république couchée dans la tombe. Voilà le produit des enquêtes politiques. (Nouvelle sensation.)

Je m'arrête ici, et je vous dis : « Vous, Assemblée, oubliez qui nous sommes et qui vous êtes; élevez-vous dans une sphère assez haute pour ne voir que les grands, les immortels principes des sociétés; dans cette sphère calme et sans agitation, voyez la route que vous avez à prendre ; Jeux chemins s'ouvrent devant vous: la grande enquête, je le disais, l'enquête de 89; le grand, le généreux exemple de l'Assemblée nationale; puis l'autre route, l'enquête politique, la haine de l'homme à l'homme, s'acharnant à l'ennemi, voulant le frapper, et cet ennemi mort en faisant renaître cent mille, la guerre civile, l'anarchie. De laquelle voulez-vous? (Profonde sensation.) Dans laquelle des deux Votre commission va-t-elle essayer de vous entraîner? Est-ce dans la première? Est-ce dans la seconde ?

Votre commission, quel était son mandat? Quelles étaient les limites de ses pouvoirs? Son mandat était l'attentat du 24 juin étendu jusqu'aux événements du 15 mai. En dehors de cela, rien. Car après ces violentes émotions, après ce sang répandu, ce que vous vouliez, c'était que les causes ne se représentassent plus; nous avions été trop profondément émus, nous avions le cœur trop fortement labouré pour penser à des hommes; nous ne pensions qu'au pays.

Le mandat était donc seulement de faire une enquête sur l'attentat du 24 juin, en remontant, au besoin, jusqu'au 15 mai. Est-ce cela par hasard que la commission a fait?

Est-ce qu'on avait parlé des événements antérieurs? Et cependant, que fait la commission? Elle se demande s'il est possible de perdre un des plus ardents acteurs de la révolution de février. Oh! voyons de près tout ce qui se passe, sa vie privée, ses moindres actes; recueillons toutes les calomnies, ne les contrôlons pas, surtout ne lui en parlons pas. Voilà ce qu'elle a fait; puis, quand elle a agi ainsi, remontant d'événements en événements, elle vient nous jeter dans son rapport cette phrase : « Les événements s'enchaînent; les événements sont tels que, du 24 juin, du 15 mai, il a fallu remonter fatalement, pour quelques hommes, jusqu'aux époques antérieures. »

Cela ne peut tromper personne, citoyens, pour quiconque a lu les procès-verbaux de la commission d'enquête. Le premier de vos procès-verbaux, que contient-il? Vous venez d'être nommés, vous vous asseyez au bureau la pour première fois, et, avant qu'aucune discussion se soit élevée sur les événements, avant de pouvoir savoir s'ils s'enchaînent, vous demandez qu'on dépose entre vos mains toutes les pièces antérieures au 15 mai et qui ont préparé d'autres événements. Ne dites donc pas : Je suis impartial. je suis juge; ne dites pas cela, car, en vous asseyant, la haine, la rancune, s'asseyent avec vous, avant d'avoir pu être poussés par l'enchaînement des événements. (Vire approbation sur les bancs supérieurs de la gauche.)

Et quand je vous dis ces choses si simples, est-ce que par hasard vous croyez que je me défends? Non, non, ne vous y trompez pas.

Car enfin, au 24 juin, vous ne me trouvez nulle part; je me trompe, vous me trouvez à mon poste d'honneur, au siége de la commission exécutive.

Au 15 mai! oh! des insinuations; mais vous savez parfaitement bien, il y a ici des témoins qui en déposent, que j'ai fait mon devoir ici comme à l'Hôtel de ville. Donc maintenant comment remontez-vous jusqu'à moi ? comment venez-vous me demander compte indirectement de ma politique? Ma politique, si elle est mauvaise, l'histoire la jugera. Vous l'avez rejetée en me faisant tomber du pouvoir; mais, est-ce que par hasard dans votre enquête vous aviez le droit de m'en accuser? Est-ce que je n'étais pas couvert par cette déclaration que j'avais bien mérité de la patrie? Est-ce que dans votre enquête, si je n'avais figuré ni au 24 juin, ni au 15 mai, vous pouviez me demander compte de ma politique à l'égard de la Belgique? Est-ce que vous pouviez me demander comptes de mes circulaires? Est-ce que vous pouviez me demander compte de mes commissaires? Vous ne le pouviez pas, je me trompe, vous ne pouviez le faire qu'en attaquant dans ma personne le gouvernement provisoire et la révolution de février. (Très bien ! Bravos à gauche.)

Et ne croyez pas que j'invoque ces principes pour m'abriter sous eux; ne croyez pas que j'aie besoin d'un voile : ma politique, je puis la défendre en deux mots.

J'ai écrit des circulaires, vous avez pu les lire, dans lesquelles il y a ceci : Qu'il fallait respecter les situations et montrer de la fraternité, mais qu'il fallait envoyer à l'Assemblée des républicains, des hommes de la veille. Voilà

ce que j'ai dit. Eh bien ! je l'ai dit, et devant vous je le soutiens, parce que je le crois juste. Savez-vous pourquoi je le crois juste? par honneur pour vous et pour votre délicatesse. Car enfin, ne vous rappelez-vous pas toutes les luttes auxquelles nous assistions depuis huit ans? car enfin ne savez-vous plus qu'à la dernière séance, celle où l'on intronisait la régence, le chef de ce parti déclarait qu'en dehors de la régence tout était anarchie et factions, qu'il

ne pouvait rien exister? Eh bien, moi, qui ai été invariablement fidèle à mes principes, moi qui ai tracé mon cercle, celui dans lequel s'agitera ma vie, le jour où j'ai été poursuivi pour mon allocution aux électeurs, j'ai voulu réaliser ce qui était dans ma conscience. Je croyais qu'une conviction profonde vous animait aussi, et je disais : Ces hommes qui, au 24 février, voulaient la régence, les précipiter dans une constitution à faire pour la République, c'est les faire mentir à leurs précédents. En vous estimant fidèles à votre concience, vous ai-je calomniés? J'avais tenu compte de l'âme humaine, et j'avais respecté les convictions comme sacrées, (Très bien!)

On m'a reproché les commissaires par moi nommés, et même dans l'enquête on trouve à cet égard je ne sais quelle accusation. J'ai dit, et je le répète, j'aurais voulu vous voir le lendemain de la révolution aux prises avec les obsessions; vous auriez vu qu'il fallait plus de courage pour résister à beaucoup d'entre elles que vous ne pouvez que vous ne pouvez le supposer. J'avais en trois jours, chose inouïe ! toute une administration à refaire.

Vous avez dit : Ces commissaires, ils avaient des pouvoirs illimités. Allons! allons! nous sommes tous des hommes sérieux, n'abusons pas des mots. Oui, des pouvoirs illimités, en leur disant que la limite était dans les mœurs du pays. Vous ne vous attaquez pas aux mots, n'est-ce pas ? Dites-moi donc, à part les rancunes électorales qui peuvent ne pas avoir été oubliées, dites-moi s'il est un seul de ces commissaires qui se soit rendu coupable d'un méfait quelconque ? (Oh! oh!-Longues rumeurs.)

Oh! vous ne m'avez pas surpris, j'attendais cette interruption..... Les commissaires vous ont combattus (Oh! ok!

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Nouvelles rumeurs), vous en conservez rancune. Mon Dieu! c'était leur droit..... (Rumeurs et bruit divers.) A l'occasion de cela on a fait injure, par l'assimilation, à tous

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