Page images
PDF
EPUB

18. DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE,

RÉVOLUTIONS

DE PARIS,

DÉDIÉES

A LA NATION

ET AU DISTRICT DES PETITS-AUGUSTINS,

Avec gravures et cartes des départemens de France. QUATRIÈME ANNÉE

DE LA LIBERTÉ FRANÇAISE.

[blocks in formation]

Des honneurs du triomphe militaire.

UNE vérité historique qui no fait point honneur à la fage

antiquité, mais qui devroit nous fervir de leçon, c'eft que les Romains furent le plus puiffant des peuples de la terre, parce qu'ils en furent le plus immoral & le plus injufte. Dans fa première origine, ils raviffoient les femmes & enlevoient les troupeaux aux petites peuplades voifines; on les vit, par la fuite, envahir tous les royaumes qu'ils trou No. 134. Tome 11.

Α

vèrent à leur convenance; l'efprit de conquête fut toujours ( 198 ) la bafe de leur caractère. Le peuple romain fe propofa conftamment de devenir le maître du monde, & il le devint. Le fuccès le plus éclatant couronna la plus coupable de toutes les ambitions; mais par quels moyens s'élevat-il, fur le cadavre des nations, à ce degré de force & de gloire? par les honneurs du triomphe accordés au général & à fes foldats vainqueurs.

« Romulus & fes fucceffeurs (dit Montefquieu ).... re» venoient dans la ville avec les dépouilles des peuples » vaincus.... Cela y caufoit une grande joie. Voilà l'ori»gine des triomphes qui furent, dans la fuite, la prin»cipale caufe des grandeurs où cette ville parvint.... Les » confuls ne pouvant obtenir l'honneur du triomphe que » par une conquête ou une victoire, faifoient la guerre » avec une impétuofité extrême; Rome étoit donc dans » un état de guerre éternelle & toujours violente ».

Celui de tous les comités de l'affemblée nationale qui devoit faire preuve de plus de fageffe, le comité d'inftruction publique, ne craint pas, malgré le témoignage de l'hiftoire & les confiderations (1) de la philofophie, de propofer les Romains pour modèle au peuple français dans les honneurs qu'il veut rendre auffi aux défenieurs de la patrie. Sans avoir égard à la différence des lieux & des temps, des hommes & des principes, les graves légiflateurs d'une nation qui a renoncé aux conquêtes, lui propofent de décréter précisément les mêmes récompenfes qui ont valu au peuple romain la conquête du monde

alors connu.

Le peuple français ne confulta pas les antiquaires & leurs livres in-folio pour faire révolution; il n'alla point pâlir dans la pouffière des bibliothèques pour apprendre comment on s'y prenoit à Sparte ou brifer le fceptre des rois; il favoit vaguement que les dans Athènes pour Tarquins avoient été chaffés de Rome; il avoit entendu parler d'un Brutus qui poignarda l'ambitieux Céfar. A l'exemple des Romains qui ne favoient que fe battre,

(1) Voyez les CONSIDÉRATIONS fur la grandeur des Romains & fur leur décadence, d'où le paffage précédent a

été tiré.

nous n'allâmes point demander au loin des loix nouvelles; nous les fimes nous-mêmes, & nous n'attendîmes pas un décret pour rendre publiquement les honneurs funèbres à celui de nos légiflateurs que nous crûmes avoir influé le plus puiffamment fur la nouvelle organisation de là chofe publique; il ne fallut point aux habitans du faubourg Saint-Antoine une loi expreffe portée fur un rapport des comités militaires & d'inftruction publique réunis, pour accorder le grand triomphe à celui d'entre les vainqueurs de la Baftille qui fe diftingua le plus au fiége de cette fortereffe; une loi eût enlevé le mérite de la reconnoiffance; des apprêts euffent refroidi l'enthoufiafme. Le premier char qu'on rencontre, on s'en faifit; on y fait monter Arné; on attache à la boutonnière de fon uniforme la croix de mérite qu'on arrache aux habits du traître gouverneur de Launay; une couronne treffée par des femmes, à la hâte, eft pofée fur la tête du brave garde française; de vieilles armes trouvées à la Bastille, les clefs de cette prifon, & des chaînes brifées dans les cachots, font les trophées qu'on porte au bout des piques autour du triomphateur. Le peuple ne perdit pas de temps à combiner ces honneurs militaires; le prix fut décerné tout auffi-tôt qu'il fut mérité; la gratitude du peuple eft auffi prompte que fa juftice; il ne fait point attendre. le falaire au crime ou à la vertu, & ces honneurs ne font point difpendieux; ils ne coûtent rien au tréfor public; ils ne peuvent être mendiés; au lieu que l'honneur du triomphe, à Rome, ne tarda pas à être accordé à l'intrigue ou à la faction d'un général, comme nous le verrons fe renouveler bientôt chez nous.

Veut-on des triomphes plus calmes, plus réfléchis & non moins honorables? l'histoire ancienne & la nôtre nous en fourniffent des exemples.

Ariftide fe trouve au théâtre d'Athènes, à la représentation d'une pièce d'Efchyle. Un acteur, en parlant d'un certain Amphiaraus, récite ce vers:

Il ne veut point paroître homme de bien,

Mais l'être en effet.

Tous les fpectateurs en font auffi-tôt l'application à Arifhde, en fe tournant vers lui, & fixant leurs regards fur fa perfonne,

[ocr errors]

Pierre Corneille vient au fpectaclé, & prend fa place au parquet. Les affiftans, comme par instinct, fe lèvent tous en fa préfence.

La pompe triomphale décernée à Paul Emile approche-telle de cet hommage fublime rendu spontanément à Aristide le jufte & au grand Corneille ?

Comment une nation qui s'eft élevée à la hauteur des loix naturelles, une nation qui a donné le premier exemple de juftice & de modération, en déclarant folennellement à toute l'Europe qu'elle ne franchiroit jamais fes limites pour porter un pied conquérant fur le territoire de fes voifins; comment une telle nation, digne de fervir de modèle à toutes les autres, deviendroit - elle copiste d'un peuple qui commença par le brigandage, & finit par la fervitude? Il n'eft pas poffible qu'invefti des lumières du fiècle, le comité d'inftruction publique ait confervé encore ces fauffes idées de gloire & de grandeur dont notre révolution a fait fentir le vide. Si des légiflateurs ont eu befoin de charlatanerie pour redonner du ton à l'efprit public, ce petit moyen n'eft pas à l'ordre du iour. L'efpoir de partager, à la fin de la campagne,

ar du triomphateur, n'a point donné des ailes aux ga es nationales pour voler aux frontières. Aux premiers bruits de ge re, l'amour de la patrie & l'entioufiafime de la liberté ont fuffi pour une levée de cent mille boucliers volontaires. Qu'étoit-il befoin de compulser le répertoire des antiquités romaines pour y chercher des ftimulans à l'efprit national? Nous n'en avons pas encore befoin, & puiflions-nous favoir nous en paffer pendant long-temps! Mais nos ennemis domeftiques qui veulent une guerre à leur façon, une guerre longue, ruineuse, incertaine dans fes iffues,veulent avoir en réferve des moyens tout prets pour diriger l'opinion publique dans leur fens. A la lecture de ce décret fur les honneurs militaires, quel eft le foldat français capable de fe contenir dans les bornes d'une guerre défenfive? Pourvu qu'on le mène à l'ennemi, n'importe à quel ennemi & par quel chemin, tous les plans de bataille lui font bons; il ne rêve que grand & petit triomphe. Les arcs triomphaux, les couFonnes de lauriers, les anneaux d'or & d'argent, le manteau aux trois couleurs, tout cela lui tourne la tête; il fe croit un Romain; & le nom de ce peuple, que les lumières de la philofophie avoient rangé à fa place

prend un nouveau luftre & en donne à tous les préju gés qui l'accompagnent. Dans fon ivreffe, il ceffera d'être le foldat de la patrie, pour devenir le compagnon fidèle du triomphateur dont il partage les honneurs ; & les premiers fuccès d'un la Fayette en Allemagne, lui feront oublier les maffacres de Nancy (1), de la Chapelle & du champ de Mars. La gloire des armes, l'éclat d'une victoire éclipfera tout autre mérité. Quoi qu'en dife M. de Vaublanc, au nom du comité, l'efprit militaire, le fanatifme guerrier recouvreront leurs forces. L'idolatrie pour un général porté en triomphe, aveuglera fur fes vices, & Tui donnera carte-blanche pour l'avenir. Les vertus paifibles, les devoirs domeftiques feront négligés, dédaignés, le ministère profitera de l'engoûment general: on ménagera les honneurs du triomphe aux principaux amis de la cour, aux plus fidèles ferviteurs du roi; la foule fe portera vers les chefs militaires de préférence; les repréfentans du peuple ne feront plus foutenus par lui avec le inême zèle; ils perdront fa confidération, & bientôt fa confiance; & tandis que le capitole retentira d'hymnes aux vainqueurs, le fénat vendu au prince profitera de l'agitation pour décréter des loix liberticides; la furveillance du public fufpendue, l'attention du peuple détournée, le corps législatif fe déshonorera par une condefcendance coupable envers la dynaftie régnante, habile à profiter de tout, & à fe préparer des triomphes plus obfcurs, mais que la nation paiera cher.

On ne trouve pas ces réflexions un peu févères dans le rapport de M. Vaublanc; mais ni lui ni fes collégues au comité d'inftruction publique n'ont pu être de bonne foi quand ils ont dit qu'il faut des fêtes nationales pour faire des Français un peuple nouveau: leur intention eûtelle été bonne, en propofant de donner un véhicule à l'efprit public, fi ce véhicule eft néceffaire, nous ne valons donc pas mieux que les Romains? Un peuple capable de décréter la déclaration des droits de l'homme, n'annonce cependant pas un peuple d'enfans, qu'on ne peut

(1) Au paffage de M. la Fayette à Nancy, beaucoup de femmes ont pris le deuil. Ce trait eft digne des Lacédémoniennes.

« PreviousContinue »