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dénoncés à l'affemblée nationale, les miniftériels & leur digne chef effayèrent de paffer à l'ordre du jour; mais meffieurs Dumolard, Bazire, Girardin, Lecointre, Lacroix, Chabot infiftèrent, & l'affemblée nationale ordonna que le fieur d'Hermigny feroit entendu à la barre. Voici le difcours qu'il y prononça: & Meffieurs, vous pardon» nerez à un militaire s'il ne fait pas les termes du bar»reau, de la juftice. Je prie meffieurs de m'accorder de » l'indulgence. Je dois raconter le fait tel qu'il s'eft paffé: » c'est là-deffus que je me bornerai. Ce fait eft que j'étois » hier dans cette falle, qui n'eft qu'une falle lorsque l'af» semblée n'eft pas tenante. Je ne crois pas que les mu» railles de la falle puiffent empêcher que l'on y cause » & que l'on y jase, comme l'on fait toujours quand » l'affemblée n'eft pas tenante: Le refpect n'eft dû qu'à » l'affemblée entière. Nous étions au poële & plufieurs » perfonnes caufoient enfemble: Je ne pouvois savoir s'ils » étoient députés ou non, puifque tout le monde étoit » entré dans la falle; car fi la féance eût été tenante, » moi-même j'aurois été dehors.

» La converfation s'échauffoit fur la politique, fur la » conftitution &c.; je fuis fort peu politique. J'ai entendu » qu'on parloit de la conftitution, de la loi, de l'an»cienne légiflature, enfin qu'on tenoit des propos qui n'a» voient pas lieu de me fatisfaire. Je me fuis échauffé peut» tre; car quand je parle de la conftitution ou de mon » métier je fuis peut-être un peu chaud. Je me fuis em

porté, & j'ai dit que fi je connoiffois quelqu'un qui vou» lût entamer la conftitution de ça, ( je montrai le bout » de mon doigt) je ferois fon premier dénonciateur & » fon premier bourreau.

» Là-deffus une perfonne qui étoit au poële, me dit : » monfieur, vous me menacez. Alors je lui dis : mon» fieur, je ne crois pas que cette menace foit pour vous; »je vous crois trop bon citoyen pour cela. Je menace ce» lui qui entameroit la conftitution; & fans doute ce n'eft » pas vous, qui avez prêté votre ferment; & alors nous » fommes frères : je lui tendis même la main. Là-dessus » il me dit monfieur, vous me menacez. Non, mon» feur, lui répliquai-je, & je répète encore ce que je » viens de dire. Si je le répete au milieu de vous, mef» fieurs, c'est que certainement telle eft mon intention; » & fi je croyois que la conftitution ne dût pas tenir, j'irois » m'enterrer tout-à-l'heure fous une pierre. Je prie MM, les

» députés, qui étoient témoins de ma converfation, de » vouloir bien parler, & dire ce qu'ils ont entendu, & » dire fi j'ai dit autre chofe que cela.

» M. Garran de Coulon eft venu alors dans le groupe, » & a dit: meffieurs, mais nous fommes ici dans l'af» femblée: vous ne devez pas faire du train ici. Je lui » ai dit monfieur, vous devez me connoître, je ne » fais pas de train ordinairement; mais nous avons caufé » vivement, & ceci eft un lieu qui femble commun, puif» que la féance n'eft pas ouverte.

» On a fonné la fonnette, nous nous fommes en allés » tous. Je crois, meffieurs, que voilà les faits; M. Gar» ran de Coulon eft là, je le prie de vouloir bien dire » s'il a entendu davantage. Je pafferai par-tout ce que l'on » dira, car ces meffieurs ne peuvent dire autre chofe que » la vérité; mais je vous fupplie de ne point mettre la » garde nationale là-dedans, car je ne fuis qu'un fimple » foldat de la garde nationale. Ce fait, qui m'eft particulier, » ne peut avoir de rapport avec elle.

Après ce difcours M. Lacroix a demandé que l'on entendit contradictoirement les témoins; mais sur la très-inconféquente propofition de M. Goupilleau lui-même, l'affemblée nationale a dit qu'elle étoit fatisfaite des explications données par le fieur d'Hermigny, & elle a paffé à l'ordre du jour.

Quelque légère que foit cette conduite de la part de l'affemblée nationale; quelque reproche qu'on puiffe lui faire d'avoir elle-même compromis la majefté du peuple, en laiffant le crime de d'Hermigny fans chatiment, notre intention n'eft pas de la blâmer: nous trouvons fon excufe dans l'enthoufiafine de la générofité. Mais ce qui nous afflige, c'eft le fait même, c'est la preuve qui résulte du difcours de l'accufé; ce font fur-tout les conféquences que l'on peut en tirer, & plus particulièrement l'efprit qui a dicté au foldat d'Hermigny cette offenfe à la nation qu'il fert, & dont il reçoit fon falaire (1). « Vous pardonnerez » dit-il, à un militaire, s'il ne fait pas les termes du bar» reau, de la juftice ». Cet officier de la garde nationale

(1) Le fieur d'Hermigny, aide-major général de la garde nationale parifienne, chevalier de S. Louis, de fordre de Cincinatus, & protégé de M. la Fayette, n'est pas dans la garde nationale volontaire : il eft un des officiers de la garde foldée.

avoue donc qu'il eft un militaire & non un citoyen; tandis que tous les Français, tous les militaires français n'ont fait la révolution que pour devenir citoyens.

Le refpect n'eft du qu'à l'affemblée entière. Et l'affemblée éntière a fouffert qu'on lui tint ce langage! Le respect eft dû à tout membre de la légiflatufe; combien de fois la garde nationale, le fieur d'Hermigny lui-même, ne couvrirent-ils pas de leur égide protectrice & Mirabeau & Foucault, & Maury & Cazalès? pourquoi donc changer fi fubitement de conduite & de langage? C'eft que la légiflature n'eft plus compofée que d'hommes,de légitimes repréfentans du fouverain, & non de prêtres & de nobles. Les d'Hermigny respectoient individuellement ceux-ci; les autres ne font refpectables que collectivement le marquis de la Fayette auroit puni fon fubalterne, s'il eût manqué auffi effentiellement à un membre de l'affemblée conftituante.

« J'ai entendu que quelqu'un parloit de l'ancienne Legifla ture, tenoit des propos qui n'avoient pas lieu de me fatif » faire. Je me fuis emporté, & j'ai dit que fi je connoiffois » quelqu'un qui voulût entamer la conftitution de ça (mon

trant le bout du doigt), je ferois fon premier dénonciateur » & fon premier bourreau ». Or, quels étoient ces propos qui n'avoient pas lieu de fatisfaire le militaire d'Hermigny? C'étoient les propos des patriotes; c'étoient des plaintes patriotiques fur les derniers temps de l'affemblée conftituante. Ces propos ne pouvoient être tenus que par de chauds amis de la liberté ; & voilà les hommes dont le fieur d'Hermigny voudroit être le premier bourreau! Ce militaire qui avoue ne pas favoir ce que c'eft qu'une conftitution veut affaffiner tous ceux qui entameront la conflitution il croit que c'eft par l'effet de la conftitution que la majefté appartient à fon roi, que le roi est tout et le peuple rien; celui qui aura dit le contraire, aura voulu entamer la conftitution; il tombera fous le fer de d'Hermigny; & voilà l'homme que la cour vient de récompenfer par un brevet de colonel dans la troupe de ligne! Malheur au régiment qu'on lui deftine; il fe trouve placé eutre le déshonneur & la rebellion. Le corps qui accepteroit un d'Hermigny pour chef, feroit à jamais digne de mépris.

«Si je croyois que la conftitution ne dût pas tenir, j'irois m'enterrer tout-à-l'heure fous une pierre ».

Sottife, & contradiction avec ce qu'il a dit précédem

ment. S'enterrer foi-même fous une pierre n'eft pas fervir de bourreau aux autres; & il a dit qu'il ferviroit de bourreau à tous ceux qui voudroient entamer la conftitution.

Ce n'eft pas que le defir éclairé de maintenir la conftitution foit un fentiment blâmable; mais il faut être un efclave pour fuppofer la majefté dans un feul, la nullité dans tous, & pour s'ériger en bourreau de ceux à qui la raifon ne montre de majefté que dans le peuple & dans l'Etre-Suprême.

Que nous fommes loin encore de l'efprit de liberté des anciens! Lorsqu'un étranger fe préfentoit aux affemblées du peuple, à Athènes, il étoit puni de mort, parce qu'il violoit la fouveraineté du peuple; & dans notre fénat, un militaire de fervice, qui a menacé le légiflateur de baïonnettes, trouve des défenfeurs parmi les représentans de la nation!

Français, & vous fur-tour, légitimes repréfentans de la nation, n'oubliez jamais la matinée du 8 octobre, fi vous ne voulez perdre quelque jour la liberté des opinions Vous aviez fait un beau décret fur le cérémonial du roi, l'intrigue royale vous l'a fait révoquer; mais la décifion définitive eft ajournée, & la cour effaye fes forces pour obtenir fur vous le même afcendant qu'elle avoit acheté fur le pouvoir conftituant. Le poifon de l'or n'a pas encore fait les ravages, les miniftres n'ont encore à leur difpofition que les Paftoret & autres, qui n'ont été choisis que parce qu'ils étoient déjà vendus: une phalange de patriotes exifte au fein de l'affemblée nationale: on ne lui a furpris un décret honteux que par le moyen de la calomnie & des fophifmes; on l'a trouvée inabordable jufqu'à ce jour, & l'on a voulu voir fi elle étoit accef fible à la crainte. Des efpions, des valets falariés, de vils agens de la royauté fe font permis d'infulter la majefté du peuple en la perfonne de fes repréfentans citoyens, fi vous le permettez, bientôt vous n'en aurez plus; bientôt votre affemblée nationale fera difperfée; bientôt le defpotisme ne connoîtra plus de barrières. Nous l'avons dit cent fois, mais nous ne faurions trop le répéter: la marche naturelle & néceflaire d'une cour eft de chercher à opprimer; pour y parvenir elle emploie les moyens qui fui font commandés par les circonftances; chaque jour elle en change, parce qu'elle les a tous à fa difpofition. Le premier qu'ait employé Louis XVI, c'eft de ftimuler le pen

chant à l'idolatrie, penchant naturel à un peuple affaiffé (70) fous le poids de 14 cents ans d'esclavage : les membres patriotes de la législature ont voulu déjouer cette intrigue, en difant au peuple ce qu'il étoit, ce qu'étoit l'idole de 14 cents ans; mais le faux dieu a rugi, if a employé fes fatellites, il a fait parler fes oracles trompeurs, & le peuple eft retombé dans fon ignorante & ftupide adoration: la fupercherie l'a encore emporté cette fois.

que

Les menaces de ces individus qui attendoient les patriotes à l'ouverture de la féance de famedi, feroient un moyen plus efficace,& qui nous feroit rétrograder bien plus vite, fi l'affemblée nationale, fi la nation elle-même n'y prêtoient la plus fcrupuleufe attention. Nous avons toujours dit qu'il falloit fe défier des corps conftitués & des perfonnes en place; mais cette défiance doit être calculée. L'ennemi le plus certain de la nation, c'eft le pouvoir' exécutif: le corps légiflatif peut devenir oppreffeur, mais ce n'eft jamais que par l'influence du pouvoir exécutif & pour fervir fes vues. Il eft & il fera toujours de fait dans les premiers mois de fon existence, le corps légiflatif fera pur & bien intentionné: s'il se corrompt, furveillez-le, méfiez vous de lui; mais ne vous en fiez pas davantage au pouvoir qui lui eft oppofé; car vous verrez fouvent la cour engager l'affemblée législative à porter des décifions évidemment contraires aux intérêts de la nation, afin d'avoir un heureux prétexte d'appofer le veto CONSTITUTIONNEL, pour faire fentir au peuple que mieux l'art de gouverner que fes repréfentans: il faut en la cour entend général qu'une nation libre foit perpétuellement en garde, même contre fon affemblée légiflative; mais il faut qu'elle hui accorde une confiance entière lorfqu'elle eft en oppofition avec le pouvoir exécutif: cette oppofition feule eft la preuve de la droiture de fes intentions.

On n'imagine pas que la garde nationale de Paris approuve la conduite du fieur d'Hermigny. Si elle ne l'approuve pas, elle doit l'improuver publiquement, & fi elle garde le filence, on n'auroit point à fe plaindre que Faflemblée nationale voulût tranfporter fa feffion dans un autre lieu: or, les 82 autres départemens verroient-ils ce déplacement d'un oeil tranquille? Ne feroit-ce pas là le fignal d'une guerre inteftine? Quel affreux préfage! Gardes nationaux de Paris! vous qui vous vantez d'avoir fait la révolution, ne trouverez-vous pas le moyen & le

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