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Il est bien vrai que la Fayette fut nommé par acayette clamation commandant général. Mais peut-on appeler cela le vœu du peuple & la confiance publique? Par où & comment le marquis de la Fayette avoit-il pu les mériter? Le peuple avoit quelquefois entendu parler d'un jeune homme de qualité, que des motifs fecrets précipitèrent chez les infurgens. Son bufte depuis quelques femaines repofoit prefque incognitò fur la cheminée de l'hôtel de ville. Il fallut que quelques voix s'élevaffent à propos, & prononçaffent devant la multitude le nom de la Fayette pour qu'on y pensât. Le bruit de fes exploits d'Amérique étoit trop foible pour lui gagner de la confiance en Europe. Il y a plus: c'eft que le peuple de Paris commit une injuftice, & fe rendit coupable d'ingratitude en donnant la préférence au marquis de la Fayette fur plufieurs des braves citoyens qui venoient de faire leurs preuves pendant les trois premiers jours de la révolution & à la prife de la bastille.

«J'atteins le terme des engagemens que je contractai »lorfque que je promis de tenir élevé l'étendart facré » de la révolution ».

M. la Fayette, deux mois après votre promeffe, c'està-dire, le 5 octobre, loin de tenir élevé cet étendart de la liberté, avouez que vous le traînâtes dans la boue, & qu'il y feroit refté, fi le peuple & les foldats ne vous euffent prié, comme on commande, de le porter à Versailles, à votre corps défendant.

« Aujourd'hui, meffieurs, la conftitution a été termi» née par ceux qui avoient droit de la faire; & après » avoir été jurée par tous les citoyens, par toutes les »fections de l'empire, elle vient d'être légalement adop»tée par le peuple tout entier, & folennellement re» connue par la première affemblée légiflative de fes » représentans, comine elle l'avoit été avec autant de » réflexion que de foyauté par le repréfentant hérédi»taire qu'elle a chargé de l'exécution des loix ».

Il y a bien des expreffions impropres & hafardées dans cette période de fi longue haleine; mais ces mots avec autant de réflexion que de loyauté.... nous ne po vons les paffer à M. Mottier. En feroit-il garant? en repondroit-il fur fa tête? Nous ne lui confeillons pas, tant qu'il ne fera point inftallé dans fon commandement des frontières.

La loyauté d'un roi, d'un Bourbon, de Louis XVI!...

Ex-général! vous pouviez en refter là de votre harangue, fût-elle écrite comme celles de Céter, cette feule ligne difcrédite tout le refte. On ne s'eft jamais permis une hyperbole, un contre-fens de cette force; retournez vite dans vos montagnes d'Auvergne; allez-y prendre des leçons de franchife: s'il en eft temps encore pour vous, dépouillez-y l'homme de cour, & apprenez à ne dire que ce que vous penter, ou à vous taire. «Ainfi, les jours de la révolution font place à ceux d'une organifation régulière, à ceux de la liberté, de la profperité qu'elle garantit ».

Du moins vous & vos collègues, vous nous aviez promis tout cela; & vous vous en allez avant d'avoir acquitté vos promeffes. La conftitution eft bien finie; mais les jours de la liberté ne font pas encore venus, puifqu'au moment même de votre départ, fous vos yeux, de malheureux foldats font jetés dans des cachots, pour avoir demandé des comptes à la municipalité ! Les jours de la prospérité ne font pas encore venus, puifque Paris recommence déjà à étaler le fafte à côté de la misère.

« Ainfi, lorfque tout concourt à la pacification des » troubles intérieurs, les menaces des ennemis de la patrie devront, à la vue du bonheur public, leur pa» roître à eux-mêmes d'autant plus infentées, que, que!»ques combinaisons qu'on parvint jamais à former contre les droits du peuple, il n'eft aucune ame libre qui pût concevoir la lâche penfée de tranfiger fur aucun de ces droits ».

Et pourquoi, M. la Fayette, ne vous avons-nous pas vu à la tribune combattre pour eux contre la révision perfide des décrets conftitutionnels? Pourquoi n'avez-vous pas lutté avec ce Dandré, ce Barnave.,.. & fait caufe commune avec Péthion, Robespierre.... Où étiez-vous, quand la majorité de l'affemblée nationale tranfigcoit làchement avec la lifte civile ?...

«Et que la liberté & l'égalité, une fois établies dans » les deux hémisphères, ne rétrograderont pas ».

Héros des deux mondes, fi la liberté & l'égalité font établies, ce n'eft pas encore en France: ce n'eft pas en ordonnant un uniforme aux citoyens foldats affez riches pour fe le procurer, qu'on pourroit fe flatter d'avoir établi Pégalité parmi nous,

« Vous fervir jufqu'à ce jour, meffieurs, fut le de yoir que m'impofèrent les fentimens qui ont animé

» ma vie entière, & le jufte retour de dévoûment qu'exigeoit votre confiance ».

Quel ftyle! Mais il ne s'agit pas ici de mots. Fous fervir! Eft-ce là le langage d'un général qui fait fes adieux à fes compagnons d'armes ? M. Mottier aura dit de même au roi & à Marie-Antoinette, en prenant congé d'eux: Servir vos majeftés fut mon devoir; à l'exemple de Rochambeau, qui figna fa lettre au roi, le foldat de votre majefié. M. la Fayette, vous commandiez la garde nationale pour le fervice de la patrie; votre devoir ne fut point de fervir le roi, ni la garde nationale, ni la municipa-. lité, mais de fervir la patrie, la république.

Remettre actuellement fans réserve à ma patrie tout » ce qu'elle m'avoit donné de force & d'influence pour » la défendre pendant les convulfions qui l'ont agitée, » voilà ce que je dois à mes résolutions connues, & ce qui fatisfait au feul genre d'ambition dont je fois pof» fédé ».

Voilà ce qu'on appelle de la modeftie à la la Fayette; & on en retrouve un échantillon dans chacun de fes difcours. Il est difficile d'afficher plus d'affurance avec moins de titres pour en avoir.

Mes réfolutions connues!

Oh oui! bien connues; mais il n'y a pas de quoi s'en applaudir. Vos réfolutions du 5 octobre 1789, du 28 novembre 1790, du 18 avril, du 21 mai, du 17 juillet 1791, font bien connues. Dès le 20 juillet 1789, on dut connoître toutes les réfolutions dont vous feriez fufceptible à l'avenir, quand on vous vit demander au roi la permiffion d'accepter le généralat de l'armée parifienne, quo:que nanti de l'agrément du peuple. Dès-lors les patriotes éclairés preffentirent quel feroit le feul genre d'ambition dont vous feriez poffédé, & vous avez tenu parole.

Après cette expofition de ma conduite & de mes motifs, je ferai, meffieurs, quelques réflexions fur la fituation nouvelle où nous place l'ordre conftitu» tionnel qui va commencer ».

Nous n'aurions jamais cru que ce que nous venons de tranfcrire du difcours de M. la Fayette contint l'expofition de fa conduite & de fes motifs; mais l'opinion publique, & les journaux qui en font les interprètes, y fuppléeront. Palons.

La liberté naiffoit entourée de figues de paix, lorfque

» fes ennemis, provoquant les défenfeurs du peuple, né» ceffitèrent la naiffance inattendue des gardes nationales, leur organisation spontanée, leur alliance univerfelle enfin ce développement de forces civiques, qui rap» peloit l'ufage des armes à fa véritable deftination, & » juftifioit cette vérité, qu'il m'eft doux de répéter au »jourd'hui : Que pour qu'une nation foit libre, il suffit » qu'elle le veuille ».

Un général bien imbu de patriotisme eût ajouté tout de fuite:

Mes amis il est encore une vérité qu'il m'est douloureux de produire, mais dont peut-être vous ne ferez que trop tôt l'application. Pour qu'une nation redevienne efclave, il fuffit qu'elle ceffe un moment de vouloir être libre.

Mais M. la Fayette, qui veut être bien avec tout le monde, n'eut garde d'ajouter ce correctif; tout au contraire, il pourfuit en ces termes :

«Mais il eft temps de donner d'autres exemples, & » ceux-là feront encore plus impofans; ce font ceux d'une » force irréfiftible qui ne s'exerce que pour le maintien » de la loi ».

M. la Fayette aura de la peine à nous perfuader que le 14 de juillet, & le jour que le roi fut amené à la maifon commune, à travers 300 mille piques, & cette autre journée encore de la rentrée de Louis XVI au château des Tuileries, de retour de Montmédi, donnèrent des exemples moins impofans que le jour où le roi fe tranfporta à l'affemblée nationale pour y figner la confti

tution.

« J'aime à rappeler ici, meffieurs, comment, au mi» lieu de tant de complots hoftiles, d'intrigues ambi»tieufes, d'égaremens licencieux, vous avez opposé à » toutes les combinaisons perverfes une infatigable fer» meté; aux fureurs des partis, aux féductions de tout » genre, le pur amour de la patrie ».

Sans doute que l'ex-général, le , par pur amour de la patrie, n'a pas en vue l'expédition du 17 juillet 1791 au champ de la fédération.

«Comment enfin, au milieu des orages de 27 mois » de révolution, vous n'avez calculé les dangers que pour » multiplier votre vigilance, & leur importance qu'an» tant qu'ils pouvoient compromettre ou fervir la li

» berté ».

On n'adreffe pas le plus petit mot de félicitation aux citoyens des claffes indigentes, qui, bien loin de profiter du défordre univerfel, inféparable des premiers jours d'une révolution, donnèrent leur temps & leurs bras au maintien de la chofe publique. Le refte de la révolution n'offrit que des rofes en comparaifon de ces premières journées: il n'y avoit point alors d'habits bleus; & aujourd'hui qu'il y en a, tous les complimens font pour

ceux-ci.

«Sans doute nous avons eu trop de défordres à dé»plorer; & vous favez quelle impreffion douloureuse & » profonde ils ont toujours fait fur moi: fans doute, » nous-mêmes avons eu des erreurs à réparer ».

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Des erreurs ! Fautes n'eût pas même été allez fort. Après tout, un difcours de complimens ne doit pas reffembler à un examen de confcience.

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Mais quel eft celui qui, en fe rappelant non-feule»ment les grandes époques de la révolution où la chofe » publique vous doit tant, mais encore ce dévoûment » de tous les inftans, ces facrifices fans bornes d'une por » tion de citoyens pour la liberté, le falut, la propriété, » & le repos de tous, en réfléchiffant fur-tout à cet » état provifoire qui ne fait que ceffer pour vous, & où » la confiance devoit fans ceffe fuppléer à la loi; quel » est, dis-je, parmi ceux mêmes qui vous provoquoient » & que vous protégiez, celui qui oferoit blâmer les » hommages que vous doit un ami fincère, un général » jufte & reconnoissant » ?

C'eft nous qui oferons blâmer ces hommages rendus par l'ex-général à fon armée. Le héros des deux mondes qui, dans l'un & l'autre hémisphère a, dit-on, fondé la liberté, & allumé le feu facré du patriotifme antique'; paroît ici en méconnoître la nature. L'ex-général ignore-t-il donc que des citoyens libres, qui défendent leurs foyers, protégent l'ordre, rétabliffent le calme & affurent l'empire augufte de la loi, en faisant tout cela n'éprouvent aucun effort? Ils ne croient avoir rempli que leurs de voirs; ils n'attendent point d'éloges; c'eft les injurier que de les louer d'avoir fait ce qu'ils devoient faire. Ceux d'entre eux qui ont des principes, feront infenfibles aux hommages de leur ex-général, parce qu'il ne leur en doit aucun; & c'est ainsi que penfe & agit la faine partie de la garde nationale parifienne; & fans doute qu'on ne

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