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Monfieur, il y a 12 ans que je fuis venu pour la première fois de Londres à Paris, & j'avois bien juré de ne pas y remettre les pieds; l'air parifien ne me paroiffoit pas extrêmement falubre pour une tête bretonne. Votre bastisle, yos mouchards, vos efpions, votre police, votre gouvernement enfin convenoit peu à mon caractère; li je ne fais pas ce que je veux, je prétends au moins dire ce que je penfe, & fi j'euffe dit alors ce que je penfois, le coufin de Georges III auroit pu me gratifier d'une épître à fa façon; je retournai bien vite dans mon île.

Ne voila-t il pas qu'au bout de dix ans j'entends parler de révolution, de liberté françaife, d'affemblée nationale de jurés, de liberté de la preffe? Bah! me dis-je à moi même, c'est un rêve, il n'eft pas poffible... Cependant je lis des feuilles patriotiques, votre journal des Révolutions de Paris me tombe fous la main, & mon étonnement accroît: il a bien fallu que je croie à l'abolition des cenfeurs royaux ainfi qu'à la difparition de la baftille: pour lors je rétracte mon vou, & je m'embarque pour la France.

Depuis Calais jufqu'à Paris, je n'ai rencontré que des habits bleus; je vous jure que tous ces gaillards-là ont bonne mine; ceux des campagnes fur-tout m'ont étonné: j'en ai interrogé quelques-uns, ils favent ce qu'ils font, & vos provinciaux ont plus de caractère qu'on ne penfe. Enfin j'arrive à Paris, & je ne m'y reconnois plus; vous auriez de la peine à vous faire l'idée de la fenfation qu'éprouve un étranger en entrant chez vous. Le lendemain matin je me lève à 7 heures pour aller voir le lieu où fe tiennent les féances de votre parlement national: je ne fais fi j'ai tort ou raison, mais l'air mefquin des environs de cette falle m'a déplu: je me rappelai avec un certain déplaifir d'avoir effayé de l'équitation à la française dans le même lieu où les repréfentans d'une nation autrefois belliqueufe ont déclaré la paix au genre humain. Amateur des arts, je voulus aller diffiper cette profonde mélancolie par la vue des chef-d'œuvres qui font au jardin des Tuileries: je connois à point nommé la place de toutes vos belles ftatues, auffi belles que l'antique dont elles ne font que des copies. Je me préfente à la porte, une voix me crie: On ne paffe pas; j'infifte, la fentinelle me menace de fa

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baïonnette, & moi de rebrouffer chemin ; je n'aime pas ce genre de liberté. De retour au logis, je conte mon aventure, & l'on me dit que depuis que le roi étoit à Paris les Tuileries ne s'ouvroient au peuple qu'à l'heure de midi; je demande pourquoi, & mes hotes me difent qu'ils n'en favent rien. Je ne vous cache pas que cette idée m'étonne & m'indigne, il ne m'eft pas poffible de la mettre dans ma tête à côté de l'idée de la liberté.

Vous qui, par état, devez favoir le mal comme le bien, répondez, je vous prie, à mon pourquoi. Le jardin des Tuileries eft le plus beau jardin de l'Europe, ce jardin n'a jamais appartenu à vos rois, l'ufage en a toujours été réfervé à la nation: la nation n'y a pas renoncé. Je parie même que Louis XVI efl pour rien dans cette infulte au peuple de France. Jamais il n'a fait fermer le parc de VerfailJes; pourquoi eût il fermé les portes du jardin public de Paris cependant la fentinelle qui m'a arrêté avoit une configne par qui lui avoit-elle été donnée? Voilà des faits que je vous prie d'éclaircir. La jouiffance d'une prosmenade telle que les Tuileries vaut bien la peine que l'on faffe quelques démarches pour y être maintenu. Avez-vous un décret? Je ne dis mot. N'en avez vous pas ? Je me plains. En venant chez vous je veux bien me foumettre & je me foumets à tout ce qui a été dit par vos légitimes repréfentans; mais je maintiens que ni le roi ni fes miniftres, ni fes, agens, ni fes valets n'ont pas le droit de me défendre ce que la loi ne défend pas. Permettez à un Anglais, connoiffeur en liberté, de porter ici fon jugement. Les Français feront libres s'ils le veulent; mais ils ne le deviendront jamais, s'ils fouffrent qu'une main arbitraire quelconque les prive du plus imperceptible de leurs droits & le droit de fe promener à toute heure dans les Tuileries & à Versailles n'a jamais été contesté aux Français, pas même fous le règne de Louis XIV. Que Louis XVI défende l'entrée de fa maifon, à la bonne heure: elle eft pour fur feul & fes valets; mais le jardin des Tuileries.... La nation ne lui en a pas cédé la jouiffance exclufive. JOHN TAYLOR.

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Réponse. M. l'Anglais eft preffant, & nous voudrions avoir quelque chofe de fatisfaifaifant à lui répondre.. Le chateau des Tuileries & fon jardin font au roi, tout auffi Bien que Verfailles & fon parc. Il les a demandés, & la sation Française eft trop généreuse pour marchander avec

fon roi. D'ailleurs, nous comptions bien que Louis XVI n'uferoit pas à la rigueur d'un droit de proprié é que nous lui concédons de fi bonne grace.

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Les champs élyfées entrent auffi dans fon je e royal, & il pouvoit les murer pour en interdire la publici Il s'en tient à fes Tuileries, dont il prétend gouis exclufte vement jufqu'à midi. Que faire à cela? Charbonier eft maître chez lui, Louis XVI aime à fe, promene. feul de matin, fans être diftrait par la rencontre importune des patriotes. Il en agiroit peut-être autrement, s'il étoit certain de ne trouver fur fon paffage que des ariftocrates; il fe Loit en pays de connoiffance, & auroit à qui parler. Pabons lui cette petite malveillance; & puiffe-t-il ne nous pas jouer de plus vilains tours!

D'ailleurs, d'après les principes de liberté que M. John Taylor profeffe dans fa lettre, il nous femble qu'il ne feroit plus tant jaloux de fes promenades du matin aux Tuileries, s'il s'y voyoit exposé à détourner fes pas pour faire place à un roi.

Coup-d'ail patriotique fur le fallon de peinture, fculpture, &c.

Quoique le règne de la liberté foit celui du génie, les temps de révolutions ne font pas favorables aux arts. Les talens d'imitation doivent fleurir dans une monarchie; mais chez un peuple jaloux de fes droits, le don de la pensée & celui de la parole font prefque exclufifs, & font dédaigner tout le refte.

Ces obfervations peuvent-elles s'appliquer à notre po fition politique actuelle? Nous avons eu un moment la velléité d'être libres. Les artiftes, dont l'imagination eft plus ardente que celle des autres citoyens, ont déferté leurs ateliers pour offrir leurs bras à la république; la première crife paffée, ils ont repris la palette & le cifeau, mais par petits intervalles & fans quitter leurs armes.

Les mufes aiment le repos; il leur faut de doux loifirs. Il leur faut auffi de l'aifance; elles font amies du luxe qui les fait vivre; point de Mécènes, point d'artiftes. Cela eft fi vrai, que déjà M. de Vilette réclame la protection de la reine. Car M. de Vilette, ainfi que tous les gens riches, aime affez la liberté, mais il aime en-> core plus une belle ftatue, ou un tableau bien peint. On lui a répondu que des artistes citoyens ne doivent atten

dre & recevoir d'encouragement que de la patrie. Le ci-devant marquis perfifte à ne voir que la cour capable de faire éclore de grands talens. Si cela eft, renonçons aux arts, plutôt que de rifquer notre liberté pour eux. Redevenons plutôt barbares qu'efclaves. Mais raffuronsnous par l'exemple des Grecs.

Louis XIV fit les beaux jours des artistes. Son fiècle va de pair avec celui d'Alexandre & de Médicis. Mais l'éclat de fon règne coûta cher; nous en payons encore les frais. Si Louis XVI avoit les goûts de fon bifaïeul il pourroit les fatisfaire, fans avoir à fe reprocher la ruine de l'état. Quarante millions annuels de gage lui en donnent la faculté mais que les artiftes n'y faffent pas trop de fond. Fât-elle triple, la lifte civile n'aurajamais de fuperflu pour eux. Dans les affemblées du peuple athénien, le roi Philippe n'avoit qu'un feul Démosthène à payer......

L'académie royale de peinture, fculpture, &c. qui doit éprouver très-inceffamment, fi ce n'eft une diffolution, du moins une réforme, fidèle aux ftatuts qui lui furent donnés par un defpote, eut de la peine à fe prêter aux réclamations de la commune des arts, espèce d'acadéinie révolutionnaire, qui doit fon exiftence & fes fuccès fur tout, au célèbre peintre des Horaces, de Brutus & de Socrate. M. Renou, fecrétaire, bel-efprit des peintres du roi, défendit tant qu'il put la barrière qui interdifoit aux artistes non-académiciens l'expofition libre de leurs ouvrages. Il fallut un décret pour rendre la liberté aux arts & à ceux qui les cultivent.

Beaucoup fe font empreffès de profiter du bénéfice de la loi nouvelle, mais fans trop confulter leurs forces. It en eft réfulté beaucoup de toiles peintes & bien encadrées, mais peu de tableaux. Le public en eft dédommagé par la vue des anciens qui avoient le plus réuffi aux fallons précédens, & qui fe trouvent réunis dans la galerie du Louvre. Les peintres gagés par le roi furent un peu confolés par cet arrangement, qui tourna à leur avantage plus qu'ils ne l'efpéroient. Nous préfumons que l'expofition prochaine fera d'un choix plus éclairé.

Excepté quelques projets en relief de monumens civiques, excepté quelques efquiffes d'allégories fort compliquées, un étranger fe douteroit à peine de l'influence de Ja révolution fur l'efprit des artiftes. Le fuperbe deffin du ferment au jeu de paume, par David, eft le feul objet

capable de prouver que le patriotifie & l'amour de la liberté échauffent le génie, mieux encore que l'envie de plaire à un defpote qui paie bien.

Il y a des marines qui annoncent que Vernet ne tardera pas à être remplacé. Les payfages, pour la plupart, font très-eftimables. Ce genre touchant doit néceffairement gagner à la révolution. Nos campagnes, devenues plus fortunées, offriront d'aimables fujets aux pinceaux qui s'y confacrent.

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Les portraits abondent comme par le paffé; mais il y en a peu qui puiffent foutenir la comparaifon avec celui d'une dame affife, & dont on eft redevable encore à M. David. Les portraits de l'abbé Maury & de M. la Fayette s'y trouvent non loin de Robespierre. La curiofite fait courir au premier; les phyfionomistes ont de la peine à démêler les traits du fecond, & les bons patriotes applaudiffent de tout leur cœur à l'infcription laconique mife au bas du député d'Artois :

L'incorruptible.

La fculpture n'offre prefque que des buftes. Mirabeau & Louis XVI font placés tout à côté l'un de l'autre. Eft-ce un effet du hafard? eft-ce avec intention? Quoiqu'il en soit, ce rapprochement donne lieu à un contrafte qui ne tourne pas au profit de la royauté héréditaire. Quel dommage que la naiffance, qui, dans notre conftitution, donne fe fceptre, n'accorde pas en même temps tout ce qu'il faut pour le porter!

L'image de J. J. Rouffeau est répétée fous plufieurs formes; aucune d'elles ne nous retrace le grand caractère du philofophe. Dans la galerie, on applaudit à l'intention d'un petit modèle en plâtre, repréfentant le fage de Genève affis, foulant aux pieds la ftatue emblématique des préjugés, & du doigt appelant les regards fur la nature debour à fes côtés. Dans la cour on voit encore un monument confacré à l'auteur du contrat social. L'artiste a fait ́ prudemment de mettre ce livre avec fon titre dans les mains de la figure; fans cette précaution, elle eût été méconnoiffable; on l'eût prife pour un efclave; elle en a l'atti tude baffe, l'air craintif; la phyfionomie paroît flétrie. Ce n'eft pas ainfi qu'il falloit tranfmettre à la postérité les " traits de l'homme de génie qui rendit au genre humain fes droits à la liberté, perdus depuis tant de fiècles.

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