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refter pour défendre leurs propriétés. Le motif allégué par le roi eft donc faux; le roi en impofe, & c'eft pour dif culper les émigrans qu'il avance cette impofture ). « Le roi » lui-même n'a-t-il pas eu fes chagrins »? (Voilà le mot de ralliment : j'ai eu mes chagrins, vous avez les vôtres ; attendez que nous nous confolions enfemble). « Et lorf» qu'il les oublie pour ne s'occuper que du bonheur » commun ». (S'il les oublie, ce n'eft que par l'espoir fondé fur les émigrations: voilà ce dont il s'occupe, & non du bonheur de fes concitoyens, qu'il a toujours méconnu ).« N'a-t-il pas droit d'attendre qu'on fuive fon » exemple »? (Quel exemple? Qu'a-t-il fait depuis qu'il a oublie fes chagrins? Et quel eft l'homme qui pourra nous donner le fens précis de cette phrafe? Les patriotes croient y trouver quelque chofe dans leur fens; les aristocrates y lifent l'approbation de leur maître). « Comment l'empire » des loix s'établiroit-il, fi tous les citoyens ne fe réu»niffent pas auprès du chef de l'état? Comment un or

dre ftable & permanent peut-il s'établir & le calme re» naître, fi, par un rapprochement fincère, chacun në » contribue pas à faire ceffer l'inquiétude générale »? (... Par un rapprochement fincère; c'eft bien dit: mais quel fera le garant de la fincérité des fugitifs? quel eft le garant de la fincérité de Louis XVI)?« Comment enfin » l'intérêt commun prendra-t-il la place des intérêts par»ticuliers, fi, au lieu d'étouffer l'efprit de parti, chacun » tient à fa propre opinion, & préfère de s'exiler à cé

der à l'opinion commune »? (En effet, cela n'est pas poffible; mais cette question eft oifeufe dans une procla mation contre les émigrations. Ce n'eft pas du mal réfultant de ces défertions que doit s'occuper le roi, c'eft du moyen de les prévenir; & c'est ce qu'il ne fait pas). « Quel fentiment vertueux, quel intérêt bien entendu peut donc motiver ces émigrations? L'efprit de parti » qui a caufé tous nos malheurs, n'eft propre qu'à les » prolonger. Français qui avez abandonné votre patrie, » revenez dans fon fein ». (Roi qui avez voulu l'abandonner comme eux, rappelez-les fincèrement, & prouvezqxe Vous êtes de bonne foi). «C'eft là qu'eft le pofte d'honneur, parce qu'il n'y a de véritable honneur qu'à fervir fon pays & à défendre les loix ». ( Ah! dites plutôt que, felon vous, le vrai pofte d'honneur eft à Coblentz ou à Worms; c'est à qu'on feit fon roi). « Venez leur donner l'appui que

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tous les bons citoyens leur doivent; elles vous rendront » à leur tour ce calme & ce bonheur que vous cher » cheriez en vain fur une terre étrangère ». (Quel appui les émigrans peuvent-ils prêter aux loix? c'en est un d'une autre espèce que vous attendez d'eux).

«Revenez donc, & que le cœur du roi ceffe d'être » déchiré entre fes fentimens, qui font les mêmes pour tous ». Le roi eft impartial ). « Et les devoirs de la "royauté qui l'attachent principalement à ceux qui fuivent » la loi ». (Si les devoirs de la royauté l'attachent principalement à ceux qui fuivent la foi, fes fentimens ne font pas les mêmes pour tous; & fi fes fentimens font les mêmes pour tous, il n'eft pas plus attaché à ceux qui fuivent la foi, qu'à ceux qui ne la fuivent pas). « Tous doivent le feconder lorfqu'il travaille pour le bonheur du peuple ». (Le bonheur du peuple eft indépendant de lui; & jufqu'à ce jour qu'a-t-il fait pour le bonheur du peuple? Rien). « Le roi demande cette réunion pour » foutenir fes efforts, pour être fa confolation la plus ≫ chère ». (Quels efforts? Pourquoi ces efforts? Encore du machiavelifme). « Il la demande pour le honheur de » tous ». (Le bon prince)! « Penfez aux chagrins qu'une » conduite oppofée prépareroit à votre roi; mettez quel» que prix à les lui épargner, ils feroient pour lui les plus » pénibles de tous ». (A VOTRE ROI! ce mot dit tout. Si Louis XVI fe regardoit comme le roi des Français, le roi de la conftitution, il cefferoit de fe regarder comme le roi des transfuges & des ennemis de la conftitution. Or, il fe dit encore, & il fe dit très-particulièrement le roi de ces derniers, votre roi: il n'eft donc pas le roi des patriotes & des amis de la liberté il ne peut être Fun & l'autre à la fois).

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On voit de cette proclamation que le roi n'a pas dit ce qu'il vouloit die, & qu'il a dit ce qu'il ne vouloit pas dire. Ce ftyle gêné, ces expreflions vagues, tout annonce un quiproque réflechi depuis le commencement jufqu'à la fin. Óh! qu'il s'exprimo t avec plus de liberté dans fa proclamation du 21 jain! Le confeil l'a cependant crue propre à opérer un grand effet fur l'efprit du peuple; & le miniftre Leffart en a envoyé 25 exemplaires à chaque département, avec ordre de la faire réimprimer & diftribuer par-tout & avec profion. On ne met pas tant de célérité à publier les hennes loix. L'affectation que l'on à mise à la diftribution de

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ce pamphlet royal, fait faire une réflexion à ceux qui se connoiffent en miniftres. Une proclamation n'eft point un moyen coercitif; la proclamation dont il s'agit eft pour le moins infignifiante; ce n'eft donc qu'une précaution' prife par le roi pour dire aux Français: « Vous voyez bien » que je ne vous trompe pas, que je fuis de bonne foi, » que je n'aime pas plus les émigrations que vous ». Or cette précaution eft fufpecte, on ne va point au devant des inculpations quand on n'a rien à fe reprocher. Voic ce que le fieur Leffart dit de la proclamation: « L'im»portance de fon objet doit affez exciter votre zèle, & » vous porter auffi à répondre aux fentimens d'amour pour » le peuple, & d'intérêt pour la chofe publique, que sa

MAJESTÉ a fi bien exprimés dans cette proclamation, » qu'elle a voulu rédiger elle-même ». On convient que les émigrations font dans ce moment un objet très-important; la proclamation de Louis XVI auroit la même importance pour peu qu'elle fût propre à les empêcher; mais cette pièce n'étant qu'un leurre pour endormir la nation & la tenir dans une fauffe fécurité fur les difpofitions du roi, le miniftre de l'intérieur trompe les départemens en leur donnant cet objet comme de la plus haute importance. La maffe des citoyens ne veut pas voir qu'aujourd'hui toutes les démarches de la cour ne tendent qu'à inspirer de l'amour pour le roi & de la confiance en fa perfonne. Le miniftre dit avec emphase, dans fa lettre, que l'original de la proclamation eft de la main du roi, qu'elle eft rédigée par lui: mais qu'importe cette circonftance à des hommes qui veulent être libres? Si le roi eft l'auteur de la proclamation, le roi fait écrire d'un ftyle diffimulé; mais ce style ne laiffe pas appercevoir, ainfi que le prétend M. Leffart, un grand amour pour le peuple, ni le défir ardent de voir ceffer les émigrations.

La lettre que Louis XVI a écrite en même temps aux officiers généraux & aux commandans des troupes de ligne, eft conçue de la même manière, & n'eft pas plus propre à nous raffurer fur le fond de fes intentions. Mon acceptation, dit-il, détermine de la manière la plus précife & la plus claire la règle de vos devoirs & les motifs de votre fidélité. Toujours la même amphibologie par-tout. Quels font ces devoirs? quel est l'objet de cette fidélité? Mon acceptation détermine.... Louis XVI fait donc que ces officiers, à qui il sémoigne tant d'attachemeut, ne fe déterminent que

d'après la conduite de leur roi: or la majeure partie a émigré; elle ne l'a donc pas fait fans la participation du roi, ou Louis XVI auroit avancé un faux en difant que <eft fa conduite qui détermine celle des officiers de fon armée. La loi & le roi déformais confondus... Pas tout-à fait encore; & Louis XVI ne doit raisonnablement attendre cette confufion que du temps ou du fuccès des armes ennemies. Il a pu être un temps où les officiers, par attachement à ma perfonne, ont cru devoir hefter, &c. Encore le même efprit que ci-deffus : c'eft comme fi Louis XVI difoit faites toujours comme moi, lorfque j'accepterai des loix, paroiffez patriotes; lorfque je protefterai contre les loix, protestez avec moi. Ceux-là feuls me font fincère ment attachés, qui fuivent les mêmes voies que moi. Voilà fes propres paroles; qu'on le juge fur fon dire.

Dites donc à tous ceux qui font fous vos ordres, officiers foldats, que le bonheur de leur pays depend de leur union, de leur confiance réciproque, &c. Y a-t-il là un feul mot de patriotisme, une feule plainte au fujet des émigrations? Non, non, le bonheur de la France ne dépend pas de l'union des officiers & des foldats: il dépend du patriotisme & de l'énergie de ces derniers; il dépend de la manière dont on remplacera les officiers défertés: & voilà précisément ce dont Louis XVI ne fe met point en peine. Les défordres paffes & les circonftances où nous fommes donnent à ces vertus du guerrier, pendant la paix, une valeur fans prix ; c'est

elles que feront dues les diftinétions, les récompenfes & tous les témoignages de la confiance publique. Encore Louis XVI tranchant du defpote! il promet des diftinctions & des récompenfes, comme fi c'étoit à lui à les accorder ; & il les promet, pour quoi? Pour prix de la foumiffion à fa volonté, pour prix d'une obéiffance aveugle à des ordres énigmatiques, & dont il eft impoffible d'entendre le fens, à moins que l'on ne foit initié.

Sa lettre aux commandans des ports n'eft ni plus fimple, ni plus intelligible que la proclamation & la lettre aux officiers des troupes de ligne. Aujourd'hui que la majeure & la plus faine partie de la nation veut le retour de l'ordre & de la foumiffion à la loi, feroit-il poffible que de généreux & fidèles marins fongeaflent à fe féparer de leur roi ? Pour qui cette lettre eft-elle écrite ? Eit-ce pour les marins qui émi grent, eft-ce pour les marins qui reftent fidèles à la nation? Quelle eft celle de ces deux claffes qui fonge à fe fe

parer de fon roi? Louis XVI a l'air de jouer quelque fcène de ces comédies dont l'équivoque fait à la fois le but & l'intrigue. Dites bien à ces braves gens,que j'eftime & que j'aime, que l'honneur & la patrie les appellent. Où ? à Coblentz? Affurez-les que leur retour, que je défire par deffus tout, & auquel je reconnoîtrai tous les bons Français, tous mes bons amis, leur rendra pour jamais toute ma bienveillance. Mais Condé & d'Artois, mais Lambefc & d'Autichamp parlent auffi de revenir; leur retour en France eft auffi ce qu'ils défirent par-deffus tout; l'honneur les appelle auffi dans le royaume voilà comme ils s'expriment tous les jours; leur langage n'eft pas équivoque à Coblentz ; celui de Louis XVI, qui eft le même, devroit-il être moins intelligible à Paris ? C'est ainsi que fe font illuftres vos pères & que vous vous étes diftingués vous-mêmes: voilà les exemples que vous devez laiffer à vos enfans, & les souvenirs ineffaçables qui conftitueTont votre véritable gloire. Et l'on dira encore que Louis XVI étoit de bonne foi, quand il a accepté la conftitution; qu'il croit à la fuppreffion de la nobleffe héréditaire; qu'il ne flatte pas les officiers & les émigrans de la rétablir? Encore un coup, lisez & jugez: C'est votre roi qui vous demande de refter inviolablement attachés à des devoirs que vous avez toujours fi bien remplis. Or les officiers n'ont jamais rempli de devoirs que celui de premiers & très-fidèles fujets de leur maître, & nul ne les remplit mieux, ces devoirs, que les preux chevaliers d'outre Rhin. Je ne croirai ja mais qu'aucun de vous puiffe oublier qu'il eft Français, c'està-dire, oublier fon roi, ne pas le fervir, ne pas l'aimer par deffus tout. On fait, tous les écrivains ont dit que la nation française s'étoit toujours diftinguée par fon amour pour fes rois; mais perfonne ne l'aime autant que les émigrans; & dans ce fens monarchique & royal, ils n'ont pas publié qu'ils font Français.

Et les ministériels, & les écrivains faméliques, & tous les faux amis de l'ordre & de la paix chantent & publient la fincérité du roi, invitent à la paix, déguifent les dangers de la guerre, la donnent comme impotable, garantiflent la neutralité de toutes les puiflances étrangères, tandis qu'il eft de fait que par-tout elles font des armemens confidérables. Le conquérant & l'oppreffeur des Belges, en même temps qu'il a donné ordre de refpecter le pavillon national de France, fait defcendre un corps de 30 mille hommes vers la France. L'ambitieuse defpote du Nord fait paffer des

hommes

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