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aussi son rôle dans les choses humaines. Nous savons ce que les hommes ont voulu; mais savons-nous les desseins de Dieu?

No 3. Caractère politique de la Révolution.

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Le mouvement religieux de la Révolution a tant d'importance à nos yeux, que nous croyons devoir y consacrer une étude à part (1). Nous nous bornerons pour le moment aux idées politiques. Ici encore les hommes de peu de foi se lamentent. C'est la France qui, dans son héroïque élan, a conquis la liberté et l'égalité; puis, se laissant aller à son génie qui la porte vers l'égalité et vers l'unité, elle a oublié insensiblement la magnifique Déclaration des droits de l'homme par laquelle elle avait débuté, et elle a fini par se livrer à un soldat heureux. De nouvelles insurrections. ont conduit à de nouvelles chutes, et en définitive la nation qui a porté le drapeau de la liberté dans l'Europe entière gémit sous un despotisme légal, tout en se proclamant souveraine. Quelle gigantesque déception! En présence de ce spectacle affligeant, les hommes du passé se sont écriés que la liberté était une chimère; l'égalité une chimère, et qu'il n'y avait de salut pour l'humanité que dans un retour complet au catholicisme, à l'Église et à la royauté absolue, sa digne alliée. De là l'ère de réaction, dans laquelle nous sommes encore engagés. Il n'y a pas d'époques plus tristes dans la vie de l'humanité; c'est le règne des bas instincts de l'homme, de la peur, de la lâcheté, de l'intérêt, de la matière, de la boue. Les hommes n'osent pas même se montrer tels qu'ils sont; ils couvrent leurs misérables passions de beaux noms de là une monstrueuse hypocrisie, cette lèpre de notre état social. Ceux-là mêmes qui restent fidèles à leurs convictions et à leurs croyances se couvrent de sacs et de cendres; ils portent le deuil d'une liberté qui leur a échappé comme un beau rêve, aussi souvent qu'ils ont cru la tenir. Hommes de peu de foi, vous ignorez que c'est par la souffrance et la douleur que s'accomplit le progrès! Il a fallu des martyrs pendant des siècles pour fonder le christianisme. Les chrétiens sont morts pour une religion de l'autre monde; à nous il appartient de vivre pour notre foi politique, en

(1) Voyez le tome XIV de mes Études.

portant haut et ferme le drapeau de la Révolution, en maintenant nos principes avec une fidélité inébranlable. S'ils sont vrais, ils l'emporteront sur toutes les réactions. Ce que nous devons faire, dans ces temps de halte ou de recul, c'est de scruter nos croyances, c'est de les dégager des erreurs qui s'y sont cachées, c'est de répandre la vérité quand nous croyons l'avoir trouvée. Aidonsnous, le ciel nous aidera.

Liberté! égalité! Mots magiques. Mais que signifient-ils? Ne serait-ce point parce que les hommes de la Révolution ont voulu une fausse liberté et une égalité chimérique, qu'ils ont échoué? Ils attendaient une ère nouvelle, et je ne sais quel âge d'or. Mais qu'entendaient-ils par cette nouvelle ère, et quel est le progrès qu'ils voulaient accomplir? Ils croyaient que l'humanité allait être régénérée par les dogmes politiques qu'ils proclamaient. Mais n'attachaient-ils pas à ces principes des idées empruntées à un état social qui n'est plus et ne peut plus être le nôtre? Ils étaient idolâtres de la liberté; mais n'était-ce pas la liberté, telle que la comprenaient les Grecs et les Romains, c'est à dire l'exercice de la souveraineté, le pouvoir? et la liberté ainsi entendue ne s'alliet-elle pas trop souvent avec l'arbitraire et le despotisme? La Révolution voulait l'égalité; mais il y a une fausse égalité, comme il y a une fausse liberté; et n'est-ce pas cette fausse égalité qui a égaré les hommes de 93? L'égalité, telle que Platon la rêvait, telle que Lycurgue doit l'avoir réalisée, tue l'individualité, et là où il n'y a plus de forces individuelles, peut-il être question de liberté?

Nous ne faisons que poser des problèmes; nous allons essayer d'y répondre. C'est, à notre avis, le point capital de la Révolution. Les historiens se sont trop attachés aux faits, au drame, et ils ont perdu de vue les idées. Or la Révolution est avant tout une révolution dans les idées. C'est la pensée qui gouverne le monde. Les idées de 89 et de 93 sont-elles vraies? Alors l'avenir leur appartient; en douter, serait nier Dieu et la providence. Que si les idées sont fausses, il faut redresser l'erreur. Si la liberté de la Révolution est une fausse liberté, si l'égalité est une égalité imaginaire, nous saurons pourquoi la Révolution n'a point réussi. L'empire du monde ne peut pas appartenir à l'erreur.

Hâtons-nous d'ajouter que tout n'est pas erreur dans les doc

trines de la Révolution. La vérité s'y est fait jour, mais elle a été obscurcie, altérée par des influences de race et de civilisation. On nierait vainement cette influence: n'est-ce pas la race qui est l'essence des nationalités? Et les mille et un éléments qui constituent la nationalité ne sont-ils pas pour les peuples ce que les dispositions innées sont pour les individus? Elles déterminent l'avenir des uns et des autres. Ce n'est pas à dire qu'elles détruisent la liberté, mais il est certain qu'elles la diminuent. Par cela seul que la liberté subsiste, il est faux que tout soit fatal dans la vie humaine. L'élément de fatalité ou de race perd au contraire de sa puissance, à mesure que l'homme s'élève dans l'échelle des êtres. Socrate avait ses mauvais instincts, comme tous les hommes; mais Socrate les dompta, et il devint un type, un idéal. Il en est de même des nations. Leur passé pèse sur elles, elles en subissent l'influence. Longtemps cette action s'exerce, sans qu'elles s'en rendent compte. Du jour où elles en ont conscience, l'empire de la fatalité est ruiné; car dès lors elles peuvent et elles doivent le combattre, leur avenir dépend de leurs efforts.

Nous aboutissons à une vérité consolante pour les peuples comme pour les individus notre destinée est dans nos mains, c'est nous qui la faisons. Si, comme le dit le vieux poète de l'humanité, nous sommes nous-mêmes les artisans de nos malheurs, nous pouvons aussi, et nous devons travailler à notre bonheur. Mais en quoi consiste cette félicité? C'est un point essentiel. Si nous plaçons le bonheur dans un autre monde, dans une existence contemplative, comme le fait le christianisme traditionnel, nous serons conduits nécessairement à délaisser, déjà dans ce monde-ci, la vie réelle pour une vie de contemplation; nous serons du moins tentés de négliger les intérêts civils et politiques pour nous préoccuper exclusivement de notre salut. Que nous importent alors la liberté, l'égalité? La liberté intérieure nous suffira, et l'égalité nous l'attendrons dans un ciel imaginaire. Le bonheur ainsi considéré est un obstacle presque invincible au perfectionnement politique et social, et il est plus funeste encore, si nous cherchons à le réaliser dans les conditions matérielles de cette vie et de ce monde. Si par bonheur on entend la jouissance, quelle qu'elle soit, on aboutit à une fausse conception de la vie; une expérience séculaire aurait dû nous apprendre depuis longtemps

que ce bonheur est une chimère. Il y a une autre notion du bonheur, c'est de le placer dans le développement de nos facultés intellectuelles et morales. Chaque être est créé pour une certaine mission. Dieu a marqué notre destinée, en nous douant de raison et de sentiment; ce sont deux ordres de facultés que nous sommes appelés à développer, à perfectionner. En cela consiste notre bonheur.

Comment l'homme remplira-t-il sa mission? Ce qui distingue les êtres doués de raison, c'est une variété infinie de dispositions; chaque individu est un petit monde qui diffère de tous ceux qui se meuvent avec lui dans le même espace. L'individualité étant le caractère distinctif de l'homme, il faut que chaque individu agisse, se développe d'après ses lois propres ; c'est dire qu'il doit jouir d'une entière indépendance, d'une liberté illimitée, en tant qu'il ne sort point de sa sphère pour envahir et troubler la sphère d'une autre individualité, dont le droit à un libre développement est le même. Tel est le fondement du droit que nous avons à la liberté ; il n'y a point de droit plus sacré, on l'appelle à juste titre naturel; c'est la nature qui nous le donne, puisque la liberté est inséparable de notre développement, c'est à dire identique avec notre existence.

Cette liberté, la Révolution l'a entrevue: qui oserait le nier? Ce fut sa première inspiration. On s'est étonné du long travail que l'Assemblée constituante consacra à la Déclaration des droits de l'homme; on lui a reproché de s'être perdue dans de vaines abstractions. Il nous sera facile de prouver que ces prétendues abstractions sont les vrais principes de la vie civile et politique. C'est dans la voie ouverte en 89 que nous devons continuer à marcher, en écartant les erreurs qui sont venues se mêler à la vérité, et surtout en combattant les influences de race et de tradition qui ont empêché la France de profiter d'une révolution où elle a sacrifié le plus pur de son sang. Après cela il faut nous armer de patience. L'éducation des peuples ne se fait pas en vingt-quatre heures. Ce que nous déplorons comme une décadence, comme un recul, est peut-être, dans les desseins de Dieu, un instrument de notre perfectionnement. C'est en voyant à l'œuvre la fausse liberté qui consiste dans la souveraineté apparente du peuple, que nous nous convaincrons qu'elle est une amère déception.

CHAPITRE II

LES DROITS DE L'HOMME

§ 1. La déclaration des droits de 1789.

I

L'Assemblée constituante ouvrit ses travaux par une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle fut placée en tête de la Constitution de 1791, et reproduite, avec quelques modifications, dans les Constitutions qui suivirent. C'est l'acte le plus important des législateurs de 89. L'organisation politique qu'ils fondèrent ne dura pas un an, tandis que la Déclaration des droits se trouve encore, bien que sous d'autres formes, dans nos Constitutions modernes. Nous commencerons par transcrire les dispositions qui touchent au débat sur la liberté, que nous venons de soulever.

<< Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs... En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen:

« Article 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux

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