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nistration, les prêtres non assermentés continuaient leurs fonctions dans le plus grand nombre des paroisses. Dans le Finistère, le nouvel évêque avait été obligé d'autoriser les réfractaires à faire le service divin. Sa conscience lui en avait fait un devoir, car la population fuyait les églises où elle croyait rencontrer des prêtres constitutionnels. A Paris même, une partie des fidèles, confirmée dans ses premières répulsions et ne sachant où trouver un lieu ouvert à ses croyances et à ses pratiques religieuses, se plaignait hautement. On remarquait avec peine, et c'étaient les constitutionnels eux-mêmes qui faisaient ces remarques (voyez le Moniteur, no CXLVIII), que l'intolérance révolutionnaire ne s'exerçait qu'à l'occasion des catholiques réfractaires. Les protestants venaient de louer, à la ville, l'église de Saint-Louis du Louvre ; ils avaient placé sur la porte l'inscription prescrite par la municipalité dont il a été parlé précédemment, et on les laissait parfaitement libres et tranquilles. Il n'en était pas ainsi, comme nous l'avons vu, des catholiques. Le peuple persistait à voir dans le catholicisme la religion et l'unité de l'État. De sa part, comme de celle d'une partie des hommes politiques, la colère contre le clergé opposant n'était pas affaire d'incrédulité : on lit, dans les Révolutions de Paris, que plus de vingt mille ouvriers avaient souscrit, dans cette époque même, pour faire dire une messe à Mirabeau, et que, dans la crainte qu'un rassemblement aussi considérable n'eût l'air d'une émeute, ils se bornèrent à envoyer une députation de six cents d'entre eux pour assister au service qui fut célébré en effet à Saint-Eustache. On voit encore dans le même journal que la masse des ouvriers se coalisait pour honorer dignement par leur nombre, leurs costumes et leur piété, les Fêtes-Dieu qui devaient avoir lieu dans le mois suivant. Mais ces dispositions n'empêchaient pas l'Église, qui se croyait uniquement fidèle, de se plaindre de l'oppression étrange qui dans un régime de liberté pesait sur elle. De là un trouble considérable dans une partie de la population. Les constitutionnels et les véritables révolutionnaires, autant par libéralité de sentiments que par calculs politiques, étaient loin d'approuver cette intolérance. D'un autre côté, les odieuses violences du mois précédent avaient ouvert les yeux à beaucoup de gens. Il en fut commis encore quelques-unes de semblables dans les communes des environs de Paris. Voici dans quel style le journal de Prudhomme raconte un de ces faits; il est bien différent du langage léger qu'il employait un mois auparavant. « L'un de ces jours, à Montreuil, des sœurs de charité, coupables, il est vrai, de propos inconstitutionnels contre les prêtres assermentés de l'endroit, ont été aussi rudement qu'indécemment châtiées par

des hommes. Qu'on n'impute pas ces nouveaux excès aux patriotes! Il a été constaté depuis que les auteurs lâches et féroces de ces violences n'appartiennent pas au lieu de la scène; ce sont des carriers des environs, bien payés, pour commettre ce délit, par des aristocrates qui font ressource de tout pour calomnier la révolution. >> (Révolutions de Paris, n° XCVII.)

Beaucoup d'hommes, même parmi ceux qui paraissaient les plus dévoués à la constitution civile du clergé, hésitaient dans cette grave question, autant en vue des dangers présents qu'en vue de l'avenir. Ainsi M. de Talleyrand, l'évêque d'Autun, qui avait donné à l'ordre nouveau la meilleure des garanties, puisqu'il avait sacré les premiers évêques constitutionnels, et par ceux-là, tous les autres en quelque sorte; M. de Talleyrand, disons-nous, avait, presque immédiatement après cet acte d'autorité épicopale, adressé au pape la démission de son évêché. (Mém. ecclés. cit., t. III, p. 171.) Il se préparait ainsi une ressource pour l'avenir et commençait, en cette circonstance, ce jeu double qu'il poursuivit pendant toute la durée de sa carrière politique. Cette démarche, mal interprétée ou mal' racontée à dessein, fit dire, dans le public, que le pape avait destitué l'évêque d'Autun, qu'il l'avait excommunié. L'abbé Gobel, le nouvel évêque de Paris, lui-même, écrivit secrètement à Pie VI, et lui demanda des conseils qu'au reste il ne suivit point. (Mém. ecclés. cit., t. III, p. 172.)

Les circonstances que nous venons d'énumérer expliquent les discours constitutionnels de la séance que l'on va lire. On voulait revenir, autant que possible, sur les décisions précédentes et les annuler par un expédient. Ce fut un arrêté du département, que nous avons cité précédemment, qu'on prit pour prétexte.

Le directoire avait soumis, le 18 avril, à l'assemblée nationale son' arrêté du 11, relatif au culte. On l'avait accusé aussitôt d'avoir outre-passé les limites de sa compétence en statuant sur des matières constitutionnelles, et l'arrêté avait été renvoyé au comité de constitution.

SÉANCE DU 7 MAI. —M. Talleyrand, évêque d'Autun, fait un rap- ‹ port sur l'arrêté du directoire de Paris. Il cherche à établir que l'Église constitutionnelle. n'est pas schismatique; il discute les droits que donne aux différents ecclésiastiques la liberté des opinions religieuses, et propose: 4o de décréter que le défaut de prestation du serment ne peut empêcher aucun ecclésiastique d'être admis à célébrer la messe dans les paroisses; 2o que les édifices consacrés

à un culte religieux ne soient fermés que dans le cas où on y parlerait contre la constitution du royaume et celle du clergé.

M. l'abbé Sieyes. Ce n'est pas aux éternelles vérités qui vous ont été proposées par M. le rapporteur, dans un style brillant et ferme, que je viens opposer des doutes. Je me renferme dans le point de forme, dans la question de compétence, en quoi, malgré la tournure ingénieuse et flatteuse que M. le rapporteur a employée pour trouver le directoire du département digne en même temps de louange et de blâme, je ne puis être tout à fait de l'avis du comité. Et cependant je suis très-disposé à passer condamnation sur tout ce qui n'est pas le fond de la question, si c'est un moyen d'affaiblir la résistance et de faire remporter plus sûrement la victoire aux bons principes. Je me borne donc à soumettre quelques raisonnements. Peut-être estil toujours bon de répandre quelque lumière même sur un sujet qu'on est tout prêt à abandonner. Si l'on veut avoir une juste idée de la conduite du directoire, on se souviendra d'abord, et c'est ici une vérité historique, que le moment où il a donné son arrêté n'a point été de son choix. Il n'a point eu à se déterminer librement entre différentes époques. La mesure qu'il a prise le 11 d'avril, il était tenu de la prendre ou d'y en substituer une autre. Un commode retard n'était pas en sa puissance. Ainsi, qu'on ne vienne pas dire que le temps n'était pas mûr, qu'on n'a pas pris le moment le plus favorable. Forcé d'agir, qu'a dû faire l'administration? a-t-elle pu s'appuyer d'une loi, se fortifier d'un principe, ou bien aurait-elle dû s'avancer au hasard, puiser les conseils les plus illégitimes dans l'horrible histoire de l'intolérance? Le fait est qu'au commencement d'avril, une multitude d'assemblées religieuses non paroissiales, non conformistes, se sont formées dans Paris, et s'établissaient soit dans des maisons particulières, soit dans des édifices appartenant au public. Le fait est que ces réunions religieuses étaient menacées d'une manière scandaleuse par des attroupements malintentionnés et malfaisants, attroupements qu'on s'accoutumera sans doute à ne plus appeler du nom de peuple. (On applaudit dans la majorité de la partie gauche.)

Voilà donc des citoyens troublés dans leur réunion : cette réunion a un objet religieux; mais existe-t-il une loi qui défende les assemblées qui ont un objet religieux, lorsque d'ailleurs ces assemblées sont paisibles et sans armes? Nous ne connaissons point cette loi. L'assemblée nationale a dit à tons: Vous ne serez point inquiétés dans vos opinions religieuses; vous n'êtes soumis qu'à la loi; dans toutes celles de vos actions qui ne sont pas défendues par la loi, vous êtes libres. Elle a dit à tous : Votre liberté vous est garantie; comptez

qu'elle sera efficacement protégée, s'il le faut, par tous les moyens de la force publique. Lorsque les citoyens viennent réclamer cette protection que vous leur avez promise, que faut-il leur répondre? Dirons-nous que les opinions sont libres, mais seulement dans l'esprit, mais seulement dans la manifestation orale, seulement quand on est seul, ou qu'on n'est que peu de personnes? Dirons-nous que les signes, les actions extérieures, isolées ou combinées, que ces opinions commandent, ne sont point renfermées dans la liberté des opinions? Mais qu'aurait donc fait de plus l'assemblée nationale, que ce qui existait sous l'ancien régime? Est-ce que l'opinion ainsi limitée dans les petites coteries de société n'était pas libre avant l'année 89? Ce seul raisonnement répondrait à nos adversaires, si l'on voulait en tirer tout le parti qu'il présente, et en faire l'application à leurs prétendues difficultés. (On applaudit.) Mais ce n'est pas celui que je veux employer aujourd'hui. Je dis qu'à des citoyens qui viennent réclamer protection dans l'exercice d'une liberté quelconque, l'administration ne peut faire que l'une ou l'autre de ces deux réponses Vous n'avez pas la liberté dont vous réclamez la jouissance; ou bien : L'action et la force publique vont à votre secours. Je sais que les événements ne se présentent pas toujours dans ce degré de simplicité, et qu'ainsi, par exemple, si l'exercice de telle liberté est, soit par les circonstances, soit par elle-même, susceptible d'enfanter des chances de troubles, l'administration devra dire: Il est juste que vous ne soyez point attaqués dans vos droits; mais pour mieux gouverner les moyens de protection qui vous mettront à l'abri de vos ennemis, pour que je puisse aussi vous surveiller autant que l'exige la tranquillité publique, pour que je puisse prévenir ou réprimer promptement une liberté dont l'exercice peut amener des dangers, soumettez-vous aux règles de police que l'ordre public exige que je vous impose. Cette dernière réponse est celle qui a été faite par le directoire du département; c'est le tableau fidèle de sa conduite. Je dis que, pour que l'administration de Paris vous parût coupable, il faudrait qu'elle eût pu faire l'autre réponse, c'est-à-dire qu'elle eût pu dire à des citoyens qui réclament la protection publique pour l'exercice de leur liberté : La liberté que vous vous attribuez ne vous appartient pas; elle est contraire à la loi.

Où est la loi qui défend les réunions paisibles et sans armes, quand elles ont pour objet l'exercice particulier d'un culte quelconque? Certes, si nous nous étions permis de la supposer, c'est bien alors qu'on aurait eu raison de nous dénoncer à l'assemblée nationale, de nous traiter de despotes qui veulent mettre leur odieuse intolérance à la place des lois; c'est alors qu'on aurait eu

TOME V.

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raison de nous accuser d'incompétence, et de nous appeler des usurpateurs du pouvoir législatif.

La liberté religieuse, dit-on, est une conséquence trop éloignée du principe, pour qu'il n'y ait pas eu, de la part du directoire, un peu de législation à l'avoir tirée. Quoi! est-ce que la prohibition religieuse vous aurait paru plus facile, plus innocente à déduire? est-ce que, dans le principe reconnu et proclamé par vous, il se trouverait telle vertu cachée qu'il fût permis d'en tirer une loi d'intolérance? Est-ce que l'intolérance appartiendrait de plus près au principe, de sorte que dans l'alternative forcée où je suppose le directoire, de tirer du principe ou la liberté ou l'intolérance, on lui eût plus facilement pardonné d'y avoir trouvé la seconde conséquence que la première? A ce prix, nous n'aurions donc pas été accusés d'avoir usurpé le pouvoir législatif! Quelle pensée!

Ce n'est pas le directoire qui avait besoin de liberté religieuse. Les administrateurs ne demandent en cette qualité d'autre faculté que celle de remplir les fonctions qui leur sont confiées. C'est pour les citoyens que vous avez reconnu le principe; c'est aux citoyens à jouir de toutes les libertés, hors des fonctions politiques : ce sont eux qui ont tiré cette conséquence, que nos adversaires regardent comme si éloignée, et qui, dans le vrai, n'est autre chose que le principe lui-même. Daignez remarquer que par cette dernière observation, la question vient enfin d'être mise à sa véritable place. Laissons le directoire, qui n'a eu ni à consacrer des principes, ni à tirer des conséquences, ni à franchir des intervalles grands ou petits. Établissons la discussion où elle doit être entre l'assemblée nationale, qui reconnait la liberté religieuse, et les citoyens qui, en conséquence, se mettent en jouissance de cette liberté. Vous me pardonnerez les répétitions, si elles deviennent nécessaires. Y a-t-il une loi qui défende aux citoyens de se mettre en possession d'une liberté que le législateur leur a reconnue? Pouvez-vous dire qu'en promulguant, de la manière la plus solennelle, le grand principe de la liberté religieuse, votre intention véritable était qu'on devait s'en priver jusqu'à nouvel ordre? Croyez-vous que la jouissance d'une liberté reconnue et proclamée est un acte réservé au pouvoir législatif, qu'aucun particulier ne doit se permettre, sans devenir coupable d'usurpation de la souveraineté? Entre le principe de telle liberté et sa réalisation individuelle, y a-t-il d'autre intermédiaire à placer que la volonté de l'individu? On détache les conséquences du principe. Est-ce qu'une liberté peut être en principes sans être en conséquences? Et de quoi jouiront les citoyens, quand vous leur dites qu'ils sont libres, si ce n'est des conséquences de cette liberté,

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