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améliorations dans les terrains; les manufactures manqueront et d'ouvriers, et de consommateurs, et d'hommes pour les exploiter...

Établissons la loi romaine par tout le royaume, avec les exceptions qu'exigent les circonstances et les convenances locales. Ne balançons pas de confier aux propriétaires la loi des exceptions. La faculté de tester, laissée par la loi romaine aux pères de famille, est la conséquence nécessaire de la puissance paternelle, que sans doute vous ne voulez pas détruire. C'est par cette faculté qu'ils régissent leur famille, et qu'ils en obtiennent du respect: ceci tient essentiellement au système de l'éducation, et c'est par l'éducation, dit Jean-Jacques Rousseau, que les Athéniens firent de si grandes choses. Chaque maison était une école, et un père était plus craint dans sa famille que le magistrat. Si quelqu'un doutait de l'heureuse influence de l'éducation, qu'il vienne dans ces heureuses contrées des provinces méridionales où le père de famille ne meurt jamais : celui qui lui succède le remplace dans ses affections comme dans ses droits. Il est sans exemple dans ces contrées que la maison du fils aîné ne soit pas la maison commune de toute la famille; et s'il en était un seul qui s'y refusât, il serait repoussé avec horreur. Comparez ces mœurs avec celles du pays que nous habitons les tribunaux y retentissent de scandaleux débats entre les pères et les enfants; ces derniers ne conservent ni respect ni égards pour des parents dont la morale leur déplaît, et dont la longue vie les importune. L'orgueil d'une folle indépendance a détruit en eux les plus doux sentiments de la nature. Législateurs d'une nation corrompue !... (Un cri d'indignation se fait entendre dans la partie gauche de la salle et dans toutes les tribunes. - Plusieurs voix des tribunes: A bas! à bas!) On a blasphémé la puissance paternelle; et cependant, où trouvera-t-on des moyens plus sûrs pour régénérer les mœurs?

QUESTION DE LA PEINE DE MORT (voir page 572).

Discours de Prugnon (30 mai). La peine de mort sera-t-elle conservée ou abolie? Si on la conserve, à quels crimes sera-t-elle réservée. Je passe avec respect devant un autre problème qui précède ces deux-là; il est de savoir si l'homme a pu transmettre à la société le droit, qu'il n'a pas lui-même, de disposer de sa propre vie.

Dans le nombre des hommes qui gouvernent l'opinion, Montesquieu, Rousseau, Mably et Filangieri maintiennent qu'il l'a pu ; Beccaria le nie, et chacun sait quel est depuis vingt-cinq ans l'ascendant de son esprit sur les autres esprits. Cette question a des profondeurs que l'œil peut à peine mesurer ; je m'arrête donc sur les bords, et je suppose que la société ne puisse priver de la vie un de ses membres sous peine d'être injuste; cette supposition adoptée, voici mon raisonnement : garantissez-moi que la société pourra dormir paisible sans cette injustice-là. C'est un point si considérable, et tout y tient tellement, qu'il faut d'abord s'y attacher. Une des premières attentions du législateur doit être de prévenir les crimes, et il est garant envers la société de tous ceux qu'il n'a pas empêchés lorsqu'il le pouvait; il doit donc avoir deux buts : l'un, d'exprimer toute l'horreur qu'inspirent de grands crimes, l'autre, d'effrayer par de grands exemples: oui, c'est l'exemple, et non l'homme puni, qu'il faut voir dans le supplice.

L'âme est agréablement émue; elle est, si je puis le dire, rafraîchie à la vue d'une association d'hommes qui ne connaît ni supplices ni échafauds... Je conçois que c'est bien la plus délicieuse de toutes les méditations; mais où se cache la société de laquelle on bannit impunément les bourreaux Le crime habite la terre, et la grande erreur des écrivains modernes est de prêter leurs calculs et leur logique aux assassins; ils n'ont pas vu que ces hommes étaient une exception aux lois de la nature, que tout leur être moral était éteint: tel est le sophisme généra

teur des livres. Oui, l'appareil du supplice, même vu dans le lointain, effraye les criminels et les arrête; l'échafaud est plus près d'eux que l'éternité : ils sont hors des proportions ordinaires; sans cela assassineraient-ils? Il faut donc s'armer contre le premier jugement du cœur, et se défier des préjugés de la vertu.

10 Il est une classe du peuple chez qui l'horreur pour le crime se mesure en grande partie sur l'effroi qu'inspire le supplice; son imagination a besoin d'être ébranlée; il faut quelque chose qui retentisse autour de son âme, qui la remue profondément, pour que l'idée du supplice soit inséparable de celle d'un crime, singulièrement dans ces grandes cités où la misère soumet tant d'individus à une destinée malheureuse.

Cette quantité n'est point à négliger dans le calcul du législateur. Avant de briser un ressort tel que celui de la terreur des peines, il faut bien savoir que mettre à sa place, et se souvenir du précepte, hâtez-vous lentement, dès là surtout que la mesure du danger est inconnue;

20 Vous avez effacé l'infamie qui faisait partie de la peine; le criminel, s'il est père, ne léguera plus l'opprobre à ses enfants. Or, si vous supprimiez à la fois et la mort et la honte, quel frein vous resterait-il ?

Personne ne combine comme un scélérat froid; il se dirait alors: J'ai deux chances: la première est la fuite (et l'homme conserve toujours l'espérance d'échapper); la seconde est la soustraction à la mort, si j'ai la maladresse de me laisser prendre... Telle serait sa petite géométrie; et à quel degré ne menacerait-elle pas la société entière!

Que prétend-on au reste substituer à la peine de mort? Un supplice lent, un supplice de tous les jours? L'idée n'est pas neuve. Mais quelques années sont à peine écoulées que le sentiment d'horreur qu'inspire le crime s'affaiblit; on ne voit plus que la peine et son éternelle action; le criminel finit par intéresser, et alors on est bien près d'accuser la loi; tout cela ne varie que par des plus ou des moins plus difficiles à exprimer qu'à saisir : or, est-ce une bonne législation que celle qui fait infailliblement passer la pitié de l'assassiné à l'assassin ?

La société doit garantir, protéger, défendre; le pourra-t-elle réellement avec cela? Observez que la nécessité a presque dicté les mêmes lois par toute la terre, et c'est une terrible autorité que celle du genre humain. A côté d'elle se place un raisonnement qui n'en est pas indigne : qui vous répondra qu'aucun de ces criminels que vous condamnerez à un perpétuel esclavage ne brisera ses fers et ne viendra effrayer la société par des crimes nouveaux? Que deux seulement échappent dans une année, et voilà cent autres scélérats qui se livreront au crime dans l'espoir d'échapper comme eux

Je suppose (et l'hypothèse est dure) qu'ils subissent leur douze ou leurs vingtquatre années; combien ne se corrompront pas entre eux des hommes qui seront en communauté de vices pendant vingt-quatre ans ! Que feront-ils en sortant de là! Si à la longue l'haleine de l'homme est mortelle à l'homme plus encore au moral qu'au physique, qu'aurez-vous à espérer d'eux? Mettez pendant vingt-quatre ans, pendant dix, et même beaucoup moins, un honnête homme en société avec des assassins: s'il ne se corrompt pas, l'expérience des siècles aura tort.

Sans être exagérateur ni fataliste, on peut dire qu'il est des hommes dont la probité n'est qu'une impuissance; il en est qui ne s'échappent de Brest ou de Toulon que pour se faire conduire à la mort : c'est ce qui explique l'endurcissement des vieux criminalistes. Si vous forcez vos juges à respecter la vie de ces êtres qui regardent les supplices comme leur mort naturelle, que deviendra la sûreté publique? Il faudra donc rendre à chaque citoyen l'exercice de sa force individuelle.

Observez qu'aujourd'hui la justice criminelle est généreuse, qu'elle est même magnanime; la procédure n'est plus un duel entre elle et l'accusé; elle associe le public à ses décrets, et l'on a épuisé tout pour que la tête d'un innocent ne puisse

plus tomber. Si à l'établissement des jurés vous joignez l'abolition de la peine de mort; si vous ôtez à l'homme, c'est-à-dire à un être qui abuse de tout, le plus grand des freins, craignez que dans vingt ans la France ne soit plus qu'une forêt.

Je le demande une seconde fois, quelle peine substitue-t-on à celle de la mort? La perte de l'honneur et celle de la liberté pendant un temps donné. 1o La perte de l'honneur; mais c'est le crime qui a tué l'honneur du coupable, et non la peine que vous lui infligez : il a le courage de la honte; voilà trop souvent ce qui lui reste. 20 La perte de la liberté; mais jusqu'à ce moment la conversion de la peine de mort en prison perpétuelle avait été considérée comme une grâce; le comité propose donc de donner ou à peu près des lettres de grâce aux assassins. Voilà où la manie des systèmes conduit des hommes qui ont la plus grande honnêteté et la meilleure tête.

Là où l'honneur se tait, il ne reste plus qu'à faire parler la terreur; et l'ennemi le plus terrible de la société est celui qui la livre à la merci des scélérats. Dans chaque grande époque une nation est dominée par une idée principale qui la maîtrise et l'entraîne: aujourd'hui règne la vieille chimère de la perfection ; on se crée un monde sinon imaginaire, au moins très-difficilement possible, et c'est dans cette espèce de région que les faiseurs résident; ayons le bon esprit de les y laisser, et d'habiter, avec la sagesse, le monde réel.

La triste nécessité de la peine de mort ainsi établie, je me porte sur la seconde question y aura-t-il des peines au delà de la simple mort?

La peine doit être mesurée et sur le degré du crime et sur l'utilité de l'exemple. Le premier art d'un gouvernement est de savoir récompenser et punir. C'est donc sur l'espoir de prévenir de nouveaux crimes qu'il faut calculer les peines, sans jamais oublier que moins elles sont atroces, moins les crimes sont fréquents, et que quelquefois une loi plus rigoureuse les produit. La mort la plus douce est donc aussi le supplice le plus cruel que le législateur puisse et doive infliger; enfin la dernière et plus consolante conséquence, c'est que le dictionnaire des supplices à mort peut être réduit à une seule ligne, et le code réconcilié avec l'humanité.

Je suis encore à concevoir comment les criminalistes qui ont fait une échelle de peines atroces n'ont pas senti vaciller leur plume en la traçant!

Si la mort d'un grand criminel est un acte d'humanité envers la société, un supplice recherché est un inutile et dangereux attentat de la part du législateur. Je dis inutile, et l'histoire l'atteste : chaque fois qu'elle parle des supplices recherchés elle a à raconter de grands crimes.

Je dis dangereux, parce que ces supplices inspirent pour les coupables un intérêt qui est presque inséparable d'une sorte d'indignation et d'horreur contre les juges, parce qu'en inspirant cette pitié dangereuse, ils familiarisent la multitude avec le spectacle des cruautés et le bruit des douleurs, et entretiennent une sorte de férocité plus propre à multiplier les crimes qu'à les prévenir.

Discours de Robespierre (30 mai).· -La nouvelle ayant été portée à Athènes que des citoyens avaient été condamnés à mort dans la ville d'Argos, on courut dans les temples, et on conjura les dieux de détourner des Athéniens des pensées si cruelles et si funestes. Je viens prier non les dieux, mais les législateurs, qui doivent être les organes et les interprètes des lois éternelles que la Divinité a dictées aux hommes, d'effacer du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur constitution nouvelle. Je veux leur prouver: 10 Que la peine de mort est essentiellement injuste; 2° qu'elle n'est pas la plus réprimante des peines, et qu'elle multiplie les crimes beaucoup plus qu'elle ne les prévient.

Hors de la société civile, qu'un ennemi acharné vienne attaquer mes jours, ou que, repoussé vingt fois, il revienne encore ravager le champ que mes mains ont 54

TOME V.

cultivé puisque je ne puis opposer que mes forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse ou que je le tue ; et la loi de la défense naturelle me justifie et m'approuve. Mais dans la société, quand la force de tous est armée contre un seul, quel principe de justice peut l'autoriser à lui donner la mort? Quelle nécessité peut l'en absoudre? Un vainqueur qui fait mourir ses ennemis captifs est appelé barbare! Un homme fait qui égorge un enfant qu'il peut désarmer et punir paraît un monstre! Un accusé que la société condamne n'est tout au plus pour elle qu'un ennemi vaincu et impuissant; il est devant elle plus faible qu'un enfant devant un homme fait.

Ainsi, aux yeux de la vérité et de la justice, ces scènes de mort, qu'elle ordonne avec tant d'appareil, ne sont autre chose que de lâches assassinats, que des crimes solennels, commis, non par des individus, mais par des nations entières, avec des formes légales. Quelque cruelles, quelque extravagantes que soient ces lois, ne vous en étonnez plus: elles sont l'ouvrage de quelques tyrans; elles sont les chaînes dont ils accablent l'espèce humaine; elles sont les armes avec lesquelles ils la subjuguent; elles furent écrites avec du sang. « Il n'est point permis de mettre à mort un citoyen romain » : telle était la loi que le peuple avait portée; mais Sylla vainquit, et dit : « Tous ceux qui ont porté les armes contre moi sont dignes de mort. » Octave et les compagnons de ses forfaits confirmèrent cette loi. Sous Tibère, avoir loué Brutus fut un crime digne de mort. Caligula condamna à mort ceux qui étaient assez sacriléges pour se déshabiller devant l'image de l'empereur. Quand la tyrannie eut inventé les crimes de lèse-majesté, qui étaient ou des actions indifférentes ou des actions héroïques, qui eût osé penser qu'elles pouvaient mériter une peine plus douce que la mort, à moins de se rendre coupable lui-même de lèse-majesté ?

Quand le fanatisme, né de l'union monstrueuse de l'ignorance et du despotisme, inventa à son tour les crimes de lèse-majesté divine; quand il conçut, dans son délire, le projet de venger Dieu lui-même, ne fallut-il pas qu'il lui offrît aussi du sang, et qu'il le mît au moins au niveau des monstres qui se disaient ses images? « La peine de mort est nécessaire, disent les partisans de l'antique et barbare routine; sans elle il n'est point de frein assez puissant pour le crime. » Qui vous l'a dit? Avez-vous calculé tous les ressorts par lesquels les lois pénales peuvent agir sur la sensibilité humaine? Hélas! avant la mort, combien de douleurs physiques et morales l'homme ne peut-il pas endurer?

Le désir de vivre cède à l'orgueil, la plus impérieuse de toutes les passions qui maîtrisent le cœur de l'homme. La plus terrible de toutes les peines pour l'homme social, c'est l'opprobre, c'est l'accablant témoignage de l'exécration publique. Quand le législateur peut frapper les citoyens par tant d'endroits sensibles et de tant de manières, comment pourrait-il se croire réduit à employer la peine de

mort?

Les peines ne sont pas faites pour tourmenter les coupables, mais pour prévenir le crime par la crainte de les encourir. Le législateur qui préfère la mort et les peines atroces aux moyens plus doux qui sont en son pouvoir, outrage la délicatesse publique, émousse le sentiment moral chez le peuple qu'il gouverne; semblable à un précepteur malhabile qui, par le fréquent usage des châtiments cruels, abrutit et dégrade l'âme de son élève; enfin, il use et affaiblit les ressorts du gouvernement, en voulant les tendre avec trop de force.

Le législateur qui établit cette peine renonce à ce principe salutaire, que le moyen le plus efficace de réprimer les crimes est d'adapter les peines au caractère des différentes passions qui les produisent, et de les punir, pour ainsi dire, par elles-mêmes. Il confond toutes les idées, il trouble tous les rapports, et contrarie ouvertement le but des lois pénales.

La peine de mort est nécessaire, dites-vous. Si cela est, pourquoi plusieurs peuples ont-ils su s'en passer? Par quelle fatalité ces peuples ont-ils été les plus

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sages, les plus heureux et les plus libres? Si la peine de mort est la plus propre à prévenir de grands crimes, il faut donc qu'ils aient été plus rares chez les peuples qui l'ont adoptée et prodiguée. Or, c'est précisément tout le contraire. Voyez le Japon nulle part la peine de mort et les supplices ne sont autant prodigués; nulle part les crimes ne sont ni si fréquents ni si atroces. On dirait que les Japo nais veulent disputer de férocité avec les lois barbares qui les outragent et qui les irritent. Les républiques de la Grèce, où les peines étaient modérées, où la peine de mort était ou infiniment rare ou absolument inconnue, offraient-elles plus de crimes et moins de vertus que les pays gouvernés par des lois de sang? Croyezvous que Rome fut souillée par plus de forfaits lorsque, dans les jours de sa gloire, la loi Porcia eut anéanti les peines sévères portées par les rois et par les décemvirs, qu'elle ne le fut sous Sylla, qui les fit revivre, et sous les empereurs, qui en portèrent la rigueur à un excès digne de leur infâme tyrannie? La Russie a-t-elle été bouleversée depuis que le despote qui la gouverne a entièrement supprimé la peine de mort, comme s'il eût voulu expier par cet acte d'humanité et de philosophie le crime de retenir des millions d'hommes sous le joug du pouvoir absolu ? Ecoutez la voix de la justice et de la raison; elle vous crie que les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme condamné par d'autres hommes sujets à l'erreur. Eussiez-vous imaginé l'ordre judiciaire le plus parfait, eussiez-vous trouvé les juges les plus intègres et les plus éclairés, il restera toujours quelque place à l'erreur ou à la prévention. Pourquoi vous interdire le moyen de les réparer? Pourquoi vous condamner à l'impuissance de tendre une main secourable à l'innocence opprimée ? Qu'importent ces stériles regrets, ces réparations illusoires que vous accordez à une ombre vaine, à une cendre insensible elles sont les tristes témoignages de la barbare témérité de vos lois pénales! Ravir à l'homme la possibilité d'expier son forfait par son repentir ou par des actes de vertu, lui fermer impitoyablement tout retour à la vertu, à l'estime de soi-même, se hâter de le faire descendre, pour ainsi dire, dans le tombeau, encore tout couvert de la tache récente de son crime, est à mes yeux le plus horrible raffinement de la cruauté.

Le premier devoir du législateur est de former et de conserver les mœurs publi ques, source de toute liberté, source de tout bonheur social. Lorsque, pour courir à un but particulier, it s'écarte de ce but général et essentiel, il commet la plus grossière et la plus funeste des erreurs; il faut donc que la loi présente toujours au peuple le modèle le plus pur de la justice et de la raison. Si, à la place de cette sévérité puissante, calme, modérée, qui doit les caractériser, elles mettent la colère et la vengeance; si elles font couler le sang humain, qu'elles peuvent épargner et qu'elles n'ont pas le droit de répandre; si elles étalent aux yeux du peuple des scènes cruelles et des cadavres meurtris par des tortures, alors elles altèrent dans le cœur des citoyens les idées du juste et de l'injuste; elles font germer au sein de la société des préjugés féroces qui en produisent d'autres à leur tour. L'homme n'est plus pour l'homme un objet si sacré on a une idée moins grande de sa dignité quand l'autorité publique se joue de sa vie. L'idée du meurtre inspire bien moins d'effroi lorsque la loi même en donne l'exemple et le spectacle; l'horreur du crime diminue dès qu'elle ne le punit plus que par un autre crime. Gardez-vous bien de confondre l'efficacité des peines avec l'excès de la sévérité : l'un est absolument opposé à l'autre. Tout seconde les lois modérées; tout conspire contre les lois cruelles.

On a observé que, dans les pays libres, les crimes étaient plus rares et les lois pénales plus douces. Toutes les idées se tiennent. Les pays libres sont ceux où les droits de l'homme sont respectés, et où, par conséquent, les lois sont justes. Partout où elles offensent l'humanité par un excès de rigueur, c'est une preuve que la dignité de l'homme n'y est pas connue; que celle du citoyen n'existe pas : c'est une preuve que le législateur n'est qu'un maître qui commande à des esclaves, et

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