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la résolution de faire partir le roi à force armée. La section concluait qu'il n'y avait lieu à délibérer. - La presque totalité des autres sections fut de cet avis, et, en conséquence, l'affaire en resta là. Mais elle n'est cependant pas encore finie pour nous; il nous reste à enregistrer une dernière démarche qui donna lieu à une réponse du roi que l'histoire doit recueillir.

Le département et la municipalité se rendirent successivement chez le roi, comme on l'a vu. Voici la réponse du roi qui fut transcrite sur les registres du département et qui fut affichée, sous cette forme, dans Paris.

Réponse du roi au directoire de Paris, du 22 avril 1791. - «Le directoire s'est présenté chez le roi pour lui offrir ses remercîments de la nouvelle preuve qu'il venait de donner de son attachement à la constitution.

<< Le roi a recommandé au directoire de veiller avec soin à la tranquillité publique; il a ajouté que l'on avait osé afficher aux portes de son palais qu'il y avait des relais établis sur la route de Saint-Cloud à Compiègne pour favoriser son départ; que cette assertion était de la plus insigne fausseté; qu'il chargeait le directoire, non-seulement de détromper le public de cette imputation calomnieuse, mais même de découvrir s'il n'y avait pas eu des projets criminels pour lui donner l'apparence de la réalité. »

Le but du roi, en donnant cette réponse, est évident. Il voulait, en révélant le projet de Mirabeau, détourner l'attention de son projet réel. Quant au bruit qui courut que le roi n'avait désiré aller à Saint-Cloud que pour s'ouvrir une route vers la frontière, on en sait maintenant assez pour être assuré qu'il n'était nullement fondé. D'ailleurs, l'exécution d'un plan semblable eût été très-possible. Ainsi madame de Campan nous apprend qu'un projet de se transporter de Saint- Cloud à Metz avait été présenté au roi en 1790 pendant qu'il séjournait dans ce château; mais le roi repoussa le proposition (Mém. cit., p. 114); rien alors n'était encore prêt, ni Bouillé, ni la diplomatie, et les troupes françaises n'étant pas sûres, il fallait pouvoir compter au besoin sur un appui étranger.

Revenons à Paris et à la situation de l'opinion publique à la suite de tous ces événements. On faisait tout pour la calmer. On lit, en effet, dans le Moniteur du 26:

M. le maire, instruit des inquiétudes de l'armée parisienne, a fait mettre à l'ordre, le 24, que le corps municipal avait reçu, dans la journée du 23, le vœu de cinquante-quatre bataillons; qu'il recevrait sans doute le vœu des autres le lendemain, et qu'il s'empres

serait de prendre les mesures qui peuvent satisfaire, et l'armée, et la capitale, et le corps municipal.

M. le major général a été chargé par M. le maire d'inviter MM. les chefs de division et commandants de bataillon à veiller particulièrement à la tranquillité publique pendant les fêtes de Pâques.

Tous les bataillons de la garde nationale parisienne ayant renouvelé le serment d'obéissance à la loi, le résultat de leurs délibérations a été remis à la municipalité et communiqué à M. Lafayette, qui a repris les fonctions de commandant général, et a assisté ce matin à la parade de la garde de la réserve de l'hôtel de ville.

Le roi et sa famille ont assisté hier à l'office à Saint-Germainl'Auxerrois.

-La presse révolutionnaire, pendant cette période, commenta les événements dans le sens d'une opposition complétement anticonstitutionnelle. Elle applaudit aux émeutes du 17 et du 18 avril, et à la démission de M. Lafayette. Brissot fut le seul qui prit ouvertement le parti du commandant général. Cette opinion le fit classer par Marat au nombre des ennemis publics. On approuva hautement la délibération des sections; mais on blâma non moins vivement la démarche de la garde nationale auprès de son général, ainsi que celle de Bailly. Marat, furieux de voir celui qu'il avait pris pour son ennemi personnel revenu au pouvoir par la volonté du peuple armé, publia un pamphlet dont le titre fera juger le style : Histoire curieuse, véritable et remarquable des plus beaux traits de la vie de Marie-Paul-Joseph-Roch-Yves-Gilbert Mottié, marquis de Lafayette, maréchal de camp, député de la noblesse de Riom aux états généraux, fondateur du club des Monarchiens et du club des Fédérés, instituteur des mouchards de l'état-major, président du comité autrichien, généralissime des contre-révolutionnaires, conspirateur en chef du royaume de France, et général de l'armée parisienne, et grenadier à moustaches du bataillon des Théatins; offerte à l'admiration des Français, amis de la vertu et de la liberté. Tout ce qui reluit n'est pas d'or.

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En même temps, les journaux patriotes se disputaient entre eux. Choderlos de Laclos, dans son Journal des Amis de la constitution, attaquait Brissot sur son républicanisme, et lui demandait comment, avec cette opinion, il se trouvait si souvent d'accord avec d'Esprémenil et Linguet. Brissot se défendait; puis, reprenant l'offensive: «J'ai fait mes preuves, disait-il; où sont celles de P. Choderlos? Nous citera-t-il ses romans, son apparition si récente aux Jacobins et l'extrait des lettres d'affiliation qu'il intitule Journal?.....

Non, le secrétaire de la calomnie ne peut être le secrétaire des vrais jacobins! >>

Mais la presse n'avait pas en ce moment un auditoire aussi bienveillant qu'autrefois. Il y avait une réaction dans l'opinion. On lisait moins; on achetait peu. Les colporteurs étaient quelquefois maltraités et leurs feuilles déchirées. Il arrivait même aux écrivains les plus révolutionnaires de subir des avanies assez désagréables dans les lieux publics, lorsqu'ils étaient reconnus. Camille Desmoulins en éprouva particulièrement quelques-unes, qu'il raconte d'ailleurs fort gaiement.

Quant aux clubs, ces autres agents des déterminations publiques, nous avons vu que celui des Cordeliers ne se ménagea pas dans le cours de ce mois. L'arrêté que nous avons cité ne fut pas le seul dont il fut l'auteur. Ce club se confondait avec la section du même nom, qui s'était ainsi transformée depuis que la permanence des sections avait été interdite. Son zèle révolutionnaire lui valut d'être dénoncé par l'accusateur public, et, ce qui est curieux, le bataillon de cette section ne voulut plus porter le nom des Cordeliers; il demanda à changer son nom en celui de bataillon de l'Observance, ce qui lui fut accordé.

Le nom des Jacobins est souvent prononcé dans les écrits et surtout dans les mémoires contemporains. On avait pris l'habitude de les considérer comme les meneurs de la révolution; mais, à l'époque où nous sommes, leur club est évidemment placé en seconde ligne; il est dépassé par les Cordeliers. D'ailleurs, en ce moment, il s'opérait une révolution dans le sein de la société ; le personnel en était grandement modifié et tendait à se modifier davantage par les nouvelles admissions. « Ce fut la cour, dit A. Lameth, ce fut la cour elle-même qui employa tous ses soins à vicier la composition de la société et qui la poussa aux excès, lorsque les ministres eurent adopté le déplorable système du pessimisme, système appuyé sur la dangereuse résolution de n'attendre le bien que de l'excès du mal.

« Cette fatale pensée décida la cour à faire entrer dans les jacobins des hommes naturellement exagérés, d'autres qui feignaient de l'être, et auxquels on fit suivre, à l'égard des chefs de cette société, la tactique qu'avait employée le tribun Duilius contre les Gracques. Elle consistait à taxer de modérantisme et de faiblesse les propositions même énergiques, mais réfléchies, que faisaient les députés les plus accrédités du parti populaire, et à leur en substituer de violentes, qui devaient avoir plus de faveur auprès de la multitude. Par cette manœuvre, on plaçait les chefs de la société dans la fâ

cheuse alternative, où de laisser passer des déterminations dangereuses dont on leur eût fait subir la responsabilité, ou de compromettre et d'altérer leur popularité en les combattant.

« Une si criminelle tactique, qu'on supposait conseillée par Mirabeau, n'eut cependant pas d'abord le succès qu'on s'en était promis. » (Lameth, Histoire de l'Assemblée constituante.)

Le Cercle social continuait à attaquer les jacobins. Il les accusait d'obéir à l'influence de la franc-maçonnerie, dont d'Orléans était le grand maître. Cette assertion est certainement erronée, mais elle était soutenue avec habileté ; et c'est peut-être là la source du bruit qui est arrivé jusqu'à nous, que les francs-maçons avaient eu une grande part à la révolution. Il y avait, d'ailleurs, dans le Cercle social, des débats intéressants. Ainsi Anacharsis Clootz écrivit à Claude Fauchet, le sommant de faire connaître les moyens d'assurer à chacun la suffisante vie, sans avoir recours à une loi agraire. Fauchet répondit qu'il ne s'agissait encore que de débattre le principe, et, en conséquence, il ne donna pas de solution.

La presse et les clubs s'occupèrent aussi, dans cette période, de quelques nominations de fonctionnaires publics.

L'assemblée venait de placer à la tête de l'administration financière une trésorerie nationale, composée de six membres, dont la nomination avait été réservée au roi. Un premier choix avait soulevé de nombreuses réclamations. Les administrateurs définitifs furent Vevayne, Lavoisier, Condorcet, Dutremblay, Rouillé de l'Étang et Huber (ce dernier fut bientôt forcé de donner sa démission et remplacé par Lafontaine). Ces choix furent vivement discutés par la presse. Le Patriote français du 10 avril renferme une lettre de Brissot à Condorcet, dans laquelle il lui fait de graves reproches sur ce qu'il a permis que son nom parût à côté de celui de Lavoisier, Huber et autres. La candidature qu'il recommande, et dont il expose longuement tous les titres, est celle de Clavière. Quant à Huber, on lui reproche avec insistance d'être joueur de bourse, intrigant, solliciteur, banqueroutier, lié à des personnages fameux par des scandales de plus d'un genre: telles sont les qualifications dont on le met au défi de contester une seule.

Dans la séance du 10 avril, Buzot, muni d'une lettre de Clavière, dénonça tous ces faits à l'assemblée nationale. Le 27, il déposa de nouvelles pièces à l'appui, qui furent renvoyées comme les précédentes au comité des finances. Huber fut obligé, le mois suivant, de donner sa démission.

Lavoisier ne fut pas épargné non plus. Les feuilles démocratiques de toute couleur manife staient à l'égard de cet homme illus

tré par de si belles découvertes et dont le génie honore la France, des répugnances étranges.

Le ministère venait d'opérer aussi des mutations assez nombreuses dans le corps diplomatique. Il est à remarquer que M. de Ségur fut nommé ambassadeur à Rome, à la place du cardinal de Bernis, qui, ne voulant pas prêter le serment, donna sa démission. M. de Durfort fut nommé ambassadeur à Venise. La presse demanda pourquoi on n'avait pas choisi des patriotes, et le nom du marquis de Ferrières, l'auteur des Mémoires, fut cité parmi plusieurs autres. Un seul agent diplomatique avait été choisi parmi les patriotes: c'était Bonne-Carrère, secrétaire des jacobins. Anacharsis Clootz ayant voulu applaudir à cette nomination, Danton déclara qu'en acceptant une mission auprès du prince évêque de Liége, Bonne-Carrère avait donné la mesure de ses sentiments. Danton fut applaudi, et Bonne-Carrère devint l'objet des attaques d'une partie de la presse.

CHAP. III.

Coalitions d'ouvriers. -Actes de la municipalité à cet égard. Décret de l'assemblée. Discussion sur la démission de Lafayette. - Affaires Discussion sur l'arrêté du directoire rela

ecclésiastiques. Brefs du pape.

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Décret sur les bulles du

tif aux prêtres non assermentés. - Question de la liberté religieuse. cours de Sieyès. Ses conclusions sont adoptées.

pape.

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Une nouvelle cause de troubles venait de surgir. Nous trouvons dans les procès-verbaux manuscrits de la commune, à la date du 22 avril, l'article suivant :

« Sur le rapport fait par M. Maugis que des coalitions pratiquées par les compagnons charpentiers et imprimeurs pour faire augmenter leurs journées et empêcher les autres compagnons de travailler à d'autres prix et contre leur gré, et les maîtres de prendre d'autres ouvriers que ceux qu'ils veulent leur donner,

« Le corps municipal a arrêté que les administrateurs au département de la police, conjointement avec MM, Borie et Nizard, qui leur seraient adjoints, rédigeraient et présenteraient incessamment au corps municipal un avis aux ouvriers des différentes professions pour les rappeler aux principes et leur faire connaître l'inconsé quence de leurs demandes. »

Les premiers symptômes de coalition entre les ouvriers se mon→ trèrent vers la fin du mois d'avril, au moment où commencent à Paris certaines espèces de travaux qui occupent un grand nombre de bras, Déjà les souffrances ou les embarras des classes salariées, que

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