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lieu, suivant lui, à envoyer à Porentrui les troupes que les pétitionnaires demandaient. Rewbel et Robespierre s'élevèrent avec force contre ces assertions. « Depuis plus de six mois on ne peut plus douter de l'intelligence des ennemis du dehors avec ceux du dedans, dirent-ils. Le décret que vous avez rendu contre le cardinal de Rohan et ses adhérents, le rapport qui vous a été fait de M. de Broglie, les nombreux décrets de prises de corps lancés par le tribunal d'Altkirch contre ceux qui faisaient des recrutements, ont dû convaincre le ministre des affaires étrangères des manœuvres qu'il paraissait ignorer. » Après quelques débats, le renvoi au comité diplomatique fut décrété. (Ce comité fit son rapport le 28, et l'assemblée adopta ses conclusions en passant à l'ordre du jour.)

Nous ignorons si ce fut cette discussion qui provoqua une nouvelle démonstration de la part du roi. Les contemporains ne le pensèrent pas. Le roi, dit Ferrières, termina cette singulière démarche (du 19 avril) par une démarche plus singulière encore et qui, dans la suite, a infiniment contribué à lui enlever la confiance du peuple; car cette démarche était volontaire, rien ne l'y forçait. M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, envoya à l'assemblée copie d'une lettre que le roi lui avait ordonné d'écrire à tous les ambassadeurs de France dans les cours étrangères. Cette lettre, datée du 23 avril, fut communiquée à l'assemblée dans sa séance du même jour, 23 avril. En voici le texte :

Lettre communiquée à l'assemblée nationale par le ministre

au nom du roi.

« Le roi me charge, monsieur, de vous mander que son intention la plus formelle est que vous manifestiez ses sentiments sur la révolution et sur la constitution française à la cour où vous résidez. Les ambassadeurs et ministres de France près toutes les cours de l'Europe reçoivent les mêmes ordres, afin qu'il ne reste aucun doute ni sur les intentions de Sa Majesté, ni sur l'acceptation libre qu'elle a donnée à la nouvelle forme de gouvernement, ni sur son serment irrévocable de la maintenir. Sa Majesté avait convoqué les états généraux de son royaume, et déterminé dans son conseil que les communes y auraient un nombre de députés égal à celui des deux autres ordres qui existaient alors. Cet acte de législation provisoire, que les obstacles du moment ne permettaient pas de rendre plus favorable, annonçait assez le désir de Sa Majesté, de rétablir la nation dans tous ses droits.

« Les états généraux furent assemblés, et prirent le titre d'assemblée nationale; bientôt une constitution propre à faire le bonheur

de la France et du monarque remplaça l'ancien ordre de choses, où la force apparente de la royauté ne cachait que la force réelle des abus de quelques corps aristocratiques.

« L'assemblée nationale adopta la forme du gouvernement représentatif joint à la royauté héréditaire; le corps législatif fut déclaré permanent; l'élection des ministres du culte. des administrateurs et des juges, fut rendue au peuple; on conféra le pouvoir exécutif au roi, la formation de la loi au corps législatif et la sanction au monarque; la force publique, soit intérieure, soit extérieure, fut organisée sur les mêmes principes et d'après la base fondamentale de la distinction des pouvoirs telle est la nouvelle constitution du royaume.

« Ce que l'on appelle la révolution n'est que l'anéantissement d'une foule d'abus accumulés depuis des siècles par l'erreur du peuple ou le pouvoir des ministres, qui n'a jamais été le pouvoir des rois; ces abus n'étaient pas moins funestes à la nation qu'au monarque; ces abus, l'autorité, sous des règnes heureux, n'avait cessé de les attaquer sans pouvoir les détruire: ils n'existent plus, la nation souveraine n'a plus que des citoyens égaux en droits, plus de despote que la loi, plus d'organes que des fonctionnaires publics, et le roi est le premier de ces fonctionnaires : telle est la révolution française.

« Elle devait avoir pour ennemis tous ceux qui, dans un premier moment d'erreur, ont regretté, pour des avantages personnels, les abus de l'ancien gouvernement: de là, l'apparente division qui s'est manifestée dans le royaume, et qui s'affaiblit chaque jour; de là peut-être quelques lois sévères et de circonstance que le temps corrigera. Mais le roi, dont la véritable force est indivisible de celle de la nation, qui n'a d'autre ambition que le bonheur du peuple, ni d'autre pouvoir réel que celui qui lui est délégué; le roi a dû adopter sans hésiter une heureuse constitution qui régénérait tout à la fois son autorité, la nation et la monarchie. On lui a conservé toute sa puissance, hors le pouvoir redoutable de faire les lois; il est resté chargé des négociations avec les puissances étrangères, du soin de défendre le royaume, et d'en repousser les ennemis; mais la nation française n'en aura plus désormais au dehors que ses agresseurs : elle n'a plus d'ennemis intérieurs que ceux qui, se nourrissant encore de folles espérances, croiraient que la volonté de vingt-quatre millions d'hommes rentrés dans leurs droits naturels, après avoir organisé le royaume de manière qu'il n'existe plus que des souvenirs des anciennes formes et des anciens abus, n'est pas une immuable, une irrévocable constitution.

« Les plus dangereux de ces ennemis sont ceux qui ont affecté de répandre des doutes sur les intentions du monarque; ces hommes sont bien coupables ou bien aveuglés: ils se croient les amis du roi, ce sont les seuls ennemis de la royauté; ils auraient privé le monarque de l'amour et de la confiance d'une grande nation, si ses principes et sa probité eussent été moins connus. Eh! que n'a pas fait le roi pour montrer qu'il comptait aussi la révolution et la constitution française parmi ses titres à la gloire? Après avoir accepté et sanctionné toutes les lois, il n'a négligé aucun moyen de les faire exécuter; dès le mois de février de l'année dernière, il avait, dans le sein de l'assemblée nationale, promis de les maintenir; il en a fait le serment au milieu de la fédération universelle du royaume : honoré du titre de Restaurateur de la liberté française, il transmettra plus qu'une couronne à son fils, il lui transmettra une royauté constitutionnelle.

<< Les ennemis de la constitution ne cessent de répéter que le roi n'est pas heureux, comme s'il pouvait exister pour un roi d'autre bonheur que celui du peuple; ils disent que son autorité est avilie, comme si l'autorité fondée sur la force n'était pas moins puissante et plus incertaine que l'autorité de la loi ; enfin, que le roi n'est pas libre calomnie atroce, si l'on suppose que sa volonté a pu être forcée; absurde, si l'on prend pour défaut de liberté le consentement que Sa Majesté a exprimé plusieurs fois de rester au milieu des citoyens de Paris; consentement qu'elle devait accorder à leur patriotisme, même à leurs craintes, et surtout à leur amour.

:

« Ces calomnies cependant ont pénétré jusque dans les cours étrangères; elles y ont été répétées par des Français qui se sont volontairement exilés de leur patrie, au lieu d'en partager la gloire, et qui, s'ils n'en sont pas les ennemis, ont au moins abandonné leur poste de citoyen. Le roi vous charge, monsieur, de déjouer leurs intrigues et leurs projets. Ces mêmes calomnies, en répandant les idées les plus fausses sur la révolution française, ont fait suspecter chez plusieurs nations voisines les intentions des voyageurs français; et le roi vous recommande expressément de les protéger et de les défendre. Donnez, monsieur, de la constitution française, l'idée que le roi s'en forme lui-même; ne laissez aucun doute sur l'intention de Sa Majesté de la maintenir de tout son pouvoir. En assurant la liberté et l'égalité des citoyens, cette constitution fonde la prospérité nationale sur les bases les plus inébranlables; elle affermit l'autorité royale par les lois; elle prévient, par une révolution glorieuse, la révolution que les abus de l'ancien gouvernement auraient bientôt fait éclater, en causant peut-être la dissolution de l'empire; enfin, elle

fera le bonheur du roi. Le soin de la justifier, de la défendre et de la prendre pour règle de votre conduite, doit être votre premier devoir.

« Je vous ai déjà manifesté plusieurs fois les sentiments de Sa Majesté à cet égard; mais d'après ce qui lui est revenu de l'opinion qu'on cherchait à établir dans les pays étrangers sur ce qui se passe en France, elle m'a ordonné de vous charger de notifier le contenu de cette lettre à la cour où vous êtes; et pour lui donner plus de publicité, Sa Majesté vient d'en ordonner l'impression.

« 25 avril 1791.

Signé, MONTMORIN. >>

La lecture de cette lettre excite le plus vif enthousiasme dans la partie gauche de la salle et dans toutes les tribunes. Elle est interrompue à chaque phrase par des applaudissements et des cris cent fois répétés de vive le roi!

La lecture terminée, A. Lameth propose d'envoyer une députation au roi; Biauzat demande que l'assemblée s'y rende tout entière; la proposition de Lameth est seule adoptée. La députation se rendit le soir même au château, où elle reçut la réponse qui suit :

« Je suis infiniment touché de la justice que me rend l'assemblée nationale; si elle pouvait lire au fond de mon cœur, elle n'y verrait que des sentiments propres à justifier la confiance de la nation; toute défiance serait bannie d'entre nous, et nous en serions tous heureux. >>

Le roi avait-il donc renoncé à ses projets? Il suffit de se rappeler ce qu'on a lu précédemment, pour être certain du contraire. Un procès-verbal de ce qui s'était passé le 18, aux Tuileries, fut d'ailleurs rédigé, certifié par un grand nombre de signatures et adressé aux cours étrangères. Il constatait que le roi n'était pas libre. Il paraît que tous les signataires ne furent pas discrets; car l'écrivain des Révolutions de Paris fut instruit et dénonça le fait au public. On lit, en outre, dans les Mémoires d'un homme d'État que, pour détruire l'effet de la lettre de M. de Montmorin, « le roi envoya aussitôt des agents secrets à Bruxelles et à Cologne, avec des dépêches propres à être communiquées, d'une part au roi de Prusse, et de l'autre à la gouvernante des Pays-Bas. Il y protestait contre toute acceptation et sanction qu'il se verrait contraint de donner... Déclarant que toutes les démarches qu'il faisait devaient être interprêtées dans un sens opposé... et que, de plus, il désirerait se voir promptement affranchi de la situation forcée et de la captivité réelle où le tenait la faction qui s'était emparée de tous les pouvoirs de l'État. » (Mém. d'un homme d'Etat, t. Ier, p. 115.)

Cependant, le 21, on mettait à l'ordre du jour, dans la garde nationale, la démission de M. Lafayette. Ce général, mécontent de la désobéissance qu'on lui avait témoignée, et plus encore de la conduite du roi dans cette affaire, ne voulait pas garder plus longtemps une position où il croyait que l'indiscipline de ses subordonnés ne lui permettait plus de déjouer les tentatives de la cour. Cette démission causa un très-grand mouvement dans Paris, et elle exerça une forte influence sur la bourgeoisie. Les bataillons de la garde nationale s'assemblèrent et décidèrent qu'ils iraient, en corps, solliciter leur commandant général de retirer sa démission. « Les bataillons de la garde nationale se sont assemblés l'après-midi, dit le Moniteur du 23 avril; vingt-trois bataillons se sont rendus chez M. de Lafayette; à neuf heures du soir un grand nombre de bataillons y étaient en armes avec leurs drapeaux; d'autres, comme ils pouvaient, en sortant d'une assemblée. On l'a pressé avec les plus grandes instances, avec les plus touchantes expressions d'intérêt et de dévouement, de retirer sa démission. Un grand nombre de gardes nationales se sont ensuite transportées à la municipalité, accompagnées de flambeaux, et l'ont invitée à joindre ses sollicitations aux leurs. La municipalité, M. Bailly à la tête, est arrivée chez M. de Lafayette à onze heures. Elle s'est renfermée avec lui. Les appartements, la cour et une partie de la rue, étaient remplis de gardes nationales. On s'est retiré, il était minuit, et M. de Lafayette n'avait pas donné de réponse. A cette heure, quarantedeux bataillons s'étaient déjà rendus chez lui; hier matin il n'y avait pas encore de réponse positive... >>

M. Lafayette, le lendemain, se rendit à l'assemblée de la commune, et après un discours où il déclarait qu'il refuserait toujours une fonction où on ne lui laisserait que la responsabilité sans lui donner le pouvoir de l'accomplir, il retira sa démission.

Pendant ce temps, conformément à l'arrêté de l'administration départementale communiqué à l'assemblée nationale, dans la séance du 19, les sections s'assemblaient et délibéraient. Ce fut celle du Théâtre-Français qui imprima le mouvement à toutes les autres. Elle prit un arrêté qui fut rendu public et adressé aux quarante-sept sections. Les considérations en étaient fort détaillées et fort nettes. Il y avait, entre autres, celle-ci, que « cette question était captieuse et par conséquent malséante envers une ou plusieurs sections primaires de la nation, et en cette qualité, portions intégrantes du souverain : en ce que cette question double n'était cependant qu'une seule et même question, puisque l'affirmative ou la négative, accordée à l'une ou à l'autre, ne tendait qu'à approuver

TOME V.

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