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cours du Palais-Cardinal, où sont les bureaux des ateliers publics. Cette réunion a donné quelques inquiétudes; mais elle n'a pas eu de suite: elle était relative à des demandes de certificats pour se présenter aux entrepreneurs afin d'obtenir de l'ouvrage.

<«< Plusieurs patrouilles de la cavalerie de la garde nationale ont été insultées l'avant-dernière nuit. Dans la rue de la Tacherie, on les a assaillies de pierres. La nuit précédente, sur le quai de la Mégisserie, un garde national avait été blessé d'un coup de pistolet.

<«< En vertu d'un ordre des comités des recherches et des rapports, la garde nationale est allée pour se saisir de M. l'abbé Royou; mais on ne l'a pas trouvé chez lui. On a mis le scellé sur une partie de ses papiers, et on s'est emparé de l'autre.

« L'Ami du Roi, le Journal de la cour et de la ville, etc., et la Gazette de Paris, n'ont pas paru aujourd'hui. »

Marat se crut aussi obligé de se cacher; mais il ne tarda pas à faire paraître un numéro de son journal, dans lequel il réclama vivement contre le tort qu'on lui faisait en publiant qu'un autre que lui fût rédacteur de l'Ami du Peuple. « M. Verrières est auteur de l'Ami de la Loi, dit Marat; il est excellent patriote, mais il n'est pas moi, etc. »

Pendant cette espèce de déroute des journalistes appartenant aux partis absolus, car, ainsi qu'on vient de le voir, les autorités constitutionnelles frappaient également sur les royalistes et sur les révolutionnaires, les enfants perdus de la presse officielle se mirent à poursuivre les vaincus d'attaques personnelles. Carra, Marat, Fréron, Brissot, etc., furent signalés dans une affiche intitulée : Qui faut-il croire? Un journal-affiche, le Chant du Coq, dénonçait chaque matin ceux qu'il appelait les furieux; il s'adressait particulièrement à leur vie privée. Brissot surtout fut maltraité par ce journal, et n'osa lui répondre que près d'un mois après; ce fut par une attaque en justice et une accusation en calomnie.

Cependant le Patriote français n'interrompit pas sa publication, et la rédaction de l'Orateur du Peuple, de Fréron, fut reprise par Labenette. Comme nous l'avons vu, les Révolutions de France et de Brabant cessèrent de paraître; ce fut le journal les Révolutions de Paris qui se chargea de servir les abonnés de Desmoulins. Ce fut aussi ce journal qui, le premier, reprit la vigueur de son ancienne critique. En voici une preuve, qui est en même temps un éclaircissement historique. Cet article, il est vrai, est postérieur au 7 août :

« La journée du 17 juillet a été affreuse: il s'y est passé des scènes individuelles dont le récit brise le cœur; mais enfin, plusieurs citoyens n'y ont perdu que la vie. Si la nation datait de cette

époque la perte de sa liberté !... si l'idée de ce massacre n'avait été conçue que pour glacer d'effroi les écrivains et les lecteurs patriotes, pour autoriser les violations d'asile, pour dresser des tables de proscrits, pour enivrer la garde nationale, en lui donnant une fausse mesure de sa force, pour faire rentrer le peuple dans sa nullité politique, pour imposer silence aux journalistes, pour dissiper les clubs, et ne pas souffrir un seul groupe dans tout Paris, redevenu ce qu'il était, la ville des aveugles et des muets!... Tout cela s'est fait et se fait encore, et les gardes nationaux applaudissent à leur métamorphose en janissaires; et le peuple lui-même, frappé de l'épidémie, rit d'un rire sardonien à la vue de tous ces coups d'autorité asiatique! Le malheureux! il insulte aux traitements barbares qu'on fait subir à ses plus ardents défenseurs, et appelle brigands ceux-là mêmes qui l'ont averti tant de fois de se mettre en garde contre les véritables brigands, contre les factieux lâchés au milieu de lui.

<< Et il s'est trouvé des gens pour justifier les nombreux assassinats du 17 au soir, et les délations, les lettres de cachet, les prises de corps, les incarcérations, les saisies de papiers, les confiscations de presses et de caractères d'imprimerie, les radiations de scrutin, et le spectacle sinistre de ce drapeau couleur de sang, appendu si longtemps aux croisées de la maison commune, comme jadis on attachait aux voûtes du temple métropolitain les drapeaux recueillis au milieu des cadavres des ennemis vaincus.

« Les façons de parler, les figures de rhétorique de l'Orateur du Peuple, n'ont point fait verser depuis des années une seule goutte du sang qu'on a répandu dans la seule soirée du 17. Il convenait mal à des citoyens armés et souillés de meurtres, de venir mettre à la raison des écrivains accusés d'avoir conseillé le meurtre. Si dans leur indignation patriotique leur plume a distillé le fiel de la médisance et les poisons de la haine, il fallait les combattre avec les mêmes armes; les baïonnettes n'ont que faire là: elles ne prouvent que la raison du plus fort.

« Marat n'avait point d'imprimerie depuis quelque temps: il occupait celle de la demoiselle Colombe. Le nom de l'auteur devait mettre à l'abri le typographe, et lui laisser la faculté de travailler. Autrefois il y avait des délits qui paraissaient tellement graves, qu'ils entraînaient dans leur châtiment la démolition même de la maison natale du coupable. La municipalité voudrait-elle remettre en lumière ce code barbare, monument détruit de l'antique despotisme? Le chien blessé d'un coup de pierre mord la pierre à défaut de la personne qui la lui a lancée, et cela est tout naturel. La

municipalité n'est pas si raisonnable. Malheur aux créanciers de celui qui l'a offensée! Elle les enveloppe dans la disgrâce du prévenu, et leur enlève le gage de leur propriété. En l'absence de la personne capturée, sa femme et ses enfants ne pourront faire rouler ses presses pour satisfaire aux engagements contractés. Et comment s'acquitteront-ils du droit de patente et de leur don patriotique? L'imprimerie est un meuble sacré, aussi sacré que le berceau d'un nouveau-né, que jadis les collecteurs de tailles ne respectaient pas toujours. Mais sommes-nous déjà revenus précisément au même point d'où nous étions partis, avec le vœu bien prononcé de n'y jamais retourner? Les citoyens les plus modérés furent révoltés à la vue du cortége affligeant de trois ou quatre voitures s'acheminant vers la maison commune, environnées de baïonnettes et chargées de tout l'attirail d'une imprimerie, à la suite des prisonniers accablés d'injures sur la route: plusieurs colporteurs garrottés fermaient cette marche triomphale.

<«< Par un raffinement de perfidie, digne au reste du corps municipal qui se permet des applaudissements féroces à la lecture du procès-verbal des horreurs commises le 17 au champ de Mars, on eut le soin de faire subir le même sort à Sulleau et à Royou, afin que le peuple confondît dans la même classe les défenseurs ardents et courageux de la révolution, et ces folliculaires soudoyés de l'aristocratie.

« Le nombre des arrestations faites depuis le 17 n'est pas mieux connu que celui des morts du champ de Mars; mais il doit être très-considérable; et sans doute il le serait bien davantage, si tous les journalistes et les pétitionnaires avaient eu la fermeté d'attendre, dans leur cabinet d'études, ou dans le lieu de leur réunion, le brevet d'honneur contenu dans la lettre de cachet expédiée au comité des recherches, qui en fait commerce, comme sous le règne de Saint-Florentin et compagnie. On appréhenda des citoyens de toutes les classes et de tous les sexes; la proscription s'étendit jusque sur les étrangers, pour colorer d'un prétexte la persécution dirigée principalement contre les chauds patriotes. Rotondo l'Italien, le juif Ephraïm, une baronne allemande, etc., ont été enlevés et relaxés. La police municipale, honteuse elle-même de ces coups de main, et pour donner le change au peuple, fit en même temps la chasse aux petits jeux de hasard, qui pullulent sur les quais et autres lieux. La garde nationale, loin de se refuser à toutes ces expéditions, auxquelles la troupe de ligne ne se serait prêtée jadis qu'avec répugnance, y apporte un zèle pour la loi qui tient de l'acharnement, et ressemble à la vengeance personnelle. Autrefois il

TOME V.

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n'était pas rare de voir les jeunes gens, dits de la robe courte, fermer les yeux et dissimuler les victimes que leur désignait le despotisme ministériel et parlementaire.

« Le despotisme municipal est mieux servi. L'Orateur du Peuple est obligé de soutenir un siége pour échapper à ses captureurs. Le défenseur de Santerre est moins heureux, et l'on s'assure provisoirement de sa personne jusqu'à ce qu'on ait découvert la retraite de Marat. Legendre, Danton, Sergent, Camille Desmoulins, et une foule d'autres, attendent dans la retraite leur tour d'être traduits au tribunal. La liste fournie par le maire au comité des recherches est curieuse; on y lit: Tel...., chargé une fois. Tel..., chargé deux, trois fois. Tel...., bon à arrêter.

« On est fàché de voir M. Bailly si peu novice dans l'art des Sartine et des Lenoir : un maire, enfant gâté de la révolution, ne devrait pas, ce semble, en savoir si long qu'un lieutenant de police! Cette place n'aurait-elle changé que de nom? Le père Duchêne et sa femme ont été rendus à leur ménage, sous la condition d'être à l'avenir plus circonspects. On connaît la valeur de cette injonction, dont on faisait usage avec succès au temps passé, tout prêt à revenir. Quantité de personnes qui ne se seraient pas crues dignes de faire partie du peuple franc, si elles se fussent astreintes à ne dire la vérité qu'avec le mystère dont s'enveloppe le mensonge, ont été saisies, menées au comité, et de là à la prison, pour avoir eu l'air de blâmer la conduite prévôtale des gardes nationaux au champ de Mars le 17.

« Les épanchements de l'amitié sont devenus des crimes d'État. Le silence des tombeaux règne jusque dans les cafés; l'esprit public est tellement changé, que le théâtre de la Nation où les fiers accents de la liberté, sortis de la bouche de Brutus, avaient reçu tant d'applaudissements, retentit maintenant de bravos serviles représentant le peuple juif à genoux aux pieds de son nouveau roi. Pourquoi, depuis que les acteurs du théâtre de Molière ont été à la barre de l'assemblée faire vœu de ne jouer que des pièces patriotiques, ont-ils retranché les vers que M. Ronsin ajouta, dans sa Ligue des tyrans, à l'occasion de la fuite de Louis XVI? Comment se fait-il que M. Ronsin souffre cette coupure, si le drame lui appartient encore? S'il n'est plus à lui, pourquoi une affiche ne prévient-elle pas le public de la lâcheté des acteurs de Molière? M. Ronsin avait placardé son épisode du monarque fuyard, le meilleur morceau, sans contredit, de la pièce...

<«< Trois jours après le 17, une nouvelle édition de la loi martiale fut placardée sur tous les murs de Paris. Quel procédé ! En con

çoit-on de plus atroce et de plus inconséquent? Rappeler la loi trois jours après le massacre commis en vertu de la loi! Si le châtiment doit marcher sur les traces du crime, c'est à la loi à prendre le devant. Ici l'ordre est renversé. Magistrats du peuple, êtes-vous stupides ou féroces? Il faut que vous soyez l'un ou l'autre; choisissez car nous souffririons trop à vous croire l'un et l'autre. C'est la veille qu'il fallait remettre la loi sous les yeux de vos concitoyens égarés. Mais, direz-vous, pouvions-nous prévoir les événements du dimanche 17? - Mais, vous répondrons-nous, quand il s'agit de mettre à exécution une loi de sang, on y regarde à deux fois. On dirait que vous aviez soif de carnage. Il vous tardait donc bien de faire usage de cette arme si difficile à manier, et dont les coups sont si terribles? Appréhendiez-vous que le glaive de la loi ne se rouillàt en restant trop longtemps dans le fourreau? Il en va de même de votre drapeau de mort au lieu de le laisser flotter aux fenêtres de votre maison commune, douze ou quinze jours après lé voyage que vous lui fites faire au champ de Mars, que ne l'exposiez-vous douze ou quinze jours d'avance? Vous vous intitulez complaisamment les tuteurs, les pères du peuple: un père, un tuteur menace longtemps avant de frapper; il ne tue pas ses enfants pour leur apprendre à vivre.

<< Mais vous aviez besoin de pièces justificatives. Ni le drapeau rouge prudemment exposé après le danger, ni les détours piteux du maire, ni la réponse congratulatoire du président, ni le volumineux procès-verbal de la municipalité, ne laveront la tache indélébile du sang de vos frères, qui a rejailli sur vos écharpes : il en est tombé sur vos cœurs. C'est un poison lent qui flétrira vos jours jusqu'au dernier. » (Extrait des Révolutions de Paris, no CVII.)

CHAP. V.

Scission dans le club des Jacobins.
Partage des sociétés affiliées.

Club des Feuillants.

Le coup d'État du 17 avait montré clairement que la majorité de l'assemblée nationale et du côté gauche lui-même, sauf quelques opposants, appartenait au parti de la monarchie constitutionnelle. Il avait donné, de plus, à ce parti une influence et une autorité dont il fallait se hâter de profiter, afin d'assurer définitivement l'avenir. On avait tout à craindre, en effet, du réveil de l'opposition révolutionnaire, aussitôt que le premier moment de terreur serait passé. Trois résultats devaient être atteints d'abord : il fallait acquérir une certaine sécurité du côté de l'étranger et de l'émigration, s'emparer de l'influence extrà-parlementaire exercée par les sociétés populai

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