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faire, ainsi qu'à Bailly, de pareilles confidences. Il y eut aussi quelque argent avancé par la liste civile à la police municipale, soit pour maintenir le bon ordre dans les lieux publics, soit pour empêcher les tumultes projetés par les jacobins; mais ces dépenses, qui ne regardaient que très-indirectement le commandant général, n'avaient pas le moindre rapport avec les dépenses secrètes de la liste civile pour gagner des partisans au roi. Celles-ci furent presque toujours dirigées contre Lafayette. » (Note trouvée dans les papiers du général Lafayette. Mémoires cités, tome III, page 84.)

Il fallait que la révolution fût soutenue par un sentiment bien réel et bien universel, qu'elle reposât sur un fond bien honnête, pour qu'elle ait pu résister à un tel débordement de corruption et qu'elle ait discipliné et fait marcher dans ses intérêts et dans son sens, des meneurs et des chefs si indignes d'elle! Revenons à l'histoire de la journée du 18 avril. Les constitutionnels publièrent à cette occasion une brochure intitulée Récit exact, dont voici quelques passages. On y trouvera plusieurs détails dont il n'a pas encore été fait mention.

<< Depuis longtemps des bruits, qui n'étaient malheureusement que trop fondés, se répandaient que le roi donnait asile dans son palais à des prêtres non conformistes. On disait surtout qu'il se proposait de quitter l'assemblée nationale et peut-être la France. La fermentation était générale; les ennemis du peuple et du monarque choisissent ce moment pour conseiller au roi de persister dans le dessein d'aller à Saint-Cloud. Ce qui en soi est fort innocent, même fort constitutionnel, change entièrement selon les circonstances. Les factieux avaient pris soin de répandre cette nouvelle, en prêtant au roi les intentions les plus contraires à sa franchise et à sa loyauté, en débitant que plus de trente mille contre-révolutionnaires étaient répandus aux environs de Saint-Cloud, et se disposaient à enlever le roi pour le conduire au milieu de ces armées imaginaires dont on nous menace depuis si longtemps.

« Dès le vendredi 15, les ordres du directoire et ceux de la municipalité avaient été donnés pour le départ de Louis XVI. Le samedi, ils avaient été mis à l'ordre de la garde nationale; le dimanche, la première division avait formé le détachement qui devait aller à Saint-Cloud; le lundi matin, ce détachement était parti, et personne n'avait imaginé d'apporter le moindre obstacle ni de faire la moindre représentation sur ces mesures, dont l'assemblée nationale même avait la plus parfaite connaissance. Au moment du départ, le commandant général répéta ces ordres; sur le refus d'obéir, il alla en rendre compte au directoire du département, au

maire et aux officiers municipaux réunis dans la salle de l'assemblée nationale.

« M. le maire avait fait de vains efforts pour calmer le peuple et la garde nationale. M. de Lafayette avait aussi parlé au peuple, et converti ceux qui l'entouraient; mais le tumulte et le nombre de ceux qui remplissaient les Tuileries, et que des gens manifestement séditieux et très-connus animaient sans cesse, ne permettaient pas que la voix d'un seul homme se portât bien loin. Les efforts des autres officiers de la garde nationale furent aussi méprisés, même par leurs propres troupes. M. de Lafayette en alla rendre compte au directoire et aux autres officiers municipaux, qui lui ordonnèrent de faire ouvrir le passage au roi, lequel était depuis sept quarts d'heure dans sa voiture. Porteur de cet ordre, il le signifia, et fut désobéi.

<< Pendant ce temps les aristocrates, par un singulier accord avec le peuple, ne cessaient de prier le roi de remonter; ce qu'ils faisaient par un dessein perfide. Un officier municipal fit au roi les mêmes prières par amour de la paix. Le roi, ainsi que sa famille, depuis longtemps en butte aux propos les plus outrageants, y consentit pour prévenir tout acte de violence entre les citoyens.

« M. de Lafayette alla rendre compte de ces événements au directoire et au corps municipal, et dit que, persuadé que le sort de la constitution dépendait de l'obéissance à la loi, il croyait qu'ayant été pour la première fois un instrument inefficace de la loi, il devait se briser lui-même : il offrit sa démission, qui fut refusée, et l'on décida de consulter les sections sur la question de savoir si l'on engagerait le roi à partir, ou si on le remercierait de n'être point parti.

« Ce même jour le département présenta au roi une adresse dans laquelle il lui dit : « On voit avec peine que vous favorisez les réfractaires, que vous n'êtes servi que par les ennemis de la constitution, et l'on craint que ces préférences trop manifestes n'indiquent les véritables dispositions de votre cœur. >>

« Le soir du 18, le corps municipal arrêta également de faire une adresse au roi, qui ne put être présentée que le 20, et qui contient les mêmes demandes que celle du département. Le 19, le roi se rendit à l'assemblée. » (Récit exact.)

SÉANCE DU MARDI 19 AVRIL. - M. le président annonce que le département de Paris est à la barre. - Le département est admis. M. La Rochefoucauld, président du département. Nous ne vous retracerons pas ce qui s'est passé hier dans cette ville. Dans ces cir

constances, le directoire du département a cru devoir convoquer le conseil général et prendre diverses autres mesures contenues dans l'arrêté dont il va vous être donné lecture. Le directoire arrête que les sections seront convoquées par la municipalité pour délibérer sur la question qui suit l'exposé ci-après. Le roi avait projeté d'aller à Saint-Cloud, un grand nombre de citoyens sont allés le prier de ne pas partir. M. le maire et M. le commandant général ont craint que le roi ne parût forcé dans sa volonté; ils lui ont déclaré que s'il persistait à partir, tous les moyens seraient employés pour que son départ n'éprouvât aucun obstacle. Le roi a craint le trouble; il n'a voulu exposer ni le peuple, ni la garde nationale; il s'est décidé à rester. Les sections sont invitées à donner leur avis sur la question suivante : « Faut-il, dans les circonstances présentes, prier le roi d'exécuter son premier projet, qui était d'aller à Saint-Cloud; ou bien faut-il le remercier d'avoir préféré de rester pour ne pas compromettre la tranquillité publique? »

M. le président. L'assemblée a entendu avec satisfaction votre arrêté. Elle vous invite à continuer de veiller pour l'exécution des lois et le maintien de l'ordre public.

Le département se retire.

M. Cazalès. Je demande la parole contre la proposition... (L'ordre du jour.) L'assemblée nationale... (L'ordre du jour.) Je persiste à demander la parole... (L'assemblée décide que M. Cazalès n'aura point la parole.)

M. Faucigny. Je demande que l'on fasse mention de ce refus dans le procès-verbal.

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On venait de reprendre la question de la marine; on avait à peine lu les articles, lorsqu'un message pressé fut apporté au président.

M. le président. Je viens de recevoir une lettre du garde du sceau; elle est ainsi conçue:

« Je vous prie, monsieur le président, de faire lecture à l'assemblée nationale d'une lettre que le roi m'a ordonné de vous envoyer.

Lettre du roi.

« Je vous prie, monsieur le président, de prévenir l'assemblée nationale que je vais m'y rendre sur-le-champ. >>

M. le président. Je crois me conformer à l'intention de l'assemblée en ajoutant que personne ne doit prendre la parole que le président.

L'assemblée se lève; le roi entre. Il se place à la droite du président.« Messieurs, dit-il, je viens au milieu de vous avec la con

fiance que je vous ai témoignée. Vous êtes instruits de la résistance qu'on a apportée hier à mon départ pour Saint-Cloud. Je n'ai pas voulu qu'on employàt (ou qu'on la fit cesser par) la force j'ai craint de provoquer des actes de rigueur contre une multitude trompée qui croit agir en faveur des lois lorsqu'elle les enfreint; mais il importe à la nation de prouver que je suis libre: rien n'est si essentiel pour l'autorité des sanctions et des acceptations que j'ai données à vos décrets (ou pour valider ma sanction). Je persiste donc, par ce puissant motif, dans mon voyage à Saint-Cloud. L'assemblée nationale en sentira la nécessité. Il semble que pour soulever un peuple fidèle, dont j'ai mérité l'amour par tout ce que j'ai fait pour lui, on cherche à lui inspirer des doutes sur mes sentiments. J'ai accepté, j'ai juré de maintenir la constitution : la constitution civile du clergé en fait partie, et j'en maintiendrai l'exécution de tout mon pouvoir. Je ne fais que renouveler ici l'expression des sentiments que j'ai souvent manifestés à l'assemblée. Elle sait que mes intentions et mes vœux n'ont d'autre but que le bonheur du peuple. Ce bonheur ne peut résulter que de l'observation des lois et de l'obéissance à toutes les autorités légitimes. »

M. le président. Sire, si le sentiment profond dont l'assemblée nationale est pénétrée était compatible avec quelque plus douce impression, elle la recevrait de votre présence. Puisse Votre Majesté trouver elle-même parmi nous, dans ces témoignages d'amour qui l'environnent, quelque dédommagement de ses peines! Une inquiète agitation est inséparable des progrès de la liberté : au milieu des soins que prennent les bons citoyens pour calmer le peuple, on se plaît à semer des alarmes; des circonstances menaçantes se réunissent de toutes parts, et la défiance renaît. Sire, vous, le peuple, la liberté, la constitution, ce n'est qu'un seul intérêt; les làches ennemis de la constitution et de la liberté sont aussi les vôtres. Tous les cœurs sont à vous; comme vous voulez le bonheur du peuple, le peuple demande le bonheur de son roi; empêchons qu'une faction trop connue par ses projets, ses efforts, ses complots, ne se mette entre le trône et la nation, et tous les vœux seront accomplis. Quand vous venez, sire, resserrer dans cette enceinte les nœuds qui nous attachent à la révolution, vous donnez des forces aux vrais amis de la paix et des lois; ils doivent prouver au peuple que votre cœur n'est pas changé, et toute inquiétude, toute défiance disparaîtra ; nos communs ennemis seront encore une fois confondus, et vous aurez fait remporter à la patrie une nouvelle victoire.

Le côté gauche retentit d'applaudissements réitérés et des acclamations répétées de vive le roi!

Le roi se retire.

- Les applaudissements et les acclamations de la même partie de la salle recommencent.

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M. Noailles. Je demande l'impression du discours du roi et de la réponse de M. le président, et l'envoi aux départements.

M. Beaumetz. J'appuie cette proposition, et je demande qu'une députation aille remercier le roi de la démarche qu'il vient de faire et lui demander son discours, afin qu'imprimé avec l'autorisation du roi, il serve de proclamation pour le rétablissement de la paix publique. (On applaudit.)

Ces deux propositions sont décrétées.

M. Blacons. Je n'ai jamais pris la parole dans cette tribune; mais je m'étonne d'y paraître en ce moment le premier. Le roi a fait près de vous une démarche de confiance; il vous a dit que son voyage de Saint-Cloud était nécessaire pour le maintien des lois et de la constitution et pour qu'il eût l'air d'être libre... (La partie droite applaudit. La gauche se soulève et demande que M. Blacons soit envoyé à l'Abbaye.)

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On demande l'ordre du jour.

L'assemblée passe à l'ordre du jour.

M. Cazalès. Monsieur le président, je demande la parole. (Il s'élève beaucoup de rumeurs.)

M. Castellane. Qu'il soit permis à l'opinant d'expliquer sa pensée. (Un grand nombre de voix de la partie gauche : Levez la séance.) M. Castellane insiste pour qu'on entende M. Cazalès.

M. Cazalès insiste pour être entendu.

M. Ræderer. Je demande que la parole soit accordée à l'opinant, et je le prie de nous expliquer pourquoi lui et ces messieurs qui se disent si souvent les amis du roi et de la royauté, pourquoi, dis-je, ils n'ont pas donné un seul applaudissement au roi, et n'ont pas mêlé leurs acclamations à celles d'une très-grande partie de cette assemblée. (La grande majorité applaudit. La droite murmure.)

L'assemblée

passe

à l'ordre du jour.

Dans la même séance on fit lecture d'un mémoire des députés extraordinaires de l'État de Porentrui, qui signalaient la réunion de cinq cents Autrichiens à Porentrui et rappelaient les traités d'alliance d'après lesquels l'évêque de Bâle ne pouvait introduire des troupes étrangères dans cette partie de ses États, sans le consentement de la France. Une vive discussion s'éleva aussitôt à ce sujet. D'André, parlant au nom du comité diplomatique, dit que ces prétendus mouvements des troupes étrangères avaient une connexité singulière avec les mouvements fomentés à Paris par les journalistes, pour empêcher le roi d'aller à Saint-Cloud. Il n'y avait pas

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