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soit, les derniers pelotons quittaient le champ de Mars, lorsque se présentèrent, à leur tour, à l'autel de la patrie, des commissaires du club des jacobins envoyés, sur la motion de Robespierre, pour connaître ce qui se passait. (Journal des Débats, no XXVIII). On les interrogea et ils répondirent : « Que la pétition qui avait été lue la veille ne pouvait plus servir le dimanche; que cette pétition supposait que l'assemblée n'avait pas prononcé sur le sort de Louis; mais que l'assemblée ayant implicitement décrété son innocence ou son inviolabilité dans la séance du samedi soir, la société allait s'occuper d'une nouvelle rédaction qu'elle présenterait incessamment à la signature. » (Rév. de Paris, no CVI.) Cela dit, les commissaires se retirerent. Cependant, la foule devenait plus nombreuse et plus compacte. On s'interrogeait, on cherchait en vain les hommes dont les noms avaient été signalés comme ceux des conseillers même de la grande mesure pour laquelle on était réuni. Danton, Desmoulins, Fréron, etc., étaient absents. Les uns disaient qu'ils étaient réunis pour arrêter une nouvelle rédaction; d'autres assuraient que Legendre, instruit des projets sinistres qu'on avait à leur égard, les avait entraînés loin de Paris. Cela n'était point exact, pour Desmoulins au moins, qui se trouva le soir même à la séance des jacobins. Le fait est que presque tous étaient absents dans ce moment. Plus tard, on les accusa de lâcheté, et ils se défendirent comme ils purent. Danton fit dire qu'il avait été attaqué dans la rue et poursuivi par des assassins jusqu'à sa campagne à Fontenay-sous-Bois; Fréron assura qu'il avait également été assailli dans la rue, cruellement frappé et presque assommé; Desmoulins seul se justifia et affirma qu'il avait été envoyé, lui douzième, comme commissaire, par le rassemblement du champ de Mars à la municipalité.

Abandonnée de ses chefs, la foule ne voulait pas être venue pour rien. On proposa de rédiger une pétition. Cette proposition fut adoptée avec acclamation, on désigna quatre commissaires et l'un d'eux prit la plume et écrivit. (Rév. de Paris, loc. cit.) Par un hasard heureux, lorsque tant de pièces plus importantes de cette époque ont disparu, cette pétition existe encore aux archives de la commune. A peine fut-elle rédigée, que l'on commença à signer, en huit endroits différents, sur les cratères qui étaient aux angles de l'autel de la patrie, des feuilles volantes destinées à être réunies en cahiers à la suite du texte de la pétition. (Rév. de Paris, loc. cit.) En effet, la pièce, conservée aux archives de la ville, se compose d'une vingtaine de cahiers qui paraissent avoir été signés isolément, et qui ont été évidemment attachés ensemble, après coup. Le nombre des signatures dépasse certainement six mille. Le plus grand

nombre est de gens qui savaient à peine écrire; la qualité de garde national s'y rencontre à tout moment. Il y a une multitude de croix environnées d'un cercle, attestant qu'un tel a signé pour un tel qui ne savait pas écrire. Quelquefois la page est divisée en trois colonnes; d'énormes taches d'encre en couvrent plusieurs; les noms sont au crayon sur deux. Des femmes du peuple signèrent en trèsgrand nombre, même des enfants, dont évidemment on conduisait la main. Voici un échantillon pris au hasard parmi ce grand nombre de noms obscurs. Celui-ci a mis son commentaire : « Je rénonce au roy je ne le veux plus le connette pour le roy je suis sitoiien fransay pour la patrý du bataillon de Boulogne LOUIS MAGLOIRE l'aîné à Boulogne.» La plus jolie écriture de femme est sans contredit celle de mademoiselle David, marchande de modes, rue Saint-Jacques, n° 175.

Quelques belles signatures apparaissent de loin en loin; on les compte. Un feuillet fut garni par un groupe de cordeliers; ici l'écriture est fort lisible. On voit en haut une signature à lettres longues, légèrement courbées en avant; c'est celle de Chaumette, étudiant en médecine, rue Mazarine, no 9. On lit ensuite celles de E. J. B. Maillard, de Meunier, président de la Société fraternelle, séante aux Jacobins. On ne trouve nulle part le nom de Momoro; il fut cependant accusé plus tard d'avoir fait grand bruit au champ de Mars, le 17. Mais on voit celui d'Hébert, écrivain, rue Mirabeau, celui d'Henriot et la signature du père Duchéne. Il paraît que les commissaires des jacobins signèrent la pétition, car on y lit les noms de Gateau, de la société des Amis de la Constitution, et de Santerre, commandant du bataillon des Quinze-Vingts. Voici la pétition elle-même.

« Sur l'autel de la patrie, le 17 juillet, l'an III.

« REPRÉSENTANTS DE LA NATION,

« Vous touchiez au terme de vos travaux; bientôt des successeurs, tous nommés par le peuple, allaient marcher sur vos traces sans rencontrer les obstacles que vous ont présentés les députés de deux ordres privilégiés, ennemis nécessaires de tous les principes de la sainte égalité. Un grand crime se commet; Louis XVI fuit; il abandonne indignement son poste; l'empire est à deux doigts de l'anarchie. Des citoyens l'arrêtent à Varennes, il est ramené à Paris. Le peuple de cette capitale vous demande instamment de ne rien prononcer sur le sort du coupable sans avoir entendu l'expression du vœu des quatre-vingt-trois autres départe

ments. Vous différez; une foule d'adresses arrivent à l'assemblée; toutes les sections de l'empire demandent simultanément que Louis soit jugé. Vous, messieurs, avez préjugé qu'il était innocent et inviolable, en déclarant, par votre décret d'hier, que la charte constitutionnelle lui sera présentée, alors que la constitution sera achevée. Législateurs! ce n'était pas là le vœu du peuple, et nous avions pensé que votre plus grande gloire, que votre devoir même consistait à être les organes de la volonté publique. Sans doute, messieurs, que vous avez été entraînés à cette décision par la foule de ces députés réfractaires, qui ont d'avance leur protestation contre toute espèce de constitution; mais, messieurs, mais, représentants d'un peuple généreux et confiant, rappelez-vous que ces deux cent trente protestants n'avaient plus de voix à l'assemblée nationale, que le décret est donc nul et dans la forme et dans le fond nul au fond, parce qu'il est contraire au vœu du souverain; nul en la forme, parce qu'il est porté par deux cent quatrevingt-dix individus sans qualité. Ces considérations, toutes les vues du bien général, le désir impérieux d'éviter l'anarchie à laquelle nous exposerait le défaut d'harmonie entre les représentants et les représentés, tout nous fait la loi de vous demander, au nom de la France entière, de revenir sur ce décret, de prendre en considération que le délit de Louis XVI est prouvé, que ce roi a abdiqué; de recevoir son abdication et de convoquer un nouveau pouvoir constituant pour procéder d'une manière vraiment nationale au jugement du coupable, et surtout au remplacement et à l'organisation d'un nouveau pouvoir exécutif.

« PEYRE; VACHART; ROBERT; Demoy. »

La quatrième de ces signatures n'est pas très-lisible, parce que le fil qui attache les cahiers passe au milieu. Ce nom ne se trouve ni dans la table du Moniteur, ni dans la liste des jacobins qui nous a été communiquée. Il n'existe encore à notre connaissance que dans la bibliographie de M. Deschiens (page 17), où l'on ajoute: curé, député de Paris. Les trois autres commissaires sont des chefs cordeliers; mais ce titre n'est pas mentionné.

Pendant que la foule se pressait au centre du champ de Mars, pour signer cette pétition improvisée, que faisaient les autorités de Paris?

« On délibérait à la commune, dit M. Lafayette. On y croyait que tout se passerait paisiblement, lorsqu'on vint dénoncer à l'assemblée nationale les projets très-réels de l'attroupement contre l'assemblée elle-même. On voulait faire, ce qui a eu lieu depuis, le

10 août, le 31 mai et le 4 prairial. » (Mém. de Laf.) Rien ne prouve cette assertion, imaginée sans doute plus tard pour justifier une mesure de rigueur qui répugnait à la majorité, mais que la politique adoptée par les meneurs semblait commander. Quoi qu'il en soit, le président de l'assemblée nationale écrivit, au maire Bailly, la lettre suivante :

Paris, 17 juillet 1791.

«Le bruit s'étant répandu, monsieur, que les ennemis du bien public, dont l'audace augmente chaque jour, fomentaient sans cesse de nouveaux troubles, et qu'au champ de Mars des excès coupables avaient été la suite de leurs perfides suggestions, l'assemblée nationale m'a chargé de vous en prévenir, afin que vous prissiez sans délai les mesures les plus sûres et les plus vigoureuses pour arrêter ces désordres et en connaître les auteurs. Je ne doute pas que vous ne vous empressiez de vous conformer aux intentions de l'assemblée et de l'instruire exactement du résultat de vos recherches et de vos précautions pour le rétablissement de l'ordre et de la tranquillité publique. « Je suis, etc. Signé, TREILHARD, ex-président, tenant la séance. »> (Lettre extraite du procès de Bailly.)

Il faut remarquer que cette lettre, qui devait avoir aux yeux des membres de la commune toute l'autorité d'un ordre auquel on ne pouvait se dispenser d'obéir, ne fut point délibérée en séance. Elle fut, sans doute, l'ouvrage des comités. Quoi qu'il en soit, il paraît que le conseil municipal temporisa encore quelque temps. En effet, la lettre fut certainement écrite avant la fin de la séance de la constituante, c'est-à-dire avant trois heures, et la municipalité n'agit que plus tard. Elle se décida enfin à proclamer la loi martiale, et le drapeau rouge fut arboré à la fenêtre centrale de l'hôtel de ville. Voici l'arrêté de la commune relatif à cette redoutable mesure.

« Le corps municipal, considérant :

«< 1° Que, depuis plusieurs jours, de nombreux rassemblements alarment tous les citoyens, mettent en péril la tranquillité publique, et forcent tous les hommes paisibles à sortir de la capitale;

« 2° Que l'événement affreux arrivé le matin est l'effet de ces rassemblements désordonnés ;

«<3° Que tous les rapports qui en proviennent annoncent une conjuration bien caractérisée contre la constitution et la patrie; « 4° Que des étrangers payés pour nous diviser sont récemment arrivés à Paris, et que, tant par eux que par des émissaires, tous 37

TOME V.

commandent, sous différents déguisements, des mouvements populaires;

«5° Que la municipalité, responsable par la loi du maintien de l'ordre public, chargée expressément, tant par le discours prononcé hier par M. le président de l'assemblée nationale que par sa lettre de ce matin, de prendre les mesures les plus sùres et les plus rigoureuses pour arrêter les désordres, après avoir inutilement, par plusieurs proclamations, rappelé à la paix des hommes égarés par les factieux, et lorsque la garde nationale n'est plus respectée, ne peut plus différer de remplir le devoir qui lui est imposé, tout affligeant qu'il est, sans se rendre coupable de prévarication;

« 6o Enfin, que la proclamation de la loi martiale doit infailliblement arrêter les soulèvements qui depuis quelques jours se manifestent, et assurer la liberté des délibérations de l'assemblée nationale que les bons citoyens doivent surveiller et maintenir; arrête que la précédente délibération (voir plus bas le procès-verbal) sera exécutée sur-le-champ, et que cependant quatre de ses membres resteront à l'hôtel de ville pour pourvoir à ce que les circonstances pourraient exiger. »

Tout était prêt pour le départ. Bailly et les conseillers municipaux se placèrent à la tête du bataillon de grenadiers qui était en réserve à l'hôtel de ville. Ils se mirent en marche précédés du drapeau rouge (il était environ six heures.) M. Lafayette les joignit en route, avec d'autres corps de la garde nationale, du canon et la cavalerie.

Lorsque la tête de la colonne entra dans le champ de Mars le peuple se mit à crier : A bas le drapeau rouge! à bas les baïonnettes! « Une grêle de pierres succéda bientôt aux cris et aux huées. La garde nationale fit halte. Lafayette ordonna de tirer quelques coups de fusil en l'air, espérant que la peur et le bruit engageraient les factieux à se retirer. En effet, une partie du peuple prit la fuite; mais les chefs, revenus de leur première frayeur, voyant que personne n'était blessé, rallièrent les fuyards et les réunirent sur l'autel de la patrie. Là, se croyant en état de braver la garde nationale, les cris d'à bas le drapeau rouge! se firent entendre de nouveau; les pierres recommencèrent à voler. Des orléanistes (c'est le nom que Ferrières donne aux pétitionnaires), dans le dessein d'engager une querelle, s'approchèrent de la garde nationale, en vomissant les plus grossières injures et tirèrent sur elle quelques coups de pistolet. Lafayette fit faire une seconde décharge, mais réelle. L'effet en fut terrible plus de quatre cents personnes furent tuées ou grièvement blessées. Le peuple effrayé se précipita vers toutes les issues; la garde nationale fondit sur ceux qui tenaient ferme, et la

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