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De son côté, le conseil général de la commune s'était hâté aussi d'exécuter, en ce qui le concernait, les ordres de l'assemblée nationale.

Extrait du registre des délibérations du conseil général de la commune de Paris, du samedi 16 juillet 1791. (Moniteur du 19.) Arrété concernant l'état et l'inscription des habitants de la ville de Paris.

« Le conseil général, après avoir entendu lecture, 1o des trois premiers articles du titre 1er de la loi sur la police municipale et sur la police correctionnelle, décrétés le 5 juillet 1791; 2o de la loi rendue ce matin, pour ordonner l'exécution la plus prompte de ces trois articles; 3° du discours adressé par M. le président de l'assemblée nationale au département et au corps municipal, mandés pour recevoir les ordres de l'assemblée nationale: considérant combien il importe à la tranquillité et à la sûreté de la capitale, que ces sages mesures, adoptées par la loi du 5 juillet, soient réalisées sans délai; empressé d'ailleurs de témoigner sa profonde soumission aux ordres qui ont été intimés au corps municipal, et de remplir les engagements qu'il a pris pour le maintien de l'ordre public; après avoir entendu le premier substitut-adjoint du procureur de la cominune, arrête : 1o que les lois et le discours, dont il a, par son précédent arrêté, ordonné l'impression et l'affiche, seront envoyés, dans le jour de demain, aux comités des 48 sections; 2o que le secrétaire-greffier de la municipalité fera disposer, le plus promptement possible, 96 registres égaux, divisés en autant de colonnes qu'il sera ci-après indiqué; que deux de ces registres seront envoyés à chaque comité pour recevoir les inscriptions et mentions prescrites par la loi; qu'un de ces registres restera déposé au comité, où chacun des membres pourra en prendre communication, et que le double registre sera apporté au secrétariat-greffe de la municipalité; 3° qu'en attendant que ces registres puissent être faits et envoyés aux comités des sections, les inscriptions seront faites sur des feuilles qui seront adressées aux comités et reportées ensuite sur les registres; 4° que les commissaires de sections sont invités à réunir leur zèle à celui des commissaires de police, et à se diviser leurs arrondissements pour accélérer la confection et assurer l'exactitude du recensement général ordonné par la loi; 5o enfin, que le présent arrêté, ainsi que le décret de ce jour, les trois premiers articles du 5 juillet, et le discours de M. le président de l'assemblée nationale, seront dans la journée de demain, proclamés

par quatre officiers municipaux et huit notables, imprimés, affichés et envoyés aux comités des 48 sections.

« Signé, BAILLY, maire; DEJOLY, secrétaire-greffier.»

CHAP. IV. — Journée du 17 juillet. Arrêté des jacobins. Événement du

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Meurtre de deux invalides. Comment cet évé-
Réunion des pétitionnaires. Arrivée des
Députation des pétitionnaires à la com-
Absence des principaux

mune. Arrivée des commissaires des jacobins.

Paris.

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meneurs. On improvise une pétition. On la signe. Six mille signatures y sont apposées. Lettre du président de l'assemblée nationale au maire de La commune proclame la loi martiale et arbore le drapeau rouge. Marche des troupes sur le champ de Mars. Les pétitionnaires sont dispersés. -Séance de l'assemblée du 18. Rapport de la municipalité. — Narration de Desmoulins. Poursuites contre les journalistes.

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Tout le monde s'attendait que cette journée serait décisive. Dès sept heures du matin, le conseil municipal s'assembla et se mit en permanence; la garde nationale prit les armes. Des officiers municipaux se répandirent dans les divers quartiers de la capitale, accompagnés de fortes patrouilles, et, avec les tambours et les trompettes nécessaires pour faire les proclamations, ils parcoururent les rues et les places, faisant de nombreuses stations, appelant la population par le bruit des tambours et des trompettes, et répétant, de place en place, le discours du président de l'assemblée nationale (Ch. Lameth) au maire, et les décrets de la veille. Un bataillon de la garde nationale s'établit sur la place de la Bastille. On savait que c'était sur ce terrain que les sociétés fraternelles s'étaient donné rendez-vous, pour de là se porter au champ de Mars. La présence des troupes empêcha le rassemblement. Dans le même temps, de nombreuses patrouilles se croisaient en tous sens dans la ville et rendaient partout une réunion impossible. Par un contraste singulier, pendant que l'autorité déployait tout cet appareil et prenait ces précautions pour assurer la tranquillité publique, on lisait sur les murs la fameuse pétition, on continuait même de l'afficher. De leur côté, les jacobins s'assemblaient et prenaient l'arrêté que l'on va lire :

« La société des Amis de la Constitution délibérant sur les circonstances présentes :

«Considérant que les ennemis du bien public ont profité de cette occasion pour redoubler leurs calomnies contre des citoyens uniquement et constamment dévoués au salut de la chose publique ;

<«< Considérant qu'on a particulièrement répandu avec profusion,

comme productions de la société, plusieurs imprimés ou entièrement faux ou insidieusement falsifiés;

« Déclare qu'elle dément formellement et ces faux bruits et ces faux imprimés;

« Déclare de plus que les membres qui composent ladite société, fidèles à l'engagement que leur impose le titre d'Amis de la Constitution, jurent de nouveau de la maintenir de tout leur pouvoir, et d'être, ainsi qu'ils l'ont toujours été, soumis aux décrets rendus par l'assemblée nationale:

« En conséquence, la société a arrêté à l'unanimité d'envoyer la présente déclaration à toutes les sociétés affiliées, et de lui donner la plus grande publicité, tant par la voie des journaux que par tout autre moyen autorisé par la loi. »

Cet arrêté, pris sans doute assez tard dans la journée, ne put avoir une grande influence sur le rassemblement dont l'heure, convenue la veille au champ de Mars même, était midi. Quoi qu'il en soit, les jacobins, après cet acte qui les séparait des républicains, ne se dispersèrent point; ils restèrent en permanence, et, pour occuper leurs moments, ils s'entretinrent de la scission qui s'opérait dans leur sein. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet.

Cependant, au champ de Mars, par une négligence inconcevable si l'on voulait faire échouer le projet de rassemblement, on ne fit stationner, dès le matin, aucune force militaire. On croyait peutêtre tout arrêter en empêchant la réunion de la place de la Bastille. Rien d'ailleurs, à cette heure de la journée, n'appelait l'attention sur ce point, où il n'y avait personne; mais cette solitude même devint la première cause de la scène sanglante qui donna au mouvement populaire une couleur sinistre.

De grand matin, un jeune homme était occupé, près de l'autel de la patrie, à copier les inscriptions qui en décoraient les faces. II entendit, sous ses pieds, un bruit semblable à celui d'ouvriers en travail; il ne tarda pas même à découvrir la vrille d'un vilebrequin qu'on faisait agir. Effrayé de ce qu'il avait vu et entendu, il courut au poste du Gros-Caillou donner avis de sa découverte. Ce poste, se jugeant trop faible, envoya le jeune homme à l'hôtel de ville où était la réserve, et où l'on ordonna à cent hommes de le suivre au champ de Mars. Quand on y fut arrivé, on enleva quelques planches et l'on pénétra dans la cavité qui était sous l'autel. On y trouva deux hommes, dont l'un ayant une jambe de bois; ils avaient avec eux quelques vivres et un tonneau plein d'eau. On arrêta ces deux malheureux et on les conduisit à la section du Gros-Caillou. C'étaient deux invalides qui s'étaient introduits dans

un lieu où la foule devait venir, « pour voir les jambes des femmes, »> dirent-ils. Telle fut leur déclaration; telle est aussi la version de tous les contemporains. (Mém. de Lafayette, Ferrieres, etc.; Santerre, rapport aux jacobins le 18.) Leur indécente curiosité fut cruellement punie. Après avoir reçu leur déposition, la garde se mit en route pour les conduire à la ville. Elle s'arrêta un moment à la section du Gros-Caillou. Là, elle le devint le centre d'un rassemblement. La foule suivit la troupe et s'accrut en marchant. Chaque nouvel arrivant interrogeait ceux qui l'avaient précédé. En passant de bouche en bouche, la vérité allait s'altérant davantage; à force de commentaires, le tonneau d'eau devint un tonneau de poudre ; le honteux projet de ces hommes, un projet sinistre; c'étaient des agents de l'aristocratie : on leur avait promis 25 louis de rente viagère; etc. La foule s'exaltant ainsi par ses propres discours, on se jeta sur la troupe, on rompit ses rangs, et l'on saisit les deux malheureux prisonniers, qui furent égorgés. Leurs têtes furent mises sur des piques, et quelques misérables, suivis d'une troupe de gamins, les portèrent dans l'intérieur de Paris, jusque dans le voisinage du Palais-Royal. M. Lafayette accourut avec un détachement de gardes nationales. L'attroupement se barricada avec des char· rettes, et ce fut à travers la largeur de ces charrettes qu'on tira sur le commandant général un coup de pistolet ou de fusil qui rata. Les gardes nationaux, sautant par-dessus la barricade, saisirent le coupable et le conduisirent au commandant général qui le fit relàcher. (Mém. de Lafayette.) Il paraît que l'auteur de cette tentative était un nommé Fournier, dit l'Américain, dont il sera question dans la suite de cette histoire.

Il était alors à peine onze heures du matin : l'assemblée nationale ouvrait sa séance. Voici en quels termes ce triste événement lui fut annoncé.

M. *** «Le bruit se répand en ce moment que deux bons citoyens viennent d'être victimes de leur zèle. Ils étaient au champ de la fédération, et disaient au peuple rassemblé qu'il fallait exécuter la loi. Ils ont été pendus sur-le-champ. » (Un mouvement d'indignation se manifeste.)

M. le curé Dillon. « Le fait n'est point tel que vous l'avez rapporté. Je demande si vous avez été témoin. »

M. Regnault de Saint-Jean-d'Angély. « J'ai aussi entendu dire qu'ils avaient été pendus pour avoir prêché l'exécution de la loi; mais soit que cela soit ainsi ou autrement, leur mort est toujours un attentat qui doit être poursuivi selon la rigueur des lois. Je demande que M. le président s'assure des faits, afin que l'on puisse

prendre toutes les mesures nécessaires; et dussé-je être moi-même victime, si le désordre continue, je demanderai la proclamation de la loi martiale. (La très-grande majorité de l'assemblée applaudit. - Cinq à six membres placés dans l'extrémité gauche murmurent.) Vous avez ordonné aux accusateurs publics de faire exécuter les lois; il est un délit qui se reproduit souvent : c'est l'opposition de la volonté individuelle à la volonté générale. Il n'y a point encore de lois précises à cet égard; mais c'est ici le moment de vous expliquer. Je demande que l'assemblée déclare que tous les individus qui, par écrits soit individuels, soit collectifs, manifesteront la résolution d'empêcher l'exécution de la loi et porteront le peuple à résister aux autorités constituées, soient regardés comme séditieux, qu'ils soient arrêtés et poursuivis comme criminels de lèsenation. (La majorité de la partie gauche applaudit.) Cependant, pour ne mettre aucune précipitation dans une aussi importante mesure, je demande que ma proposition soit renvoyée aux comités de constitution et de jurisprudence criminelle, qui nous présenteront, séance tenante, un projet de décret. »

L'assemblée renvoie à ses comités de constitution et de jurisprudence criminelle la proposition de M. Regnault.

Comme les événements les plus graves du champ de Mars se passèrent dans la soirée, l'assemblée n'en fut pas occupée davantage, au moins publiquement, dans la séance du 17, qui d'ailleurs fut très-courte comme toutes celles des dimanches. Le président se contenta d'écrire au maire une lettre que l'on trouvera plus bas. Revenons à ce qui se passait au champ de Mars.

La foule ne commença à arriver que vers midi. La garde nationale y arriva aussi avec du canon; mais elle se retira à une heure. Trois commissaires envoyés par la commune, et partis à onze heures de la ville, conduisaient ce petit corps d'armée. Ils se rendirent au milieu de la foule, la haranguèrent et convinrent en définitive qu'une députation de douze personnes les accompagnerait à la commune. Tout se termina là pour le moment. Les commissaires se retirèrent suivis de la garde nationale. Ils se rendirent à la ville pour rendre compte de leur mission. Mais une partie du corps armé, qu'ils avaient amené avec eux, fut laissé en dehors du champ de Mars, pour surveiller les mouvements hostiles qui pourraient avoir lieu. (Mém. de Lafayette, t. III, p. 105.) La troupe avait cependant eu l'air de s'éloigner complétement; et l'on devait le croire. Pourquoi ne pas l'avoir laissée sur le terrain? ne fit-ce que pour inspirer de la prudence aux pétitionnaires? En effet, dit M. Lafayette, il ne fut jamais question de s'opposer à la signature de leur pétition. Quoi qu'il en

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